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Quand la reine de la garderie est une drag queen

Ouvrir les esprits, une paillette à la fois.

Par
Daisy Le Corre
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« I love sa robe à paillettes, Mama. I love princesse Babada ». C’est ce que Cameron, mon petit bout de 2 ans et demi, m’a répété en boucle après avoir écouté Barbada lui raconter une histoire à la garderie. Obsession Babada. Obsession drag queen, en réalité. Elles ont toujours fait partie de l’univers de Cameron : on regarde RuPaul à la télé, on joue à Game of Queens, on ne manque jamais une heure de conte avec la Coalition des familles LGBT, Mado est notre gourou… et puis j’ai rencontré son autre mère (coucou Mommy) dans un bar à drag queen montréalais. Bref, impossible d’y échapper. #SorryNotSorry

Mais ce n’est pas le cas de tous.tes ses petits camarades avec qui elle passe la majeure partie de son temps à la Garderie Deux Minutes Papillon (meilleure garderie en ville, en toute subjectivité). Alors quand on a appris que la directrice, Anaïs Petitprez, envisageait de faire venir une drag à la garderie… On croyait rêver. Mais non.

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« L’année dernière, une amie m’a parlé de cette heure de conte présentée par une drag queen. J’ai adoré l’idée et je l’ai gardée dans un coin de ma tête. L’acceptation de soi, faire de nos différences une force, l’ouverture d’esprit et la tolérance sont des sujets très importants pour nous. Ce sont des valeurs que nous voulons enseigner aux enfants, car la génération de demain, c’est eux », explique simplement la directrice, comblée par l’intervention de Barbada. « Ses choix de livres, la manière de les conter et les interactions avec les enfants, tout est génial. Les enfants ont posé des questions et l’ont trouvé « très belle avec ses cheveux multi couleurs » et « sa belle robe avec des paillettes »… Les éducatrices aussi sont retombées en enfance ! »

Ouverture, acceptation, estime de soi

Cela fait bientôt 4 ans que Barbada alias Sébastien Potvin, prof de musique au primaire en plus d’être drag queen depuis 2005, propose des « heures du conte » dans diverses bibliothèques, libraires et garderies québécoises. En français, comme en anglais, elle lit des histoires colorées, touchantes et drôles qui traitent d’ouverture, d’acceptation et d’estime de soi. « Mon but c’est d’éduquer ! Combiner l’enseignement et la drag, ça s’inscrit parfaitement dans ce que je veux faire et dans l’idée de propager un message d’ouverture ».

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En matière de livres, la drag queen se fie généralement aux suggestions des bibliothécaires. Ses préférés ? Des contes avec des animaux, car les messages passent mieux. « J’adore l’histoire du crocodile qui a peur de l’eau et qui ne comprend pas pourquoi alors que tous ses amis adorent ça. Finalement, il va découvrir que c’est parce qu’il est un dragon… Bref, c’est très mignon et ça traite subtilement de l’acceptation des différences. Parce que c’est correct d’être différent ! Tout comme l’histoire de la princesse qui voulait un cheval et qui reçoit un poney dodu pour sa fête. Et finalement, tous les guerriers finissent par tomber en amour avec son poney et c’est comme ça qu’elle remporte la victoire ! » (rires), raconte Barbaba qui fait toujours un effet fou face aux enfants.

«J’adore l’histoire du crocodile qui a peur de l’eau et qui ne comprend pas pourquoi alors que tous ses amis adorent ça. Finalement, il va découvrir que c’est parce qu’il est un dragon… Bref, c’est très mignon et ça traite subtilement de l’acceptation des différences.»

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« Quand j’apparais devant eux, c’est le silence TOTAL ! (rires) Ils ne disent plus rien, ils sont littéralement bouche bée. Les plus vieux (6 ou 7 ans) me disent parfois que je suis juste un monsieur, alors je les corrige en disant que je suis une drag queen. Je leur explique ce que ça signifie et j’élargis le débat », raconte Barbada qui espère un jour pouvoir débarquer dans une garderie accompagnée d’un drag king. « Comme les drag queens, les drag kings sont des personnages capables de s’adapter en fonction de leur public : on peut très bien lire des contes pour enfants dans les garderies ou bibliothèques, et puis faire des blagues grivoises le soir pendant un show. L’un n’empêche pas l’autre. »

