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Avortement en Pologne : Justyna risque la prison pour une pilule

Le 14 juillet, la féministe Justyna Wydrzyńska devrait savoir si elle ira en prison pour avoir envoyé une pilule abortive.

Par
Elie Hervé
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Ce jour-là, les policiers l’attendaient chez elle. Son mari les avait appelés. Anna rentrait de la poste avec son bébé dans les bras. Dans sa main, les clés de la porte d’entrée et une enveloppe. À l’intérieur de ce carré blanc, un numéro de téléphone et une pilule abortive.

« Ils ont utilisé la force pour l’empêcher d’avorter », explique Justyna Wydrzyńska, 47 ans, militante du collectif Aborcyjny Dream Team (ADT). C’est elle qui lui a fait parvenir cette enveloppe. Pour cette action, Justyna risque trois ans de prison. Son procès devrait se tenir le 14 juillet.

Dans le local de l’association, baigné par le soleil de Varsovie, Justyna se replonge dans ces souvenirs. « Ils m’attaquent moi parce qu’elle n’a pas pu avorter, qu’ils ne peuvent rien lui reprocher et que je suis une activiste. »

Quand elle a découvert qu’elle était enceinte, Anna voulait avorter en Allemagne. Seulement, son mari commence à lui faire du chantage. Si elle part, c’est à elle de s’occuper de leur bébé. Son mari, un homme que Justyna décrit comme violent, ne prendra pas en charge sa garde. Aucun problème, lui répond Anna. Elle s’occupe de leur bébé depuis sa naissance, une semaine de plus ne changera pas beaucoup son programme. Cela lui demandera juste plus d’organisation.

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Il la menace alors de la dénoncer à la police pour enlèvement, si elle passe la frontière avec leur bébé. Une façon radicale de l’empêcher d’avorter. Seule solution pour Anna : trouver une pilule abortive de façon discrète, en Pologne, l’un des pays dans les plus restrictifs d’Europe pour l’accès à l’avortement, rappelle Amnesty International.

Pancarte pro-avortement dans les locaux du collectif Aborcyjny Dream Team (ADT).
Pancarte pro-avortement dans les locaux du collectif Aborcyjny Dream Team (ADT).

Les personnes qui souhaitent avorter en Pologne doivent avoir été victimes de viol et pouvoir le prouver ou être en danger de mort. En 2020, selon les chiffres officiels récoltés par les associations, seules deux femmes ont réussi à avorter en Pologne après un viol. C’est-à-dire, que leur plainte n’a pas été classée sans suite, que le procureur a reconnu les faits, qu’elles ont eu une lettre à présenter à un hôpital qui a accepté de pratiquer l’avortement.

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Pour des raisons de santé, elles sont 21 à avoir obtenu le droit de procéder à un avortement médicalisé en 2020. Et depuis 2021, l’accès s’est encore durci. Le tribunal constitutionnel a interdit l’avortement si le fœtus est malade ou a une malformation. Aussi, pour éviter des poursuites ou parce qu’ils et elles s’estiment légitimes à refuser un avortement, les médecins polonais.es retardent de plus en plus les IVG (interruptions volontaires de grossesse). Ce qui conduit à des drames.

En novembre 2021, Izabela, 30 ans, est morte d’une septicémie. Sa grossesse ne pouvait se poursuivre parce qu’elle n’avait pas de liquide amniotique. Mais, les médecins ont attendu que le cœur du fœtus arrête de battre. Quelques mois plus tard, en janvier 2022, c’est Agnieszka, 37 ans, qui meurt, elle aussi d’une septicémie. Enceinte de jumeaux, elle a dû garder le fœtus décédé pendant sept jours dans son corps. Ce qui l’a tuée.

Dans une relation d’emprise et de violences, Anna, elle, veut avorter. Si ce n’est pas possible à l’étranger, elle est déterminée à trouver une solution en Pologne. Elle se tourne alors vers une association féministe d’aide autour de l’avortement. Pour éviter toute poursuite, les pilules abortives viennent d’associations étrangères. Car selon le code pénal polonais, avoir des pilules abortives ou avorter seule n’est pas illégal. En revanche, toute aide apportée en dehors des deux motifs prévus par la loi est passible de trois ans de prison.

Justyna Wydrzyńska, militante pour l’avortement et poursuivie par la justice polonaise. Ici posant dans les locaux de son collectif Aborcyjny Dream Team (ADT).
Justyna Wydrzyńska, militante pour l’avortement et poursuivie par la justice polonaise. Ici posant dans les locaux de son collectif Aborcyjny Dream Team (ADT).
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Seulement, avec la pandémie de COVID et les confinements, Justyna redoute que l’envoi pour Anna prenne trop de temps. « J’ai senti que je devais l’aider. Elle était dans une situation de violence énorme, comme j’avais pu l’être il y a quelques années en 2006, quand j’avais avorté. »

Chez elle, elle a une pilule abortive « pour [s]on usage personnel », qu’elle décide de lui faire parvenir, avec son numéro de téléphone « si jamais elle avait besoin d’aide ». Depuis, Justyna est poursuivie pour « mise en circulation de médicaments sans autorisation ». Son procès a été repoussé à plusieurs reprises et devrait se tenir, cette fois-ci, le 14 juillet.

Avec le contexte actuel et le soutien qu’elle reçoit, Justyna espère que son cas, éminemment politique, permettra de redéfinir les frontières de l’avortement en Pologne. « Je suis en procès parce que je suis militante pour le droit à l’avortement. Si je suis condamnée, cela peut être catastrophique pour toutes les activistes féministes polonais·es. »

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D’un œil, elle montre les pancartes dans un coin du local qui attendent la prochaine action. « La seule bonne raison pour avorter, c’est de ne pas vouloir de bébé. C’est tout. Personne n’a le droit de décider à la place des personnes concernées. »

Quant à Anna, sa grossesse n’est pas allée à son terme.

La Warsaw Pride, le 25 juin, dans le centre de Varsovie, avec ici une personne dans un des chars de la Pride montrant une pancarte pro-avortement où il est écrit : « avortement légal en 2022 ».
La Warsaw Pride, le 25 juin, dans le centre de Varsovie, avec ici une personne dans un des chars de la Pride montrant une pancarte pro-avortement où il est écrit : « avortement légal en 2022 ».