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« Quiet quitting » : démissionner sans démissionner, ou l’art de faire le strict minimum
Combien de temps a duré votre période « lune de miel », avec votre employeur ?
Inévitablement, au moins une fois dans la vie de tout.e salarié.e vient le moment où, après avoir obtenu un job qu’on croyait qu’on voulait, le rêve s’écroule et on se rend compte que les projets excitants, les opportunités d’avancement de carrière et le sentiment d’une grande famille chez les employé.e.s de l’entreprise étaient une jolie carotte. Vient ensuite le moment où l’on abandonne le rêve d’un jour attraper la carotte.
Pour les late millenials comme moi, qui sont sur le marché du travail depuis près de la moitié de leur vie, c’est un sentiment normal, voire essentiel, à ressentir au moins une fois dans sa carrière. Certains jeunes, par contre, viennent de découvrir ce phénomène. Si, dans mon temps, on appelait ça le burnout, l’épuisement professionnel ou simplement « être au bout du rouleau », les jeunes sur Tiktok ont trouvé un nom plus brand-able : le quiet quitting, ou la « démission douce ».
Un burnout pas comme les autres
Il y a des conditions spéciales qui rendent la variété d’épuisement professionnel qui afflige nos collègues plus jeunes différente de la nôtre. Comme l’explique l’utilisateur @zkchillin sur TikTok, où le hashtag #QuietQuitting ne cesse de gagner de l’ampleur, la démission douce signifie que « vous ne quittez pas carrément votre emploi, mais vous abandonnez l’idée de vous surpasser. Vous effectuez toujours vos tâches, mais vous ne souscrivez plus à la mentalité de la culture du hustle, selon laquelle le travail doit être votre vie – en réalité, ce n’est pas le cas. »
Dans un monde productiviste, la démission douce représente un mal-être existentiel, une résistance passive face au statu quo.
Cela renvoie quelque peu au phénomène nommé tangping que l’on observe en Chine et qui vise à renoncer au modèle « 996 » caractérisant la culture du travail dans le pays – soit travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours par semaine. La différence est que le tangping, qui signifie littéralement « couché à plat », rejette cette culture du travail et les attentes qui viennent avec comme l’achat d’une maison, le mariage et la surconsommation.
Le quiet quitting, de l’autre côté, renonce à la culture de se surmener au travail, au profit de passer plus de temps avec ses ami.e.s et sa famille, à s’adonner à ses hobbies ou tout simplement à relaxer.
Un nouveau phénomène ?
J’en entends déjà râler : « Les jeunes sont paresseux, ils ne savent pas encore ce qu’est le vrai épuisement professionnel, ils n’ont même pas encore donné une décennie à leur carrière. » C’est vrai, les conditions de travail et les salaires des jeunes sont plus avantageux que les nôtres. Est-ce que ça aide de les blâmer pour ça ? Absolument pas. C’est notre devoir en tant que société de s’assurer que les jeunes aient une vie plus juste et confortable que la nôtre.
Le quiet quitting n’est pas équivalent au burnout traditionnel; il ne vient pas d’une tristesse ou d’une détresse émotionnelle.
Il faut aussi garder en tête que plusieurs d’entre eux ont intégré le marché du travail durant la pandémie, et sont souvent beaucoup moins compris.es que les millénariaux par les dirigeant.e.s d’entreprises qui sont d’une génération encore plus vieille et qui ont le réflexe de se dire des choses comme : « Les jeunes sont toujours sur les réseaux sociaux. Un.e seul.e stagiaire devrait être en mesure de gérer notre plan de communication numérique au grand complet, hein ? »
Eh ben, il s’avère que les jeunes ont goûté à la vie corporate à distance et ont détesté. Ils et elles sont beaucoup moins complaisants que nous et ont une meilleure culture de dénonciation des injustices ou des inefficacités que nous. En somme, leur patience pour la connerie est plus basse.
Pourquoi ne pas simplement quitter son job ?
Pour la plupart des gens, quiet quit ne signifie pas vraiment une baisse de la productivité, mais simplement de la surproductivité. Tu fais ta job et tu accomplis tes tâches, mais sans plus. Tu quittes à l’heure, tu ne réponds pas à tes messages à l’extérieur des heures de bureau et tu ne te portes pas volontaire pour aider à organiser les activités corporatives. Tu fais ce qu’on attend de toi, tu collectes ta paie et c’est tout.
Cela détonne des habitudes des millénariaux et de leur culture de travail start up, où les afterworks, les longues nuits de travail pour arriver aux deadlines serrés et les offsites font partie du contrat social. Mais pour ces jeunes qui, pour la plupart, n’ont même pas pu visiter leurs bureaux jusqu’à tout récemment, tout cela ne signifie rien.
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Le quiet quitting n’est bien entendu pas équivalent au burnout traditionnel; il ne vient pas d’une tristesse ou d’une détresse émotionnelle. Mais c’est un phénomène intéressant sur lequel il est pertinent de se pencher comme étant, peut-être, un signe avant-coureur de l’épuisement professionnel. Dans un monde productiviste, la démission douce représente un mal-être existentiel, une résistance passive face au statu quo.
C’est prendre du recul et réaliser qu’un emploi n’est qu’un emploi, et que si on consacre plus de temps au travail qu’à profiter de la vie, on en fait peut-être un peu trop.