Logo

Pologne : où sont passés les panneaux anti-LGBT ?

On a tenté d'élucider le mystère en allant sur le terrain.

Par
Elie Hervé
Publicité

Dans ce pays de l’Europe de l’est, la politique anti-LGBT est assez présente. Au point de déclarer des zones « libre de l’idéologie LGBT ». Comment se matérialise ces zones ? À deux, nous sommes parti·es sur les routes polonaises afin de comprendre.

« Attends, arrête la voiture, y’a un panneau ici. » Un cahier à la main, des baskets aux pieds, me voici à longer une route polonaise pour aller voir le panneau jaune accroché sous le nom de la ville. « Laisse tomber, c’est pour une piste cyclable, c’est pas un panneau anti-LGBT. On peut repartir. » Ma binôme, Céline Levain, la photographe avec qui je pars sur cette frontière entre l’Union européenne et l’Ukraine, range son reflex et reprend le volant. Cela fait maintenant deux jours que nous parcourons la Pologne à la recherche de ces panneaux de haine. Deux jours que nous arpentons ces zones où la nature verdoyante contraste avec les morts que l’on compte par dizaines à seulement une heure de là, de l’autre côté de la frontière. Ici, la quiétude, les chants des oiseaux et ceux des religieux se mêlent.

Publicité

Pourtant, derrière cette carte postale, la Pologne est l’un des pires pays pour les personnes LGBTQI+ en Europe. L’Etat a même mis en place en 2019 des zones dites “libre de l’idéologie LGBT”. Depuis, les agressions augmentent avec le sentiment d’impunité et une partie de la communauté LGBTQI+ dit ne pas se sentir en sécurité. Avant de partir, nous avions entendu parlé de panneaux de signalisation apposés à ces zones, puis nous avions vu des photos de militant·es posant devant.

Aussi, avec une voiture, nos sacs et beaucoup trop de chocolat, nous avons arpenté les petites routes et les autoroutes des campagnes polonaises, avant de continuer à pied de l’autre côté de la frontière, mais ça c’est un autre reportage. C’était l’occasion aussi d’essayer de comprendre un peu mieux ce qu’étaient ces zones dites “libres de l’idéologie LGBT”.

Au loin, une mairie, un panneau de ville et un chien qui semble aussi paumé que nous. Sur le bas-côté, notre voiture va devoir patienter de nouveau. Là non plus, pas de panneau, mais des affiches pour les coins remarquables à voir dans la région. Un autre établissement administratif se dresse sur la route. Fermé celui-ci. Mais toujours sans marqueur de haine LGBTQIphobe. Pourtant, à en croire la cartographie faite par un militant LGBT, nous sommes bien dans une zone dite “libre de l’idéologie LGBT”. L’ambiance est lourde et les militant·es LGBTQI+ que nous rencontrons racontent les agressions, la crainte de sortir de chez soi et l’angoisse que pire pourrait arriver.

Publicité

Une action européenne ?

Une rumeur arrive à nos oreilles : ces panneaux auraient été retirés, à la demande de l’Union européenne. Impossible donc de les voir dans les municipalités qui ont signé cette charte “libre de l’idéologie LGBT”. Venant de France, on se dit qu’il est possible qu’une mairie ait voulu s’opposer à cette mesure européenne anti-discrimination et puisse avoir conservé les panneaux. S’ils ont été retirés, c’est bien qu’une personne les a enlevés ? Ont-ils été détruits ? Ont-ils été volés par des militant·es LGBTQI+ comme nous l’avons entendu ? Après trois jours de recherches infructueuses, force est de constater que nous n’avons aucune idée d’où sont ces panneaux.

Une question nous traverse alors l’esprit : et si ces panneaux n’avaient tout simplement pas existé ? Si toute cette histoire était une façon pour la Pologne de faire de la communication pour séduire son électorat catholique traditionnel ? Pourtant, un ministre français expliquait à France Inter avoir été refusé dans ces zones, en mars 2021. Avant finalement de dire qu’il aurait pu y aller mais que personne n’allait le recevoir. Si les discriminations et la haine anti-LGBTQI+ ont bien augmenté dans ce pays depuis la mise en place de cette politique, si l’ambiance est pesante dans ces zones, notamment auprès des personnes LGBTQI+ que nous rencontrons, nous n’arrivons pas à trouver un signe extérieur de ces zones.

Publicité

Des panneaux encombrants

A force de recherches et de contacts, nous finissons par arriver à la capitale du pays, Varsovie. Dans cette ville plus au nord, un activiste gay nous attend. « Les panneaux sont chez moi, lâche Bart Staszewski. Ils sont dans un carton. D’ailleurs ils m’encombrent beaucoup parce que je suis en plein déménagement et que je ne sais plus du tout quoi en faire. »

« L’objectif était de matérialiser la haine que l’on vit au quotidien, dans ces zones-là. De rendre visible l’invisible »

A ce stade-là, on se demande s’il a démonté tous les panneaux lui-même ou si c’est toute une organisation militante qui est à l’origine de cette action. « Je les ai fait faire moi-même par une société qui fait de vrais panneaux. J’ai envoyé une ébauche que j’avais travaillé sur Photoshop et la société ne m’a posé aucune question. L’objectif était de matérialiser la haine que l’on vit au quotidien, dans ces zones-là. De rendre visible l’invisible. » Avec des militant·es, iels ont donc fait le tour des municipalités et ont installé des panneaux, afin de poser devant et de dénoncer la politique de discrimination qui se met doucement en place.

Publicité

Depuis, Bart Staszewski est poursuivi par plusieurs villes qui lui reprochent de donner une mauvaise image du pays. Les municipalités expliquent aussi que les personnes LGBTQI+ n’ont jamais été discriminées en Pologne, et que ce ne sont là “que” des zones “libre de l’idéologie LGBT”. Ce qui ne semble pas être la même chose.

« Je ne me sens pas en sécurité dans ce pays, mais j’ai quand même fait le choix d’y rester, continue Bart Staszewski. D’autant plus que cette haine a fait naître une solidarité énorme. Cette haine nous aura au moins permis de compter nos allié·es et iels étaient nombreux·ses. » Une manière de rappeler que quelque soit la répression, les personnes LGBTQI+ existent, que nos existences sont légitimes et que nous n’allons pas disparaitre.