Du côté des parents, la magie a également opéré. Sur le groupe Facebook privé de la garderie Deux Minutes Papillon, les messages de remerciements ont fusé. « Bravo bravo! Merci pour ces beaux messages passés à nos petits » ; « Vous êtes incroyables!!! C’est la meilleure garderie dont je pouvais rêver pour ma fille!! » ; « Je suis tellement jalouse des enfants! haha » ; « Merci pour tous ces moments de magie », etc. « Évidemment, je ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe dans une garderie. On s’organise et on discute en amont avec le personnel pour que tout soit ok. Alors, généralement, je ne reçois que de bons échos suite à mon passage », raconte la drag queen qui ne tient pas compte de ses éventuels détracteurs, souvent les mêmes chroniqueurs d’un journal dont le nom nous échappe (étrangement).

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Bref, Barbada a mis des paillettes dans les yeux de tout le monde ce soir-là dans la garderie de la Petite-Patrie. Et par les temps qui courent, ça ne peut pas faire de mal. « Ça a apporté beaucoup de joie et de gaieté. On en a besoin en ce moment ! On va réitérer l’expérience, c’est sûr et certain. Barbada a une approche incroyable avec les enfants », lance Anaïs qui recommande ses services aux autres garderies. « Et puis ce genre d’activités permet d’ouvrir les discussions avec les parents le soir à la maison, c’est super important ».

FORCE ET Paillettes

C’est super important, oui, d’ouvrir le dialogue. De faire de la place pour libérer la parole entre parents et enfants, de montrer aux petit.es qu’il faut de tout pour faire un monde où le respect de l’autre, la bienveillance et le consentement sont prioritaires. Parce que si c’est clair dans nos esprits privilégiés, ça l’est peut-être moins dans celui de nos voisin.es. En tant que parents homos, on en a peut-être davantage conscience.

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Je me souviens encore du stress que j’avais à l’idée de confier Cameron à des inconnu.es, sans avoir d’autres choix que de leur faire confiance aveuglément. Ça m’a hantée longtemps, j’ai mis du temps à accepter l’idée de la mettre dans une garderie. « Et s’ils étaient homophobes à la garderie ? Et si tout le monde la regardait bizarrement à cause de nous ? », etc. Chat échaudé craint l’eau froide, comme on dit. J’avais même assisté à une conférence sur l’école à la maison, histoire de me convaincre que c’était la meilleure solution dans une société comme la nôtre, généralement peu encline à l’acceptation des différences, justement.

J’en avais parlé à mes parents et beaux-parents, conscients des enjeux, mais toujours tournés vers « l’intérêt de Cameron ». Ils avaient raison. On n’a pas fait un enfant pour le garder pour nous. On a fait un enfant pour lui permettre de vivre sa meilleure vie sur cette Terre à ce moment précis. Malgré les épreuves qui l’attendent au tournant, comme tout le monde.

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Mais c’est en publiant une photo de Barbada à la garderie sur mon compte Facebook/Instagram, et en voyant les réactions (positives) suscitées que j’ai vraiment réalisé l’impact d’un tel (petit) événement, banal à mes yeux, mais si précieux pour la société de demain.

«Pour des parents LGBTQ+, il n’y a rien de plus rassurant que de savoir qu’une partie de notre univers rejoint celui de la garderie de notre enfant. Ne serait-ce que le temps d’une histoire ou deux.»

« Pour des parents LGBTQ+, il n’y a rien de plus rassurant que de savoir qu’une partie de notre univers rejoint celui de la garderie de notre enfant. Ne serait-ce que le temps d’une histoire ou deux. Ça a été un gros moment de fierté de mon côté… Ça me réchauffe encore le coeur d’ailleurs », me confiait encore ma moitié hier soir quand je lui disais que j’aurais adoré découvrir les drag queens du haut de mes 2 ans, moi. Que ça m’aurait peut-être permis de déployer plus sereinement mes ailes de « petit garçon manqué » qui n’a d’ailleurs jamais compris ce terme.

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Ma tante aussi, qui vit en France, a été touchée en voyant la photo de Barbada au milieu de la garderie. « Ça me touche cette ouverture d’esprit bienveillante. En France, on ignore ou on rejette encore trop souvent nos différences. Là-bas, vous en faites une force, c’est juste beau à voir. »

Mais les temps changent. Barbada m’a fait savoir que le concept faisait aussi son petit bout de chemin en France grâce à Shanna Banana qui aurait ouvert la voie dans certaines garderies. En espérant que le projet dépasse encore bien des frontières. À suivre…