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Et si on parlait de l’épuisement professionnel ?

Une question rhétorique (et récurrente) sur la santé mentale.

Par
Raphaëlle Drouin
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En France, l’épuisement professionnel prend de l’ampleur. Les arrêts maladie pour dépression, anxiété ou burn-out sont passés de 9 % début 2020 à 14 % pendant le confinement, puis à 18 % depuis le déconfinement, indique le baromètre sur l’absentéisme comme indiqué ici.

Et près d’un salarié sur deux est désormais en détresse psychologique. C’est le résultat à la hausse d’une étude réalisée juste avant le deuxième confinement. Alors qu’une autre étude révèle une forte augmentation des arrêts maladie de longue durée et de ceux liés à des troubles psychosociaux comme on peut le lire ici.

La principale raison ? L’augmentation de la charge de travail, conséquence directe de la pandémie et, surtout, du télétravail.

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Je ne sais pas pour vous, mais je n’ai pas de difficulté à le croire. Dans les derniers mois, j’ai vu pas mal de gens de mon entourage tomber au combat. Sans compter tous ceux et celles qui ne tiennent qu’à un fil.

En ces temps anxiogènes et incertains où on nous martèle qu’il faut prendre soin de nous, tout en nous interdisant de serrer nos êtres chers dans nos bras, ce n’est déjà pas facile de garder le moral. Ajoutez à ça une toute nouvelle manière de travailler et les attentes d’un employeur qui lui-même peine à naviguer la crise, et vous avez une tempête parfaite.

La goutte de trop

« Mon patron ne croyait pas du tout au télétravail », me raconte Florence. Au printemps dernier, la jeune travailleuse a fait un burnout. Après un début d’année déjà difficile, la pandémie a été la goutte qui a fait déborder le vase.

« Mon patron nous appelait sans cesse et il nous envoyait des mails tous les jours pour savoir ce qu’on avait fait dans notre journée. »

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L’entreprise pour laquelle elle travaillait n’était pas du tout prête à faire le saut vers le télétravail. Résultat ? Le climat au sein de l’équipe s’est vite détérioré. « Mon patron nous appelait sans cesse et il nous envoyait des mails tous les jours pour savoir ce qu’on avait fait dans notre journée », m’explique Florence.

La pression de performer au travail, elle la sentait bien avant que la crise vienne tout basculer, mais de chez elle, le poids devenait de plus en plus lourd. « Mon patron voulait qu’on contacte tous nos clients pour qu’on leur offre du service. Alors que toutes les entreprises allaient mal et n’avaient pas d’argent. »

Le coup de grâce : son employeur lui demande d’envoyer une facture faramineuse à un client pour des heures passées à travailler sur un évènement qui, COVID oblige, n’aurait jamais lieu. « J’ai envoyé le mail et le lendemain je suis allée voir un médecin », me raconte la jeune femme.

Loin des yeux, loin du cœur

Avant d’aller consulter, Florence a passé des semaines à ne pas aller bien du tout. « J’avais vraiment de la difficulté à me réveiller le matin. Oui, il y a des matins où c’est comme ça, mais moi c’était tous les jours. Si mon copain ne me réveillait pas, je ne me levais juste pas ».

«Le soutien des collègues, des employeurs, ça ressort souvent comme un déterminant important de la santé et de la sécurité au travail.»

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Sauf que ça, le patron de Florence ne le voyait pas. Et pas moyen non plus de déceler la détresse de son employée à travers la caméra de son ordinateur lors des mille réunions via vidéoconférence.

« Le soutien des collègues et des employeurs, ça ressort beaucoup dans les études comme un déterminant important de la santé et de la sécurité au travail, m’explique Sophie Meunier, professeure au département de psychologie de l’UQAM. Sauf qu’en ce moment, on a moins accès à ces ressources-là ».

