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Quand les doutes se transforment-ils en syndrome de l’imposteur ?
« Je vais être démasqué.e, c’est sûr ».
« Les gens vont bien finir par se rendre compte que je ne suis pas compétent.e ».
« Mes collègues surestiment mes aptitudes, je ne suis pas si bon.ne qu’ils le pensent ».
Si ce genre de pensées tournent en boucle dans votre tête, vous souffrez peut-être du syndrome de l’imposteur.
Bien plus que de simples doutes
« Le syndrome de l’imposteur se caractérise par le sentiment que les autres nous surévaluent, explique Thérèse Bouffard, professeure au département de psychologie de l’UQAM. Les gens qui en souffrent vivent dans l’anxiété d’être “démasqués”, ils se sentent fraudeurs, illégitimes. Le syndrome de l’imposteur, c’est se sentir moins compétents que les autres croient qu’on l’est ».
« C’est comme vivre sur une corde raide, en attendant l’événement fatidique qui va montrer à la face de tous que l’on est pas aussi compétent qu’ils ne le croient. »
Selon l’experte, le syndrome de l’imposteur se distingue du biais négatif d’auto-évaluation, qui se caractérise par le sentiment de ne pas être à la hauteur. « Le sentiment d’imposture va plus loin que le simple fait de se dévaluer. C’est comme vivre sur une corde raide, en attendant l’événement fatidique qui va montrer à la face de tous que l’on est pas aussi compétent qu’ils ne le croient. Bien sûr, tout cela tient de la perception, et c’est ce qui peut devenir un problème », explique Thérèse Bouffard, au bout du fil.
Édith*, une jeune professionnelle du milieu de l’audiovisuel, se reconnaît dans cette description. « Je travaille dans un milieu assez difficile et stressant, où je dois produire beaucoup de contenus, explique la pigiste, en tentant de mettre des mots sur un sentiment qu’elle qualifie d’envahissant. Dans la sphère professionnelle, j’ai souvent un drôle de sentiment de tricher, de ne pas mériter ma place. Et quand on me félicite pour mon travail, qu’on me donne des feedbacks positifs et que j’ai des résultats concrets, c’est comme si je n’arrivais jamais à y croire ».
« Quand on me félicite pour mon travail, qu’on me donne des feedbacks positifs et que j’ai des résultats concrets, c’est comme si je n’arrivais jamais à y croirem»
Thérèse Bouffard, qui a mené plusieurs études sur le sujet, nous explique que pour beaucoup de personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur, le succès ne parvient pas à atténuer le sentiment en question. « Ça fonctionne comme un cycle. Les émotions négatives deviennent envahissantes et quand la personne réussit quelque chose, elle se dit que ça ne veut rien dire. Ce sont vraiment les émotions négatives qui prennent le dessus », affirme la professeure, en précisant que ces émotions peuvent devenir paralysantes. Elle ajoute cependant que quand le doute est vécu de manière modérée, il peut être moteur, aider à progresser et à se remettre en question sainement, ce qui n’est pas le cas du sentiment d’imposture, qui a tendance à freiner.
La professeure explique que certaines personnes aux prises avec ce sentiment peuvent refuser des promotions ou des offres d’emploi pour lesquelles elles seraient pourtant compétentes. Édith en sait quelque chose. « Un jour, on m’a proposé une pige pour laquelle j’étais théoriquement qualifiée, mais j’étais tellement allée loin dans mon sentiment d’imposture, que je ne comprenais même pas pourquoi on me considérait pour le contrat, explique la trentenaire. J’avais l’impression que si j’acceptais, c’est là qu’on me démasquerait, qu’on se rendrait compte que j’étais “un vaste mensonge”. J’ai refusé et avec le recul, je me rends compte que c’était irrationnel ».
Procrastination, sabotage et surpréparation
Si on se réfère à la littérature scientifique, on constate que les gens qui se sentent imposteurs ont tendance à adopter deux stratégies. La première, c’est la procrastination. On attend le plus longtemps avant de commencer la tâche. Et quand on la commence, c’est la course effrénée, parce qu’on est dernière minute. « L’objectif inconscient de cette stratégie-là, c’est de se dire “si j’échoue, c’est normal. Et personne ne pensera que c’est parce que je ne suis pas bon. Je ne serai pas démasqué dans mon incompétence. Mon échec sera attribuable à mon manque d’organisation”, explique Thérèse Bouffard, qui qualifie cette stratégie de moyen de protection. Et si la personne réussit quand même, elle va attribuer son succès à toutes sortes de raisons extérieures à elle, comme la chance. En d’autres termes, la personne n’intériorise pas sa réussite », ajoute l’experte.
« si la personne réussit [..], elle va attribuer son succès à toutes sortes de raisons extérieures, comme la chance. En d’autres termes, la personne n’intériorise pas sa réussite. »
La deuxième stratégie est caractérisée par un comportement inverse: la surpréparation. C’est le cas d’Édith. « Quand je prépare un contenu important, j’ai tendance à travailler comme une malade », affirme la jeune pigiste, qui admet consacrer un nombre incalculable d’heures au travail et ressentir en permanence le sentiment qu’elle a quelque chose à prouver.
Selon Thérèse Bouffard, cette tendance à la surpression s’explique aisément. « Les gens qui se surpréparent et qui réussissent en viennent à se dire que n’importe qui, à effort égal, auraient obtenu le même succès, explique-t-elle. Encore une fois, c’est une manière de ne pas intérioriser pas sa réussite ».
« c’est un immense handicap à l’actualisation de leur potentiel et à la réalisation d’accomplissements dont ils sont capables. »
La professeure ajoute néanmoins un bémol. « 75% des gens, à un moment ou autre de leur carrière, vivront ce type de sentiment dans un contexte donné, mais ça va se dissiper, explique-t-elle. Cependant, il y a des personnes qui vivent ça de manière chronique, et pour qui c’est un immense handicap à l’actualisation du potentiel et à la réalisation d’accomplissements dont ils sont capables ». En effet, certaines personnes aux prises avec ce sentiment préféreront saboter leurs chances de réussite plutôt que de prendre le risque, encore une fois, d’être “démasquées”.
Pour Thérèse Bouffard, il existe donc un certain degré de doute personnel qui soit porteur de développement, mais quand celui-ci devient paralysant comme peut l’être le syndrome d’imposteur, il faut intervenir. « Certaines personnes ont une structure de personnalité qui les amène à développer le syndrome. D’autres le tirent plutôt de leur dynamique familiale, qui les amène aujourd’hui à se dévaluer. Finalement, le but est de réussir à changer ses schémas de pensée, ses perceptions et surtout, de travailler sur l’intériorisation de ses réussites pour renverser la vapeur, croit la professeur. Et je vous rassure, ça peut se faire ».
Et le simple fait d’en prendre conscience, c’est déjà un pas dans la bonne direction.