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Pourquoi je donnerai mes ovules et même mes embryons

Dans une démarche intime autant que militante

Par
Coline Clavaud-Mégevand
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“Tu veux des enfants ?” Longtemps, je n’ai pas su quoi répondre à cette question, tout simplement parce que je n’en étais pas sûre. Puis, quand j’ai voulu, je n’ai pas pu. Mon couple, constitué d’une femme cis (mézigue) et d’un homme cis (mon mari), est infertile, sans que la science puisse nous dire pourquoi.

Si mon mari et moi sommes aujourd’hui les heureux parents d’un bébé de quatre mois, il nous a fallu presque cinq ans pour en arriver là, dont deux et demi de PMA et une fausse couche douloureuse. Reste que ce parcours a été un succès et qu’en plus de notre fille, nous avons trois beaux embryons qui dorment dans le frigo d’un hôpital parisien. De quoi alimenter notre réflexion sur la question du don.

Le don d’ovules, un choix intime et politique

J’ai lu attentivement le point de vue de Bettina Zourli, qui m’a poussé à donner le mien. J’entends qu’on refuse de donner ses ovules pour raisons personnelles (mon corps, mon choix, toujours). Mais il me semble un peu curieux d’en parler publiquement et encore plus, de fournir des justifications à cette non-démarche, sachant que l’immense majorité des femmes cis ne donneront jamais leurs oeufs. Et puis c’est bien beau, de soutenir la PMA pour toustes, mais comment peut-elle devenir une réalité sans don ?

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Des enquêtes le montrent : de plus en plus de gens rencontrent des difficultés à concevoir et à devoir faire appel au don de gamètes (sperme et/ou ovules). Certaines personnes, parce qu’elles appartiennent à des minorités, vont avoir encore plus de mal à obtenir ce dont elles ont si cruellement besoin. Vous êtes une femme noire et vous voulez un bébé qui vous ressemble ? C’est ce qu’on nomme l’appariement : le fait d’attribuer à la personne receveuse des gamètes qui lui “ressemblent”. Et c’est aujourd’hui très compliqué pour les femmes non-blanches, qui attendent parfois dix ans, parce que le nombre de donneuses racisées est extrêmement faible. Il y a aussi les couples lesbiens et les femmes seules, pour qui l’accès à la PMA reste plus complexe que pour les couples hétéros malgré la loi de 2021. Les lesbiennes n’ont en prime pas droit à la méthode ROPA (le don d’ovocytes de l’une et l’utilisation de l’utérus de l’autre) ; quant aux personnes trans, la PMA leur est tout simplement interdite. Il me paraît donc important de donner ses ovules et de le dire, afin d’aider concrètement les personnes les plus en difficulté et de normaliser tous les actes autour de l’aide à la procréation, un bon moyen de faire changer la loi à terme.

Mes œufs dans ton panier

Mais revenons-en à nos embryons. Sur les forums où on parle de FIV, les femmes – peu d’hommes osent évoquer publiquement leur parcours, sans compter que beaucoup ne s’impliquent que du bout de la queue, selon les gynécologues – les femmes, donc, surnomment leurs graines des “pingouins”. C’est mignon, cette image : des petits piafs noir et blanc qui glissent sur la patinoire d’une boîte de Pétri… Ce que je trouve encore plus joli, c’est l’idée que nos pingouins à nous ne sont pas vraiment nos pingouins. Ce sont simplement des petits groupes de cellules qui ont 25% de chance chacun de devenir un enfant, le nôtre ou celui d’autres personnes.

