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Raphaël, fondateur d’Urbex Session : « Je n’ai pas envie de faire la queue pour faire des photos »

À la recherche de l'adrénaline perdue...

Par
Emmanuelle Dreyfus
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Référence dans le milieu de l’urbex, Marie et Raphaël viennent de publier Urbex Session, le livre aux éditions Suzac. Un ouvrage témoignage qui compile photos et histoires romancées, versions faits divers, de bâtisses abandonnées qu’ils immortalisent depuis 2013. Mais face à un succès grandissant de la pratique et à l’arrivée de trois enfants, l’excitation de la découverte cède le pas à une légère lassitude… Auraient-ils connu un âge d’or ? Interview.

Comment êtes-vous tombés dans l’urbex ?

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En 2013, avec ma compagne, nous ne savions pas trop quoi faire pendant une semaine de vacances. Comme nous sommes un peu des originaux, on a eu une idée absurde : faire un tour de France de lieux de faits divers, lugubres et macabres. Pour accentuer ce côté glauque, on a décidé d’ajouter à notre périple la visite de lieux abandonnés. Mais à l’époque, quand on tapait “lieux abandonnés” dans un moteur de recherche, nous n’avions pas beaucoup de récurrences intéressantes. L’urbex, pratique confidentielle, n’était pas aussi connue, pour ne pas dire galvaudée, qu’aujourd’hui. On a réussi à organiser notre semaine durant laquelle nous avons visité une ancienne mine, un sanatorium et l’adrénaline était si forte, nous avons tellement adoré ce côté exploration, surprises et découvertes que c’est rapidement devenu une passion qui nous a complètement accaparés. Face à l’engouement assez rapide des publications de nos excursions, on a créé un site internet.

Aviez-vous une passion particulière pour la photographie, aviez-vous des velléités artistiques ?

Nous n’étions pas du tout à fond dans la photo. On partait avec un appareil autour du cou et nous prenions des photos sans prétention. Progressivement, c’est devenu une pratique artistique et un travail purement esthétique. Ma première passion c’est l’écriture. Quand on fait de l’urbex, on a un certain devoir de confidentialité, on doit toujours en dire le moins possible. J’ai alors commencé à inventer une histoire par rapport au lieu exploré. A part les photographies, sur le site, tout est fictif, nous avons créé un univers à part, et il y a toujours des gens qui le prennent au premier degré même si j’écris des choses vraiment invraisemblables y compris dans nos bios ! Il y a un côté jeu de rôle évident, on ne s’appelle ni Raphaël ni Marie. Mais on ne s’en cache pas. J’ai d’ailleurs publié mon premier livre en auto-édition, Putréfaction, sous mon véritable patronyme, Laurent Soler.

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Pourquoi avez-vous fait le choix de vous masquer, alors ? Avez-vous été tentés par l’anonymat ?

Non pas vraiment. Quand nous avons débuté en 2013, nous avons mis des masques bas de gamme de lapin qui traînaient chez nous, par jeu. On nous a rapidement surnommés les lapins, alors la démarche a pris le dessus, et j’ai investi dans des masques plus sophistiqués. Entre temps, on a eu trois enfants, c’est donc devenu difficile de continuer à deux les explorations. Quand je suis seul, je n’ai aucun problème à me mettre en scène à visage découvert. L’exploration en solo, apporte encore plus d’adrénaline. C’est plus excitant, on est attentif au moindre bruit. Je le vois comme un privilège de s’accaparer un endroit, c’est une sorte de musée personnel. Ma compagne est un peu jalouse mais elle n’aime vraiment pas y aller seule. Il ne faut jamais oublier que cela comporte des risques, ce sont des lieux fragiles.

D’où vous vient ce goût de la mise en scène et du glauque ?

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Nous avons une passion commune pour les films d’horreur et les faits divers. Les travers humains m’ont toujours intéressés et inspirés. Mais Marie est plus enthousiasmée par la découverte que par la peur, sinon elle irait explorer sans moi. Si je ne devais citer qu’un seul film ce serait Massacre à la tronçonneuse (1974), le coup de maître : il n’y a rien de gore, tout est dans l’ambiance.
Avant de commencer l’urbex, j’écrivais des scénarios horrifiques et c’est grâce à la pratique que j’ai développé l’écriture sur le site, même si les visiteurs viennent d’abord pour les photos. Mais je me suis souvent fait traiter de mytho car mes histoires de lieux, baptisés souvent de noms de tueurs en séries, ont été prises au sérieux.

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Concrètement, comment identifiez-vous des lieux à défricher ?

C’est un travail d’investigation de fou. C’était le rôle de ma conjointe : épier les articles de presse locale, créer des alertes avec des mots clefs. C’est un jeu très excitant. Google est notre ami ! Cela consiste aussi à visiter des sites comme Delcampe, c’est Le Bon Coin de la carte postale ancienne : pour nous, c’est une base de données démentielle. En 2013, quand je cherchais des idées, on s’est mis à chercher dans des vieux bottins et on comparait sur cinq années pour voir si des lieux existaient toujours. On a pu visiter des maison de retraites grâce à ces recherches. Au fil des années, l’IA de Google a évolué et c’est parfois lassant d’être autant aidé. C’est devenu plus pantouflard !

Avec Youtube, l’exploration urbaine a été largement médiatisée : pour le meilleur ou pour le pire ?

