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Pourquoi les Youtubeurs violentent-ils ?
Ce n’est, hélas, pas la première fois que cela arrive. Après Baptiste Mortier-Dumont, alias ExperimentBoy, mais aussi le Youtubeur Norman Thavaud, ou encore Léo Grasset, alias DirtyBiology, c’est au tour de TheKairi78 d’être accusé de violences sexuelles. D’après Le Parisien, une enquête pour viol a été ouverte par le parquet de Paris. Le vidéaste, déjà épinglé pour avoir entretenu une relation avec une ado de 16 ans, nie les accusations.
Toutes ces affaires ont une chose en commun : la question de l’influence des idoles sur leurs fans. En août 2018, dans l’élan du mouvement #BalanceTonYoutubeur, Squeezie avait déjà jeté un pavé dans la mare en postant un tweet au sujet des Youtubeurs qui « profitent de la vulnérabilité psychologique des jeunes abonnées pour obtenir des rapports sexuels ». À l’époque, aucune plainte n’avait encore été officiellement déposée.
« Je crois que la relation de confiance qui se crée, avant même que tu parles avec ton Youtubeur préféré, est déjà là parce que tu le vois chez lui dans ses vidéos, t’as l’impression de le connaître, et que c’est une bonne personne. Je pense que c’est pour ça que je lui faisais une confiance quasi aveugle. Je pensais savoir qui il était et je me suis rendue compte que je me trompais », nous expliquait Maggie Desmarais, la Québécoise qui a conservé de nombreuses traces de sa relation virtuelle de 9 mois avec Norman.
« c’est en partie aux politiques de penser ces questions et enjeux-là »
Gabriel Segré, sociologue à l’Université Paris-Nanterre, confirme la relation de confiance qui existe d’emblée entre les fans et leurs idoles influenceurs. « Les ados font souvent pleinement confiance aux Youtubeurs, en partie parce qu’ils sont à un moment charnière de leur existence où ils essaient de se constituer une culture qui leur est propre. C’est une période au cours de laquelle ils veulent s’affranchir de certaines tutelles comme les parents, les profs, etc. En quête de modèles, de figures tutélaires, ils ont tendance à accorder leur confiance à des “grands frères”, des jeunes, des membres du groupes de pairs, etc. Le Youtubeur est finalement perçu comme assez légitime du fait de sa jeunesse, de son expertise, du nombre d’abonnés, de sa validation par les autres pairs. Il peut prendre le relai, en termes de modèle et de référence, du parents puis du frère ou de la sœur ainé.e. Le Youtubeur devient alors leur expert préféré », explique le sociologue qui ne prétend pas avoir la science infuse sur le sujet mais qui confirme, en faisant preuve de bon sens, la manipulation dont certaines idoles d’internet peuvent faire preuve.
« Certains Youtubeurs peuvent effectivement parvenir à détenir facilement et rapidement un fort pouvoir d’influence en touchant un public extrêmement influençable, vulnérable et manipulable. C’est un public qui a besoin de placer sa confiance dans un certain nombre de figures tutélaires, de modèles, de personnages identificatoires, etc », précise Gabriel Segré. « Toutes les conditions sont souvent réunies pour qu’il y ait manipulation mais ça ne veut pas dire qu’il y a forcément manipulation. C’est la même chose dans le rapport entre un enfant et un adulte où il y a possibilité d’une extrême manipulation, parce que l’enfant est prêt à faire une confiance aveugle à l’adulte. Mais tous les adultes n’en profitent pas, heureusement. »
Pour le sociologue, cela ne fait aucun doute, c’est en partie aux politiques de penser ces questions et enjeux-là, sur la façon dont les Youtubeurs s’adressent aux jeunes. « Mais la capacité de lutter contre les formes de manipulation, la conscience du danger, la prise de
distance à l’égard d’énoncés, de propos, d’injonctions, le regard critique sur des influences, entre autres, s’acquièrent également dans des environnements formateurs, des espaces d’éducation : la famille, le collège, le lycée, ou encore le groupe de pairs. Ainsi, les parents, les enseignants, parfois les copains peuvent contribuer à former, éduquer, avertir, prévenir, protéger, etc », ajoute Gabriel Segré avant de préciser que la manipulation, quelle qu’elle soit, s’exerce avec une plus grande efficacité, sur des personnalités fragiles. « Une prise d’autant plus grande que le doute et le manque d’assurance sont importants. »
Code d’éthique et règles à suivre
Selon Myriam Dubé, professeure à l’École de Travail social de l’UQAM, il est surtout urgent d’encadrer ces rapports d’influence entre fans et “idoles d’internet”, quitte à lancer des campagnes de sensibilisation dans les écoles mais aussi auprès des parents, sans les culpabiliser. « Les parents ne peuvent pas suivre les faits et gestes de leurs enfants à la trace sur internet, c’est très difficile. Moi, dans ces situations d’emprises entre fans et Youtubeurs, cela me paraît important qu’il y ait un code d’éthique pour les Youtubeurs avec des balises », lance la prof selon qui des Youtubeurs arrivent à influencer certains internautes lorsque l’extimité prend le dessus (ndlr, une exposition des côtés de soi qui relèvent habituellement de l’intimité).
D’après Myriam Dubé, il y a aussi une question de sensibilisation sociale (de la part des systèmes à l’intérieur desquels l’enfant évolue avec les autres : école, centres pour jeunes, entre autres) à faire par rapport aux liens que les jeunes peuvent entretenir avec les Youtubeurs. « Ça pourrait passer par des cours d’éducation sexuelle où on aborderait la question des rapports de pouvoir dans les relations d’intimité et d’extimité des jeunes, par exemple. Il faut sensibiliser les parents, les enseignant.e.s et la population en général et se poser cette question : comment soutenir les jeunes dans ces moments-là ? », rapporte la professeure qui précise que, bien souvent, les Youtubeurs n’ont pas été non plus sensibilisés à ce potentiel rapport de pouvoir et à l’engouement des fans. « Pourtant, il faut que les Youtubeurs conscientisent de façon critique les nombreux privilèges qu’ils possèdent et qui les placent dans des rapports de pouvoir inégaux avec leurs fans. Des Youtubeurs peuvent rapidement devenir des personnages charismatiques, c’est sûr », explique la professeure qui rappelle que ce sont des rapports de pouvoir qui se jouent entre fans et idoles. « Très souvent, ce sont aussi des rapports de pouvoirs genrés et c’est encore plus complexe lorsqu’il s’agit de fans mineur.es. »