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Quand j’ai avorté

Les Cahiers de Dorothée Caratini.

Par
Dorothée Caratini
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Avant d’être maman, je ne voulais pas avoir d’enfant. Il n’y a rien d’incroyable là-dedans, il n’y a pas d’instinct maternel, on ne naît pas avec un désir d’enfant cloué dans le bide et en plus on a le droit de changer d’avis.

Être mère, par-ailleurs, ne me définit pas. C’est une partie de moi. Le jour où j’ai accouché la première fois, j’ai entendu des jeunes mamans dire qu’elles se sentaient désormais « complètement femmes ». Je dois vous le dire : j’ai rarement entendu quelque chose d’aussi con. D’abord, faut s’entendre sur ce qu’est « être une femme ». Les femmes trans, ou qui ont des problèmes de fertilité, ou qui ne veulent pas d’enfant, par exemple, sont-elles moins des femmes ? Quand on commence à vouloir standardiser les personnes pour rentrer dans des stéréotypes de genre, c’est mal barré pour l’ouverture d’esprit. Une femme doit-elle avoir des cheveux longs, des enfants, une voiture familiale et une maison avec un chien pour être une « vraie » femme ?

L’important, c’est d’avoir le choix. D’avoir les moyens d’avoir le choix, surtout.

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J’ai changé d’avis concernant la maternité vers 35 ans mais j’aurai pu aussi bien camper sur ma position. En la matière comme dans beaucoup d’autres, et en particulier en ce qui concerne la vie personnelle, toutes les positions son valables, aucune n’est « au-dessus » de l’autre. L’important, c’est d’avoir le choix. D’avoir les moyens d’avoir le choix, surtout.

Mon histoire est très banale, elle n’a rien de spectaculaire. Je ne pense jamais à cette potentialité d’enfant que j’ai choisi de ne pas avoir.

Quand j’ai commencé à avoir une vie sexuelle, j’avais dix-sept ans, j’étais assez bête, naïve, j’avais peur, je cherchais juste à plaire. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai rencontré un type qui avait 14 ans de plus que moi (je me sens coupable, encore aujourd’hui, d’avoir vécu cette relation de quelques mois, alors qu’il y aurait beaucoup à dire sur la position de ce type qui drague et met dans son lit des ados à peine majeures). Il était entre le punk et le hippie, il faisait de la musique, il avait des cheveux longs, il était anticapitaliste, tout pour me plaire quoi. Je ne faisais attention à rien, parce que je pensais que cela n’arrivait pas comme ça, que c’était pour les autres. Quoi donc ? Tomber enceinte, pardi.

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L’expression « tomber enceinte », je le sais, et je le comprends, déplaît à beaucoup de personnes. Mais ce cas-là, j’ai bien envie de la conserver. Ça m’est vraiment tombé dessus, comme un coup de massue. Je sortais à peine du lycée, c’était l’été. J’étais chez mes parents. Je n’avais pas de carte de sécurité sociale. Mon « mec » était encore sur le lieu où nous étions partis en vacances. Il a tout de suite balancé un élégant « mais qu’est-ce que tes parents vont penser de moi ? ». Évidemment, je voulais avorter, ça ne faisait pas un pli.

Si j’avais gardé ce bébé, je l’aurais élevée seule. Être mère célibataire à 18 ans ce n’était pas mon projet de vie.

Pour lui non plus, il n’y avait pas de doute, d’ailleurs il était plutôt habitué à genre de situations. « Tu es ma troisième copine à qui ça arrive ». Je vous ai bien ajouté un peu plus de brusquerie, ça ira ? Avec ceci, un peu de goujaterie ? (Il me trompait avec une femme qui bossait au camping où il se trouvait, je l’ai appris après). Je ne pouvais pas compter sur JeanMi-le-Hippie. Autant vous le dire, si j’avais gardé ce bébé, je l’aurais élevée seule. Être mère célibataire à 18 ans ce n’était pas mon projet de vie, même si, ok, je n’avais aucun projet défini, sauf partir trois mois en stage dans une compagnie de théâtre dès le mois de septembre. Je n’avais pas envie de débarquer avec une grossesse au début de ma vie active.

