Logo

Pig : sincérité, subversion et (en prime) la face de Nicolas Cage

Mesdames, messieurs, on a un candidat au film de l'année.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Les parents bienveillants et les livres de développement personnel auront beau dire ce qu’ils veulent, l’opinion des autres, c’est important.

Un de mes ex-patrons me l’a fait comprendre il y a longtemps lors d’une évaluation annuelle un peu musclée. Ce jour-là, il m’a dit que mes collègues trouvaient que je ne prenais pas mon boulot assez au sérieux parce que je mettais ma forteresse de Clash of Clans à jour après avoir terminé mes tâches. « Mon travail est toujours remis à temps et au goût des clients. C’est pas parce que je prends 10 minutes par jour pour gamer avec mon neveu que ça affecte mon rendement », lui avais-je répondu.

Ce à quoi il avait rétorqué : « Je sais, mais la perception c’est la réalité. Si t’es un fainéant dans l’esprit de tes collègues, tout le monde va penser à toi comme étant un fainéant et on va se souvenir de toi dans ces termes. La perception, c’est la réalité. » Sur ces mots, il m’avait refusé une augmentation.

Publicité

Cette anecdote est revenue me hanter après avoir vu le film Pig, du réalisateur recrue Michael Sarnoski.

Un film subtil, sincère et gracieux que personne n’aurait voulu voir s’il n’avait pas mis en vedette Nicolas Cage, un acteur dont le nom éclipse le rôle ou même la nature des films dans lesquels il joue depuis plusieurs années. C’est aussi le meilleur film que j’ai vu jusqu’à maintenant en 2021.

La douleur exquise du regard d’autrui

Pig raconte l’histoire de Rob (Cage), en quelque sorte un ancien Gordon Ramsay de la région de Portland, qui a tout lâché pour devenir chasseur de truffes dans une forêt de l’Oregon après la mort de sa femme. Accompagné de son cochon, il retourne la terre à la recherche de ces rarissimes délices et les vend à Amir (Alex Wolff), un fournisseur pour les restaurants chics de la région. C’est d’ailleurs la seule personne avec qui il semble être en contact. Puis un jour, deux voyous défoncent la porte de sa cabane pour le tabasser et s’enfuient avec son cochon.

Publicité

Je sais ce que vous croyez: « Ah ! Suivra un carnage sans nom où le personnage principal va tout massacrer sur son passage pour retrouver son fidèle compagnon. Le sang va couler dans un grand crescendo vengeur. »

À partir du moment où Rob revient à Portland à la recherche du son cochon, on se rend compte qu’il existe un clivage entre la façon dont il se perçoit et la façon dont les autres le perçoivent.

Pas du tout. Et c’est là que Pig devient intéressant et émouvant. Il n’y a pas de grande scène de violence physique dans le film. À partir du moment où Rob revient à Portland à la recherche de son cochon, on se rend compte qu’il existe un clivage entre la façon dont il se perçoit et la façon dont les autres le perçoivent. Dans une autre vie, il était l’excellence même. Une figure admirée de la vie culturelle et culinaire de Portland, responsable d’une partie de son développement économique. Sa réputation, intacte, le précède et est suffisante pour délier les langues, sans qu’il n’ait besoin de lever le petit doigt sur qui que ce soit.

Publicité

Tout ça s’exprime tout doucement, en silences gênants, en regards embrumés et en évocations du bon vieux temps. Pourquoi Rob s’est-il retiré pour vivre en montagne alors qu’il avait le monde dans la poche ? Je vous laisse le découvrir. Ça fait partie de l’expérience et c’est ce qui fait de Pig un film magique.

Oubliez ce que vous savez

Le psychologue Daniel Kahneman affirmait dans son livre Thinking Fast & Slow que le cerveau humain traite les pensées de deux façons : la première traite les informations le plus rapidement possible. Elle cherche à faire des liens immédiats et à tirer des conclusions claires. La deuxième s’enclenche lorsque la première faillit à la tâche et qu’on a besoin de s’engager plus profondément avec un phénomène afin de le comprendre.

Il est impossible de placer les personnages de Pig dans une case. Ils sont complexes, brisés et hantés par le passé.

Publicité

Pig exploite cette dualité de l’esprit en esquivant les stéréotypes. Encore une fois, ça s’articule beaucoup autour de Rob parce que c’est d’abord son histoire qui est racontée. Ses vêtements sales, son visage taché de sang et son insensibilité à la violence peuvent laisser croire qu’il est un homme fini, mais en vérité il met en branle son projet de recherche parce qu’il a une raison bien à lui de continuer à vivre: prendre soin de son cochon. Ça peut sembler étrange à première vue, mais c’est dans la nature de Rob de prendre soin des autres et son animal de compagnie est la seule relation satisfaisante qui lui reste.

Il est impossible de placer les personnages de Pig dans une case. Ils sont complexes, brisés et hantés par le passé. Rob n’est plus à la hauteur de qu’il a déjà été, mais l’image qu’on conserve de lui a plus d’importance que la réalité. C’est ce qui va lui servir dans sa quête.

Je joue toujours à Clash of Clans aujourd’hui et si je parle de moi dans cette critique, c’est parce que c’est ce qui arrive lorsqu’on regarde un film qui nous touche. On pense à notre propre vie. On fait des parallèles. On met en perspective les moments où on aurait pu agir différemment. C’est un peu comme ça, je crois, que le cinéma change des vies.

Publicité

Pig est disponible sur YouTube et croyez-moi, vous en aurez pour votre argent.