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C’est devenu une pratique youtubesque vers 2017 avec des gars comme Squeezie et sur les réseaux sociaux, cela perdure encore aujourd’hui, car un lieu abandonné c’est un décor parfait : ils ne vont pas chercher plus loin pour nourrir la créativité et en plus ils sont en mode putaclic avec des titres du style « Urbex qui tourne mal ». Depuis, il y a des sites de ventes d’adresses d’urbex pour enrichir leur catalogue ou des sites qui font du troc. Ces gens légitimisent la visite et la cordée alors que ce sont des lieux privés. L’urbex a muté, c’est presque devenu péjoratif avec tous ces youtubeurs qui ne respectent pas les bonnes pratiques.

Quel est le code de bonne conduite de l’urbex ?

De ne pas céder à la moindre tentation de repartir avec quelque chose. Il faut absolument laisser le lieu tel qu’on l’a trouvé. Je me méfie de tout le monde, je préfère être parano pour préserver au maximum l’identité un lieu. Après, un château où il ne reste que les murs, je n’ai aucun problème à raconter son histoire.

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Pourquoi avez-vous eu envie de compiler certaines de vos explorations dans un livre ?

En fait, ce n’était pas prévu ! J’ai reçu un coup de fil d’un éditeur intéressé par l’idée de faire un livre sur l’urbex avec les histoires que j’avais écrites. Même si je trouvais que c’était un peu casse-gueule, d’autant plus qu’il a sélectionné les histoires très dixième degrés, c’est toujours gratifiant d’avoir ses photos éditées dans un livre. J’ai fait un préambule pour dire que tout était faux et je suis satisfait du résultat. C’était un pari audacieux car je n’aurais jamais fait cette démarche seul. Ça a été une formidable opportunité.

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Quelle aventure vous laisse un souvenir indélébile ?

Notre plus beau reportage c’était indéniablement au Japon et plus précisément à Hachijo Royal Hotel. Cet ancien complexe hôtelier situé sur une île, à une heure de Tokyo, représentait l’essor touristique du Japon car à l’époque les citoyens n’avaient pas de visa pour voyager. Dès qu’ils ont eu la possibilité de sortir hors des frontières, de nombreuses provinces ont été désertées : cet hôtel est le témoin de cette époque. Il est surdimensionné, tellement imposant qu’il prend toute la place sur l’île, et le site envahi par la jungle est très photogénique. Après cette exploration, on s’est dit que nous n’aurions jamais mieux. C’était comme une odyssée fantastique. Nous étions tout le temps seuls et tout est super bien conservé à l’intérieur. Les Japonais sont très respectueux de leur patrimoine, les lieux abandonnés ne sont pas vandalisés. Les sites restent dans leur jus, on est revenus après un mois au Japon avec des étoiles dans les yeux, on ne pourra jamais faire aussi bien.

La pire exploration ?

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L’une de nos premières : la maison secondaire de Marc Dutroux. Lors de notre arrivée sur les lieux, nous avons été surpris de voir une maison accessible. Je pensais que cela aurait été condamné, or quand je me suis retrouvé face à une porte d’entrée grande ouverte, j’étais à la fois surpris et effrayé. Je suis rentré à l’intérieur, cela a été une des pires explorations car l’ambiance était lourde. J’ai trouvé des archives personnelles du tueur et de sa famille.

Songez-vous à arrêter ?

En toute sincérité, je sens que je commence à baisser d’intensité. C’est un peu comme le sport, si on arrête pendant une longue période, on a du mal à s’y remettre. Je décroche un petit peu. Je pense que cela devient une passion consensuelle, j’ai l’impression que c’est devenu une occupation banale. Cela m’est arrivé plusieurs fois de croiser d’autres personnes. Ce que je cherchais à l’origine, une bulle dans le temps, la solitude, je le trouve de moins en moins. On se sent moins seul et à l’écart qu’avant. Je n’ai pas envie de faire la queue pour faire des photos. C’est une passion de mec célibataire ou de couple sans gosse. Car c’est dur de combiner une vie sociale avec cette passion. J’aurais bien aimé commencer plus tôt mais j’en ai profité pas mal, on a vraiment été gâtés. On garde dans l’esprit qu’on a vécu l’âge d’or. Il y a des renoms de l’exploration comme Sylvain Margaine, il doit en faire une par an. Et cette année avec le confinement, c’est un peu mon rythme… J’ai plus envie d’écrire, je travaille ardemment sur mon deuxième roman. Mais je gère toujours le forum et le site dédié à l’exposition et à la vente de photographies.

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La pratique trop démocratisée n’a donc plus les mêmes attraits ?

Le phénomène « m’as-tu-vu » est à son paroxysme. On rentre dans la course aux clics et aux buzz, dénicher un lieu de ouf où sont mis en avant les richesses de certains châteaux… À la base, l’urbex c’est aller dans un lieu lugubre où la nature a repris ses droits. Il y a aussi de plus en plus « d’urbex Century 21 » (rires). On voit des vidéos de lieux tellement propres qu’on a l’impression qu’ils sont en attente d’être loués ou vendus. Et c’est d’ailleurs parfois le cas ! Cela m’est arrivé d’aller en voir un du côté de chez moi, vers Bordeaux, et c’était une piètre exploration, sans émotion ni dimension esthétique. On se sent encore plus illégitimes à y être.

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