Parce qu’un des grands désavantage du télétravail, c’est évidemment le manque d’interactions sociales. « Les rencontres virtuelles ont tendance à être plus centrées sur la tâche, me dit Sophie. Et puisqu’on ne se croise plus dans le corridor, il manque vraiment ce côté plus informel. »

Ce qui a non seulement des effets sur le moral des troupes, mais, surtout, qui rend plus difficile pour les supérieurs de prendre le pouls de leurs employés pour voir comment ils vont vraiment. Et vice versa, c’est plus difficile pour les employés de parler de ce qui ne va pas de manière spontanée, autour de la machine à café.

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Pourquoi moi ?

Après sa première visite chez le médecin, Florence a hérité de deux semaines de congé et d’une prescription pour passer une panoplie de prises de sang. Le verdict selon les spécialistes ? Elle souffrait sûrement d’une mononucléose. Mais après trois semaines, rien n’avait changé et les résultats des tests étaient inconcluants.

Quand le vrai diagnostic est finalement tombé, Florence n’y croyait pas. « C’était la première fois qu’on me disait que je faisais un burnout. J’ai dit à la médecin : ça ne se peut pas. J’ai 23 ans, je fais du sport deux fois par semaine, j’ai un copain, etc. Il n’y avait aucune raison. »

« Tu peux te noyer en trouvant que le bateau qui est en feu à côté, c’est triste aussi. »

Mais des raisons, il y en avait plein en réalité. Pression au travail, impossibilité de voir sa famille et ses amis, peur d’attraper le virus et j’en passe. « Je sentais que j’avais échoué. On te dit que ce n’est pas ça, mais c’est quand même ce que tu penses, me dit Florence. Tu te dis : pourquoi moi je ne suis pas capable de le faire ? »

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Parce que des gens qui ne se sentent pas bien en ce moment, il y a en a pas mal. Certains ont perdu leur emploi, d’autres des proches. Alors qu’est-ce qui fait que certaines personnes tiennent le coup et d’autres non ?

« Personne n’est à l’abri d’un burnout », indique Sophie Meunier qui précise qu’il faut vraiment éviter de se comparer ces temps-ci. Aujourd’hui, Florence réalise l’importance de se donner le droit de mal aller, sans se demander si la raison est « valable », sans en avoir honte: « Tu peux avoir de l’empathie en te donnant le droit de couler. Tu peux te noyer en trouvant que le bateau qui est en feu à côté, c’est triste aussi. »

Tabou, quand tu nous tiens

Après avoir reçu son arrêt du médecin, Florence a demandé à son employeur cinq semaines de congé. Sans préciser pourquoi exactement. « J’ai gardé ça vraiment flou », me dit-elle.

Elle ne se sentait pas à l’aise d’entrer dans les détails et surtout, de dévoiler la cause : son job et son employeur. Quand je lui demande si elle pense qu’elle aurait agi différemment si le climat de travail lui avait semblé plus propice à aborder son état de santé mentale, ce n’est pas clair.

« EST-CE QUE LES GENS SE SENTENT À L’AISE D’EN PARLER OU EST-CE QU’ILS ONT ENCORE PEUR D’ÊTRE PERÇUs COMME VULNÉRABLES OU FAIBLES? »

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Florence pense au boss de son copain qui a appelé tous ses employés au début du tout premier confinement pour leur demander comment ça allait et s’ils avaient besoin de quelque chose.

« Je pense qu’il est temps de briser certains tabous par rapport à la santé mentale, affirme pour sa part Caroline Biron, professeure en management à l’Université Laval et directrice du Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité au travail. Est-ce que les gens se sentent à l’aise d’en parler ou est-ce qu’ils ont encore peur d’être perçus comme vulnérables ou faibles ? »

La réponse semble évidente: on est loin d’en avoir fini avec le tabou de la santé mentale, surtout au boulot.

Aller chercher de l’aide

C’est durant son arrêt de travail que Florence a vraiment touché le fond. « Je faisais des crises d’anxiété intenses où je n’arrêtais pas de crier. J’aurais pu briser des trucs, j’étais vraiment incontrôlable ».

