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Pourquoi je déteste « Familles nombreuses, la vie en XXL »

Je ne m'énerve pas, je m'exprime.

Par
Stéphane Moret
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Normalement, ce n’est pas mon univers. Parce qu’à son heure de première diffusion, vers 17h20, je suis encore au travail. Mais les jours fériés, ou lors de sa rediffusion en prime-time le week-end, ça m’arrive de tomber dessus avant de changer de chaîne rapidement. Trop tard, le choc est là, le mal est fait, et mes yeux saignent autant que mes oreilles, le trauma est installé. Familles nombreuses, la vie en XXL est une émission de docu-réalité qui suit des familles avec de nombreux enfants (7 au minimum), du lundi au vendredi sur la plus grande chaîne de France, TF1, et qui la rediffuse sur ses petites sœurs comme TFX, en programmation week-end, vendredi soir en prime, ou en marathon l’après-midi. Bref, difficile d’y échapper.

Alors, il y a quoi dans cette émission ? C’est pas pire que de suivre des teubés en maillot de bain dans une villa, on est d’accord. Mais ce n’est pas franchement mieux non plus, surtout côté intellect. On suit en parallèle plusieurs familles qui ont la particularité d’avoir entre 7 et 12 enfants en moyenne. Attention, on ne parle pas de famille recomposée comme à la plus belle époque de la série Notre Belle Famille avec Patrick Duffy sur M6. Non, on parle de couples qui ont décidé d’enchaîner les naissances, comme une activité, un hobby, voire un sacerdoce. Au grand dam des grand-mères de l’émission, qui n’arrivent pas à suivre le rythme, à apprendre les prénoms et qui voient bien leurs soirées retraite fondre comme neige au soleil, puisqu’elles deviennent aides à domicile à temps plein.

Des cris, des cernes, et des produits surgelés : si ça vous fait rêver, l’émission est faite pour vous.

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Les scènes de l’émission sont souvent les mêmes : les courses, la préparation des repas, la gestion des écarts entre le premier et le dernier, les courses, une activité pour occuper les enfants, les courses… Tout cela, au milieu de cris d’enfants permanents, stridents et stressants. En général, madame a un fort caractère, crie depuis une pièce de la maison pour se faire entendre d’un étage à l’autre, et monsieur est hagard du début à la fin, et opine du chef dès que sa femme déclare quelque chose. Tu sens qu’il est content de garder son boulot, loin de la maison, pas pour ramener le salaire essentiel au bon fonctionnement du foyer, mais juste pour être loin de ce bordel permanent. En gros, dans ces couples, le mari évite à tout prix le rapport sexuel, sinon il se fait piéger et bam, il repart pour 9 mois et un enfant de plus. L’ado, quant à lui, trouve tout « bizarre », à commencer par ses parents, et a bien compris qu’il n’avait plus aucun intérêt aux yeux de ses parents, ayant passé une certaine date de péremption juvénile. Enfin, les plus jeunes se tirent les cheveux, réclament des goûters, ne font attention à rien, quitte à shooter dans le dernier né, négligemment laissé dans un couloir, foutent du feutre sur les murs, et n’aiment pas les légumes frais. Des cris, des cernes, et des produits surgelés : si ça vous fait rêver, l’émission est faite pour vous.

Et pour attirer la ménagère, autant mettre en scène… la ménagère.

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En vérité, on ne va pas être cynique, on sait très bien pourquoi TF1 propose cette émission, à l’heure de l’after-work, case devenue cruciale ces dernières années. Elle lance celle de l’access prime-time, devenu de plus en plus concurrentiel entre 19h et 21h, qui elle-même lance celle du prime-time, de 21h, pour attirer devant le film, la série ou l’émission de première partie de soirée. Or, un programme qui attire tôt, solidifie les suivants. Et en sortant du travail ou de l’école, vous voulez un programme de détente, qui ne sollicite pas votre cerveau, un « no-brainer ». D’où le succès depuis quelques années de la télé-réalité ; là, c’est sûr que les cerveaux ont été laissés de côté. « Puisque ces gens connus sont des anonymes, pourquoi ne pas pousser le bouchon encore plus loin ? », se sont dit les responsables de programmes TV. Et pour attirer la ménagère, autant mettre en scène… la ménagère. Alors oui, tous leurs pavillons de province se ressemblent, avec les sols carrelés, les 120 mètres carrés minimum, tout en blanc, sauf les touches de couleur (de préférence vert pistache, rose saumon ou violet) qui rendent hommage aux plus belles heures du mauvais goût de Valérie Damidot dans D&Co.

