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Pourquoi la dépression post-partum de l’autre parent reste taboue
Le corps qui change, le sentiment d’isolement, les hormones qui font les montagnes russes… Depuis peu, des mères déconstruisent le mythe de la maternité pour mettre en lumière les difficultés physiques et psychologiques qui surviennent parfois après l’arrivée d’un bébé. Mais il y a des voix que l’on n’entend toujours pas : celles des parents qui ne portent pas l’enfant dans leur ventre, et qui sont pourtant eux aussi concernés par la dépression post-partum.
« Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas pris dans la chair qu’ils sont privés de l’expérience sensorielle d’une grossesse “par procuration”. Le corps est une caisse de résonance », rappelle Nathalie Lancelin-Huin, psychologue spécialisée dans la périnatalité. La souffrance psychologique pour les parents qui ne vivent pas la grossesse (papa, co-maman, parent adoptif) est « non seulement plausible et possible, mais elle existe ». Elle est même plutôt courante puisque d’après les chiffres, plus de 10 % des pères vivent une dépression post-partum. Quant aux parents non biologiques, le Centre d’études et de recherches en psychopathologie de l’université Toulouse II avait décelé des symptômes de dépression post-adoption sur 17 % des 122 mères participantes à l’étude.
LE CAP DE LA PARENTALITÉ
Passer de couple à parents, être investi de nouvelles responsabilités, trouver sa place dans une famille en construction, être spectateur d’un lien biologique que l’on n’a pas… Devenir parent n’est pas inné, le cinéaste Rodolphe Viémont en sait quelque chose. « Quand ma fille est née, tout à coup j’avais une responsabilité qui me dépassait et m’interdisait beaucoup de choses. Je ne pouvais plus diriger ma vie comme je l’entendais, j’étais bloqué ». L’artiste a même consacré un film à ce sujet, Pour Ernestine, dans lequel il raconte l’imbrication entre sa bipolarité, l’arrivée de sa fille et sa dépression post-partum.
Josiane non plus, n’a pas goûté tout de suite aux joies de la maternité. C’est sa compagne qui a porté leur petit garçon, mais quand celui-ci est né, les choses ont pris une tournure inattendue. « Ça a été une grosse claque, se souvient-elle. J’avais l’impression que ma conjointe prenait beaucoup de place et je ne savais pas comment me comporter avec le bébé. Je voulais être la mère parfaite, mais il n’y avait pas de mode d’emploi ». Quand le bébé pleure, elle lui donne le biberon, change sa couche, mais rien à faire, les pleurs continuent et la jeune maman se sent vite dépassée. Mais au lieu d’en parler, la Québécoise reste seule avec ses craintes : « J’avais beaucoup de difficultés à verbaliser tout ça, à aller vers mon entourage… Je ne savais pas vers qui me tourner, j’avais peur qu’on pense que je suis une mauvaise mère ».
MAL VIVRE UN « HEUREUX ÉVÉNEMENT »
Avouer sa détresse après l’arrivée d’un « heureux événement » reste en effet compliqué pour de nombreux parents, quand bien même il s’agit d’une réaction courante. « La dépression de façon générale est taboue, alors que dire de la dépression maternelle et d’une mère qui défaille ? », constate Nathalie Lancelin-Huin. Le tabou se resserre encore lorsque cette maladie psychique touche le parent qui n’a pas vécu la grossesse, qui constitue la dernière pièce de ces poupées russes du silence. « Imaginez à quel point vous partez de loin en évoquant la dépression de l’autre parent ou pire encore, d’une mère dite “non biologique”, même si je n’aime pas ce terme… Elle qui a tant désiré un enfant et qui craque maintenant que le bébé est là, alors qu’il est justement compréhensible qu’elle se relâche une fois arrivée au bout du chemin. »
L’injonction à se sentir immédiatement comblé de bonheur dans cette nouvelle configuration prend d’ailleurs au dépourvu les parents eux-mêmes, qui n’y sont souvent pas préparés. « J’ai fait des dépressions toute ma vie, mais que ma dépression soit liée à la naissance de ma fille, je ne l’avais jamais envisagé… Pour moi, ça allait être une libération », retrace Rodolphe Viémont. À tel point qu’il n’a identifié l’origine de sa dépression que lorsqu’il en est sorti et qu’il a eu le déclic. « Quand ma fille m’a dit “non” pour la première fois, j’ai réalisé qu’elle n’était pas le prolongement de moi-même, mais que nous étions deux êtres dans une relation d’altérité. »
LA PLACE RÉCENTE DE L’AUTRE PARENT
Mais avant d’en arriver là, un an s’est écoulé sans que le cinéaste n’exprime son mal-être. « Je n’ai pas pour habitude de partager mes états d’humeur à tout le monde et cette dépression n’a pas fait exception, personne n’a été au courant », se souvient-il. Un silence qui s’explique en partie par le caractère récent de la place des pères dans l’histoire de l’obstétrique : on ne s’intéresse à la manière dont ils vivent la grossesse, le deuil périnatal ou leur nouvelle parentalité que depuis « une cinquantaine d’années » estime à la louche Nathalie Lancelin-Huin. Suivant la logique graduelle de cette évolution, les parents non biologiques n’ont pas encore réellement voix au chapitre.
Et puis, si le parent qui a porté l’enfant rencontre lui-même des difficultés psychologiques, l’autre est censé l’aider, le soutenir. Dans ce contexte, vivre également une dépression post-partum ajoute une pression supplémentaire. « Si les deux s’écroulent, qui va tenir la barre ? », résume la psychologue. À Trois-Rivières, chez Josiane, c’est sa compagne qui a pris les choses en main. « Elle m’a conseillé d’aller consulter, m’a vraiment épaulée et laissé toute la place dont j’avais besoin. Ça a été long, mais j’ai pris confiance en moi et créé un lien super fort avec mon fils… Le plus beau dans tout ça, c’est qu’il me considère autant comme sa maman que sa maman qui l’a porté, et c’est super important pour moi. »