La première étape à faire lorsqu’on sent un épuisement professionnel se pointer le bout du nez, c’est de vérifier s’il existe des ressources au sein de notre propre entreprise.

Parce que l’énergie que ça prend pour faire des recherches et trouver de l’aide, on la trouve où quand on n’arrive même plus à bouger de notre lit ?

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La compagnie pour laquelle Florence travaille est relativement petite. Les RH, c’est une personne. Alors non : il n’y a pas de programme d’aide aux employés. Heureusement, la jeune femme a pu bénéficier de celui offert au bureau de son père pour gérer ses crises et trouver de l’aide pour remonter la pente.

« Sinon il y a des ressources communautaires, des lignes d’écoute, des groupes d’entraide », précise Sophie. La spécialiste suggère de s’y prendre tôt plutôt que tard pour aller chercher de l’aide. Parce que l’énergie que ça prend pour faire des recherches et trouver de l’aide, on la trouve où quand on n’arrive même plus à bouger de notre lit ?

Se donner une chance

Après plus d’un mois d’arrêt de travail et un retour progressif de plusieurs semaines, Florence est de retour au bureau (virtuellement). Si elle a accepté de revenir, c’est d’abord parce qu’elle sent que son employeur a réévalué sa manière d’opérer et prend beaucoup plus en considération le bien-être de ses employés.

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Mais c’est aussi parce qu’elle a appris à mettre plus de frontières entre sa vie personnelle et son travail. « On ne parle pas beaucoup de la situation des juniors dans une entreprise. On s’attend à ce que tu sois extrêmement performant et toi, puisque tu as tout à prouver, tu ne t’accordes pas vraiment de limites. »

Pour Florence, mais aussi beaucoup d’autres jeunes travailleurs, le travail prend une place gigantesque. Si se sentir habile et compétent au boulot est synonyme de réussite et d’épanouissement, avoir l’impression de ne pas être aussi productif qu’on le veut, ça pèse fort sur le moral.

« Quand l’environnement est sain et que les attentes de productivité sont claires et atteignables, et qu’elles prennent en compte la santé mentale des employés, c’est bon de travailler. »

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« On voit des liens étroits entre santé mentale et performance. L’un ne va pas sans l’autre », m’indique Caroline Biron.

Elle précise : ce n’est pas parce que ça ne va pas que travailler est nécessairement mauvais. Mais il faut que les entreprises prennent en compte la réalité actuelle, quitte à diminuer leurs attentes et à donner plus de flexibilité à leurs employés. Même si elle précise que la santé mentale au travail n’est pas que la responsabilité des gestionnaires qui, eux aussi, doivent être soutenus par leur organisation, elle explique qu’il y a des moyens pour un employeur d’en faire plus.

« Quand l’environnement est sain et que les attentes de productivité sont claires et atteignables, et qu’elles prennent en compte la santé mentale des employés, c’est bon de travailler. En pandémie, avoir une routine, des collègues, se réaliser et faire des choses dont on est fier, c’est bon pour la santé mentale .»

***

Aujourd’hui, Florence a trouvé des méthodes pour gérer son anxiété, mais surtout, elle a appris à se donner une chance et à ne pas placer le travail au centre de tout. « C’est le travail d’une vie », me dit-elle en riant. Même si elle va beaucoup mieux, elle attend encore de recevoir de l’aide psychologique. « Des check-up annuels, c’est important d’en faire. Pourquoi on va juste chez le psychologue quand on est en grosse détresse? »

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Si vous aussi vous sentez que ça ne va pas, allez chercher de l’aide. Que ce soit via le programme d’aide de votre entreprise, votre médecin ou des ressources gratuites, n’attendez pas. Le numéro, 0 800 13 00 00, est un service anonyme, gratuit et ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.​ Votre santé mentale, ça compte.