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En France, selon le site de référence FIV.fr, les patientes attendent en moyenne 12 à 24 mois pour recevoir un don d’ovules, alors que le temps est leur ennemi. Sur le plan physique, d’abord. À partir de 45-50 ans, les chances de nidation d’un embryon deviennent plus faibles, le risque de fausse couche s’accroit et la PMA n’est de toute façon remboursée que jusqu’aux 43 ans de la mère. Vous êtes pressée ? Allez en Espagne avec 5000 à 10 000 euros sur vos comptes et tant pis pour les pauvres. Le temps est aussi une épreuve psychologique : en PMA, on passe les mois le ventre vide et le cœur en berne ; chaque nouvelle annonce de grossesse est comme un clou dans votre cercueil, on ne peut plus voir une amie s’arrondir sans avoir les larmes aux yeux et tant de petits gestes deviennent douloureux – acheter des serviettes hygiéniques, passer devant une boutique de jouets, entendre le bébé des voisins pleurer… J’ai connu cette peine et je sais que je peux y mettre fin pour ces autres qui ont un problème encore plus lourd que le mien. Dois-je y renoncer parce que notre société veut que les femmes fassent des bébés ?

Je suis féministe, du côté très énervé de la force, donc bien placée pour savoir ce que le patriarcat attend de nos trompes. Je sais aussi ce qu’il en coûte de donner ses graines, depuis les piqûres qui font gonfler le corps et rendent le cerveau zinzin jusqu’à la sensation qu’on vous arrache des morceaux d’entrailles lors du prélèvement (sur ce point là, il est grand temps de systématiser les anesthésies générales gratuites). Tout ce cirque pour ensuite envoyer nos mouflets au travail, à se détruire la santé et la planète ?

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Eh bien oui. J’ai beau être très consciente d’évoluer sous les régimes de l’hétéropatriarcat et du capitalisme, qui m’ont certainement poussée à construire une famille traditionnelle, mais j’ai tout de même voulu un bébé. Ne comptez pas sur moi pour expliquer à mes sœurs infertiles que leur envie viscérale de se reproduire leur a été soufflée par un système oppressif, et encore moins que je ne les aiderai pas sous prétexte que moi, Femme Déconstruite™, je refuse tout conditionnement. Il y a la politique et il y a nos histoires à chacun.es, on peut détricoter tout ça jusqu’à l’os, mais il existera toujours, chez certain.es, un désir d’enfant.

Et puis quel plaisir de savoir que nos embryons iront peut-être à des femmes seules, à des lesbiennes voire, un jour, à des personnes trans ? Voilà qui nous irait bien, faire la nique à un système qui encourage la procréation mais sous condition de genre et d’orientation sexuelle.

Faire famille autrement

Je crois fondamentalement que nous avons toustes le droit de faire famille et qu’il est urgent de réfléchir à ce que cela veut dire. Oui, si nos pingouins voient le jour et comme le soulève Bettina Zourli, il se peut qu’ils héritent de nos traumas, puisque la science envisage qu’ils s’inscrivent dans nos gènes, et je travaille suffisamment l’histoire de ma famille chez une psy pour connaître son poids. Mais l’épigénétique n’en est qu’à ses balbutiements et peut-être que les pingouins s’en sortiront très bien, ou même qu’ils hériteront seulement des yeux verts de mon mari. Ça non plus, ça n’a pas vraiment d’importance.

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Croyez-moi, faire famille est bien plus qu’une histoire de gènes communs. Si je suis la mère de ma fille, cela se joue dans son petit lit qui est placé près du mien, dans mes gestes de soin et de tendresse quotidiens, dans nos regards qui se croisent et font naître des sourires. Même si les yeux de nos pingouins sont verts, ceux-là ne me regarderont jamais comme ceux de ma fille et toutes les personnes impliquées dans cette affaire le comprendront bien. La connaîtrai-je même, la couleur de leurs yeux ? Est-ce que ces potentiels enfants chercheront à prendre contact avec nous, puisque la loi leur en donne la possibilité ? Je n’ai pas de problème avec cette incertitude, car si la PMA m’a appris une chose, c’est que lâcher prise peut être une posture confortable, surtout quand par ailleurs, on est habituée aux combats. J’ai choisi que les miens soient fertiles.