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On peut toujours faire le jeu des « si ». Que se serait-il passé si j’avais gardé cet enfant ? Si je l’avais gardé, j’aurais sans doute dû arrêter mes études. Je l’aurais élevé chez mes parents avec l’aide de ma mère, qui, la pauvre, avait déjà dû s’occuper de quatre enfants dont une paire de jumeaux. Ah, ma mère, elle aurait été super, notez.

J’ai désiré des enfants tardivement quand je me sentais prête.

Mais dans la vraie histoire, elle est morte en décembre de la même année, quatre mois après mon avortement, d’un cancer généralisé qui n’avait pas été détecté. Les études ? Je les ai arrêtées quand même. Admettons, je garde l’enfant, ma mère meure, j’accouche quelques mois après, et donc ? Je n’ai pas de formation, pas d’argent, j’arrive à peine à m’occuper de moi à cette époque. Je suis empotée, je ne connais rien de la vie. J’ai un nourrisson. Tout ce que je peux imaginer, là, c’est la dépression bien cognée que j’aurais faite.

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Rien que d’imaginer ça, j’en frémis. Surtout quand je m’observe en tant que maman aujourd’hui : je n’aurais sans doute pas du tout pigé ses besoins, j’aurais manqué de patience, de ressources, d’aide. J’ai désiré des enfants tardivement quand je me sentais prête.

J’ai fait la seule chose à faire : je suis allée au Planning familial, toute seule. J’ai été assez bien reçue et écoutée. On m’a prise en charge rapidement. J’étais assez isolée, car nous étions en pleine période de vacances scolaires, mais j’avais une amie qui m’a aidée comme elle a pu à supporter cette grossesse non désirée. Ma mère savait ce que je traversais mais elle n’a pas été très aidante. Elle était déjà affaiblie par la maladie, sans savoir ce qu’elle avait, et en plus mon père, qui n’avait pas été informé de ma situation, l’a quittée à ce moment-là.

Le tableau n’était pas vraiment idyllique, pour moi. Mon copain était loin, ma mère au bout du rouleau (et je la comprends tellement, aujourd’hui), les copines en vacances, des nausées terribles dès les premiers jours de la grossesse, un stage professionnel qui débutait le 1er septembre et surtout une grosse envie de ne pas être mère.

« Personne n’a le droit de décider à la place des personnes concernées »

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Donc, j’ai réussi, la veille du début de mon stage, à être avortée. Une opération courte sous anesthésie générale, ma première. Le contexte dans lequel cela s’est passé n’a pas été agréable mais l’IVG en elle-même ne m’a causé aucun traumatisme, aucun malaise idéologique ou spirituel, je n’ai pas hésité et surtout je ne l’ai jamais regretté. Et même si je l’avais regretté, cela ne remettrait pas en cause le droit à avorter pour les femmes.

Comme je l’ai dit plus haut, mon avortement est banal. Il a eu lieu dans un endroit sécurisé, il a été pratiqué par des professionnels, j’ai été accompagnée par des personnes compréhensives. Tout n’a pas été optimal, il y a bien eu quelques remarques désagréables, je n’y ai pas attaché trop d’importance, j’étais dans une autre urgence, celle de vivre ma vie, même si je ne savais pas que ce qu’elle allait être.

Quel que soit la situation, le contexte, la position de la famille, du petit copain, on ne peut pas obliger une femme à continuer sa grossesse (ni, bien sûr, l’obliger à l’interrompre si elle ne le veut pas), on ne doit pas. Une femme doit garder le pouvoir sur sa vie. Cela ne m’intéresse pas de savoir quel genre de mère j’aurais été à 18 ans ni comment aurait grandi cet enfant. Ce qui m’intéresse, c’est qui je suis maintenant, une personne qui continue de grandir et de gagner en maturité. Je n’impose à personne d’avorter, ou d’avoir des enfants, ou d’en vouloir. Je n’ai pas besoin d’assouvir un besoin de pouvoir sur les autres pour me sentir bien dans mes baskets. « Personne n’a le droit de décider à la place des personnes concernées », comme l’explique Justyna WydrzyŃska.

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Je suis une femme, je suis une mère, isolée, seule avec deux enfants, deux petites filles dont je souhaite pour elles qu’elles aient toujours le choix et qu’elles deviennent des personnes libres (avec des enfants ou non).