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Pourquoi la dernière Une de Marie-Claire est (encore) à côté de la plaque
Comme moi, vous avez peut-être aperçu la Une du numéro d’août de Marie-Claire, dans les kiosques depuis ce jeudi : on y voit une photo non retouchée de la mannequin Arnelle Slot afin de “célébrer le corps féminin et l’acceptation de soi”. Comme moi, vous avez peut-être eu envie d’y foutre le feu, comme si l’autodafé avait ce pouvoir de changer les choses. Pourquoi tant de rage ? Parce qu’on est en 2021 et que les “grosses” rédactions continuent à faire semblant de prendre les vrais sujets à bras le corps. On vous explique l’ampleur du problème.
Désolée pour Arnelle Slot qui voulait peut-être faire avancer les choses en se mettant à nue telle qu’elle est. Mais sur cette Une, on y voit simplement une énième mannequin au corps normé, épilé, et un filtre qui cache toutes possibilités d’imperfections. Personnellement, je ne vois aucune différence avec certaines autres Unes… Et c’est ça qui me chiffonne : soit Marie-Claire pense vraiment avoir créé une révolution avec cette Une banalement patriarcale ; soit Marie-Claire se fout de nous et en profite pour surfer sur le body positive sans réellement savoir ce que ça recouvre.
Mais en même temps, est-ce vraiment possible de considérer cette photo non retouchée, tétons qui pointent, prise en contre plongée comme une avancée ? Je suis peut-être naïve mais j’espère que les équipes de Marie-Claire ont eu des débats enflammés avant de publier cette Une. Et que leur gender editor (ndlr, je sais qu’ils n’en ont pas mais laissez-moi rêver) s’est arraché les cheveux à force d’essayer de se faire entendre. Ou d’essayer de se mettre iel-même en Une, histoire de sauver les meubles et l’image de marque au passage.
Gender editor : Mais moi ! Moi ! Moi ! Je suis anormalement normal.e dans mon genre, prenez-moi en photo avec mes poils, ma coupe cheloue, mes tatouages Malabar, mes seins qui tombent et mes fesses molles. LÀ, ON POURRAIT FAIRE LA DIFFÉRENCE ! On ne voit jamais ça. Sauf dans la vie de tous les jours.
Marie-Claire : Non mais ça va pas… Qui va vouloir acheter un magazine avec un ersatz humain en Une comme toi ? Pas grand monde, hein. Je suis même pas sûre que tes tétons pointent. T’as des tétons, au fait ? Non mais reste plutôt dans l’ombre, aide-nous à comprendre toutes ces nouvelles théories sur le genre, la libération des corps, etc. T’es là pour ça. On a surtout besoin de ton cerveau.
Imaginez la scène. Trop bon.
Non mais parce que ce qui aurait été vraiment révolutionnaire, pour “célébrer le corps féminin et l’acceptation de soi”, ça aurait été de montrer Mx Toutlemonde avec ses hauts, ses bas, ses vergetures, ses bouts de gras, ses poils, ses cicatrices de césarienne ou de mastectomie, ses grosses blessures, ses petits bobos, ses rougeurs, ses noirceurs, et sa vulnérabilité humaine quotidienne captée sous l’oeil bienveillant d’un.e photographe, conscient.e des ravages du male gaze.
Pourtant, dans l’édito, on retrouve ce champ lexical qu’on aurait aimé voir retranscrit à l’image : “aimer son corps reste une traversée intime, un chemin initiatique complexe, souvent douloureux”. Quel rapport avec cette Une ? Aucun. Il fallait encore et toujours susciter le “désir” chez le lecteur moyen. Existe-t-il encore d’ailleurs…
Mais Marie-Claire n’est pas prête : elle se contente d’une photo non retouchée, par peur de quoi ? De casser trop vite les codes et les inégalités ? De montrer la vraie vie, dans son plus simple appareil et dans son inquiétante étrangeté ? Et si Marie-Claire était moins prête que la société ? Et si c’était la faute à Marie-Claire et certains de ses consoeurs/confrères si on en était encore là, dans le même merdier inégalitaire, en 2021 ?
Marie-Claire, conseil d’ami.e : si tu veux qu’on se retourne sur ta prochaine Une, qu’on s’y arrête et qu’on prenne le temps de lire ce qui se cache à l’intérieur (ndlr, à part la Une, le numéro d’août n’est pourtant pas si catastrophique, mais le mal est fait), réinvente-toi. Ou disparais. C’est comme le dérèglement climatique, on n’a plus le temps d’attendre et d’accepter que l’erreur est humaine. On a besoin de solutions et de passer à l’action.