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Peut-on être féministe et avoir une femme de ménage ?

Telle est la question.

Par
Bettina Zourli
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Cela ne vous a peut-être pas échappé, mais il y a quelques semaines, Konbini a publié une interview de mon mari et moi, dans laquelle nous expliquons pourquoi nous avons voulu tenter d’arrêter de vivre ensemble tout en étant en couple. Très vite, les commentaires ont afflué : « Vous n’avez qu’à prendre une femme de ménage », parce que j’expliquais qu’une des raisons est lié à notre mésentente sur le ménage : j’ai l’impression d’en faire beaucoup plus et j’en ai marre d’avoir cette charge mentale. Il y avait aussi d’autres raisons, le besoin d’indépendance, de solitude, et l’envie de casser notre routine, mais ces raisons-là n’ont que rarement été soulevées par les internautes, bizarre…

Quoi qu’il en soit, ces commentaires – rarement bienveillants au passage – m’ont quand même questionnés (j’en ai parlé ici aussi). Est-ce une solution viable ? Peut-on être féministe et avoir une femme de ménage ?

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C’est vrai, mon mari avait déjà émis cette idée, que j’avais refusée pour diverses raisons. Je ne veux pas, en tant que féministe, perpétuer les systèmes de domination dans mon propre foyer. En effet, dans des pays comme la France ou la Belgique – où j’habite en ce moment -, 98% des aides ménagères sont des femmes. Elles sont aussi très souvent des femmes racisées, en situation précaires, à cause d’emplois peu valorisés, peu rémunérateurs, et souvent à temps partiel.

Il était donc hors de question que mon mari se repose sur une autre femme – qui certes, au moins, serait payée – pour pallier à sa flemme d’une heure ou deux de ménage par semaine – on n’habite pas dans un palace.

Qui nettoie le monde ? Les femmes. Sont-elles remerciées et valorisées pour cela ? Que nenni. Pourtant, sans ce métier vital, nous ne pourrions pas vivre décemment.

J’en ai discuté avec des amies, qui m’ont expliqué n’être pas si catégoriques que moi. En effet, on n’est pas obligé de mal payer les aides ménagères, il y a d’ailleurs des entreprises qui assurent un salaire correct à leurs employé.es. Si je devais changer d’avis, je pense que je ferais évidemment attention à cela. De plus, cette activité permet à de nombreuses femmes d’avoir un revenu fixe, et loin de moi l’idée de dénigrer leur métier et leur intérêt, parfois, pour celui-ci.

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Alors, est-ce que j’ai une réponse à la question ? J’ai découvert, en tapant sur internet “peut-on être féministe et avoir une femme de ménage ?” que d’autres femmes se sont questionnées avant moi.

J’ai d’abord lu l’excellent article de Rose-Aimée Automne T. Morin sur La Presse (média canadien), où elle interviewe notamment l’historienne Camille Robert, qui a écrit sur le sujet. Voici les questions qu’elle soulève – et qui retournent le cerveau : « Pourquoi les femmes qui font de l’entretien ménager sont-elles souvent racisées et migrantes ? Pourquoi n’ont-elles pas de diplôme d’études supérieures [du moins valide au Québec] ? Surtout, pourquoi accepte-t-on de payer un homme à tout faire 50 $ l’heure quand on a besoin d’un coup de main manuel, alors qu’on paie une femme de ménage environ 20 $ l’heure ? »

A l’inverse, Caroline Dawson, autrice, explique qu’on « ne peut pas nier l’agentivité de ces femmes », à savoir, que ces travailleuses peuvent choisir cet emploi pleinement.

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Le problème majeur, c’est bien qu’à force de travailler plus, d’être indépendantes financièrement, de s’élever socialement et économiquement, on risque de reproduire les mêmes rapports de domination que l’on critique, quand on est féministe. Parce qu’on évolue dans un système où les rapports humains, sont des rapports de domination, en fonction du genre, de la race ou de la classe des individus.

C’est d’ailleurs la réflexion de Mélanie Geelkens dans son article éponyme au mien, qui cite Joan Tronto. Pour cette féministe, théoricienne du concept du care (prendre soin), cette question, c’est un “cauchemar féministe”. C’est pour dire à quel point il est intéressant de réfléchir sur le sujet.

Une lectrice du magazine Madmoizelle fait état d’un souci similaire à mon couple : quand elle explique à son mari sa charge mentale, ni une, ni deux, il propose d’employer une femme de ménage. Elle parle de la culpabilité qu’elle ressentirait, et je crois franchement que j’aurais ce même sentiment.

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Après toutes ces lectures, voici MA conclusion : je ne changerai pas d’avis. Je considère que mon foyer n’a pas besoin de femme de ménage. D’ailleurs, depuis que nous habitons à nouveau ensemble avec mon mari (on a testé plusieurs mois mais il part voyager, j’ai donc emménagé à nouveau pour profiter de quelques semaines ensemble), la répartition semble plus égalitaire, les responsabilités sont là, à part égale, des deux côtés.

Cela me dérange profondément que la première réaction masculine sur le sujet soit de déléguer à une autre femme et non pas de se dire : « Ok, faisons un planning, réfléchissons à comment nous organiser ».

En fait, j’aimerais vraiment que les hommes commencent à discuter entre eux de ce sujet. Qu’ils arrêtent aussi de dénigrer cette activité, puisqu’il n’est pas rare d’entendre de leur bouche « qu’ils ont mieux à faire que du ménage ». Ben oui, ils ont été si peu habitués à prendre soin de leur foyer, que forcément, c’est un impensé.