Le pire dans tout ça, c’est que vous vous dites que c’est inintéressant et que personne ne regarde, et bien détrompez-vous : ça marche ! Le programme cartonne depuis maintenant 4 saisons, surtout auprès… de la fameuse FDRA : femme responsable des achats, nouveau nom de la « ménagère de moins de 50 ans », la cible des chaînes, puisqu’elle est prescriptrice sur les achats, et a donc une énorme influence sur le prix des espaces publicitaires. D’où, dans cette émission, les nombreuses scènes dans les supermarchés pour savoir quel produit choisir quand on doit faire des repas rapidement pour un grand nombre de personnes. C’est ainsi que les surgelés, le Nutella ou les jus de fruits CapriSun sont hyper présents dans les cuisines de nos héroïnes de Familles Nombreuses. Quand Andy Warhol disait que tout le monde aurait un jour son quart d’heure de gloire grâce à la télévision, pensait-il aux ménagères de moins de 50 ans qui sont d’habitude visées par les chaînes pour leur caler des publicités, comme des héroïnes des programmes télé pour vendre ces pubs ? Les Françaises parlent aux Françaises.

Mais il y a un vrai malaise, un dégoût, voire une colère qui viennent en moi en voyant cette émission : c’est le commerce de la vie de famille nombreuse.

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Outre le côté désagréable d’entendre crier en permanence, d’entendre des fautes de français qui vous font saigner les oreilles toutes les deux minutes, on a aussi le visuel avec des coupes de cheveux… Ah je sens que je rentre dans le mépris de classe. Au pire, on peut dire que cette émission n’est pas faite pour moi, et ce serait vrai, on resterait calme, pas de mal. Mais il y a un vrai malaise, un dégoût, voire une colère qui viennent en moi en voyant cette émission : c’est le commerce de la vie de famille nombreuse. Avoir beaucoup d’enfants, par cette émission, devient un métier. Un phénomène de mode. Ça influence les autres.

D’abord, ces familles sont défrayées, payées, pour participer à cette émission. Rien de plus normal, sauf quand ça devient un business. Ensuite, ces familles deviennent donc connues, et donc suivies sur les réseaux sociaux, avec tout ce que ça engendre, notamment des posts sponsorisés pour les produits dits familiaux (berceaux, poussettes, laits en poudre, etc…) pour lesquels elles sont aussi payées. Et là, on attaque la limite de la morale : on refait donc un enfant, non pas pour le désir ou le plaisir, mais pour rester dans le business ? Pour continuer à vendre ? Et ce qui m’énerve aussi, c’est de voir certaines familles à 2 ou 3 enfants qui se font influencer par ce mode de vie, et qui font des enfants supplémentaires pour participer elles aussi à cette émission, pour devenir elles aussi des influenceurs « Big Family », voyant que ça marche et qu’ils peuvent facilement être repérés, vu qu’ils ne sont pas très nombreux sur ce créneau. Faire des enfants pour les mauvaises raisons. Ecœurant à une époque où certains se posent la question d’en avoir déjà un, un seul, quand d’autres ne peuvent pas en avoir du tout.

Il n’y a rien de constructif à être suivis par des caméras, juste parce que vous avez fait plusieurs enfants.

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C’est aussi une américanisation de plus, celle du rapport à la famille, cette fois en reproduisant le modèle des familles à nombreux enfants, fortement ancrées dans les réseaux catholiques des Etats-Unis depuis des décennies. Là-bas, rien d’extraordinaire, en France c’est déjà plus rare. D’ailleurs c’est une émission américaine, Famille Duggar, la vie à 19, qui a inspiré TF1 pour Familles Nombreuses, et les autres émissions de ce genre comme Mamans et Célèbres, qui suit des anciennes stars de télé-réalité dans leur quotidien de maman, ou La JLC Family qui suit l’influenceuse Jazz. Eh oui, aujourd’hui, pas de honte à faire le commerce de ses enfants, quand on a soi-même essoré tout ce qu’on avait à donner. Ces familles se donnent aussi en spectacle, puisqu’elles font désormais partie de sa société, et s’exposent aux critiques des téléspectateurs : « Elle passe son temps à se maquiller », « Ils font tout ça pour les allocs », et on finit par se faire critiquer sur la partie la plus intime de sa vie privée, la gestion de son foyer.

Personnellement je ne vois rien d’agréable dans ce programme, ni à le regarder bien sûr, ni même dans le fait d’y participer. Il n’y a rien de constructif à être suivis par des caméras, juste parce que vous avez fait plusieurs enfants. C’est d’autant plus creux que les familles commentent, comme dans toute émission de télé-réalité, ce qu’on vient de voir, pour allonger encore la durée du programme, basé sur du vide permanent. C’était bien la peine d’inviter autant de monde dans l’histoire pour créer autant de néant. Pour moi, ce serait plutôt Familles nombreuses, la vie en tout petit.

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