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Pékin Express, c’est reparti pour un tour
Pendant que nous sommes bloqués chez nous, l’aventure nous appelle. Impossible de prendre l’avion, d’aller explorer les plages du bout du monde. Alors quand une émission de télévision nous propose de baver devant ces paysages, c’est Banco. Vol aller-retour de mon canapé au frigo, pour mater la nouvelle saison de Pékin Express, la face B du jeu d’aventure en France, après Koh Lanta. Des couples, des duos mère-fille, copines, bucherons, jumeaux, amis… Tous sont prêts à se gueuler dessus H24 parce que c’était pas le bon chemin. Parce que « tu sais pas résoudre les énigmes, bécasse », parce qu’il fait mal du stop… Oui, c’est parti pour se moquer de gens qui ne prendront qu’une douche en 2 mois.
On rappelle le principe pour ceux qui n’auraient pas encore suivi une seule saison : Pékin Express, c’est une course d’orientation par étapes, et chaque équipe se fait éliminer au fil de la compétition en arrivant dernier de la course. Enfin, presque, parce que des fois t’arrives dernier et t’es pas éliminé. Suspense, quoi. Ce qui fait le sel de l’émission, outre les paysages merveilleux, ce sont les natures des candidats, qui passent leur temps à se viander, à se foutre sur la gueule, à pleurer, et à quémander aux habitants une chambre pour dormir la nuit. Masochistes, les jeux d’aventure ? Attends, on va retourner en arrière pour vérifier.
Pour l’aventuremania, on va dire que tout commence vraiment dans les années 80 avec La Chasse au Trésor, dans lequel Philippe de Dieuleveult voyage partout à travers le monde en duplex, pendant que des candidats cherchent des indices à des énigmes dans des encyclopédies assis tranquilles au chaud en plateau. Ça fume, ça boit des cafés tranquillou, pendant que Dieuleveult se pète des côtes en courant comme un taré. Un des moments cultes de l’émission sera l’aventurier qui casse un trésor inestimable en chutant.
Deux décennies plus tard, c’est l’animateur passionné d’hélicoptères Sylvain Augier qui relance le jeu sous une nouvelle forme, appelée La Carte aux trésors. Sylvain, c’est pas un perdreau de l’année, et il a pas envie de se coltiner le froid et la flotte tout seul pendant que Maryse et José se la coulent douce dans le canapé. Il les emmène alors sur le terrain, chacun à bord d’un hélico, pour aller chercher… bon bah des trésors, le concept change pas. Mais bon, au moins ça se bouge un peu le cul. En plus, pour France 3, la chaîne des régions, c’est l’occasion de mettre en avant de sublimes images de nos belles contrées. Les candidats ne sont pas seulement en hélico, et tentent parfois de se faire véhiculer par des locaux, ce qui commence à bien sentir le Pékin Express, si vous suivez bien ?
Car en fait, Pékin Express est tout simplement l’adaptation du jeu The Amazing Race, qui a cartonné au début du 21e siècle aux Etats-Unis. Le truc le plus fou, c’est que suite au succès de Pékin Express, C8 cherchera à un moment (lorsqu’elle avait encore de l’ambition) à avoir son jeu d’aventure en prime-time. Eh ben devinez quelle émission ce sera ? Amazing Race, sans le « The », présentée par Alexandre Delperier. Pas un échec, mais pas un succès non plus. Faut quand même pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages, et le public a préféré l’adaptation à la copie de l’original.
C’est au début des années 90 que les jeux d’aventure vont envahir la télévision. Suite au succès de Fort Boyard (on y revient dans un instant), le genre est plébiscité, et les chaînes cherchent à en proposer en dehors des cases de l’été uniquement. Arrivera alors sur TF1 Le Trésor de Pago Pago, un jeu animé par Olivier Chiabodo, le futur tricheur d’Intervilles. Ça se tournait dans des îles paradisiaques, à l’eau plus bleue que du canard WC javel triple action. Et le but était de trouver… un trésor. Décidément, quelle originalité ! Si Boyard avait des pièces à récupérer d’une fontaine, Pago Pago propose d’aller chercher des perles balancées d’une fontaine… mais sous l’eau ! Une seule crainte : qu’un des candidats s’étouffent à 10 mètres de profondeur. L’émission ne connaîtra que 2 saisons, mais en inspirera sûrement une qui viendra quelques années plus tard… Les Aventuriers de Koh Lanta.
Avant de devenir l’objet culte qu’on connaît depuis 20 ans, Koh Lanta était l’adaptation ni plus ni moins de Survivor, un jeu américain de survivalisme sur une île déserte. La première saison était animée par le pilote automobile Hubert Auriol, récemment décédé, et Denis Brogniart n’était que la voix off. Journaliste du service des sports de TF1, affublé de grosses lunettes, personne n’imaginait alors qu’il deviendrait l’emblème du jeu d’aventures pour au moins un quart de siècle. Oui, on prédit l’avenir. Aujourd’hui, Koh Lanta s’est réinventé au gré des saisons, et bat des records d’audience chaque été, et même chaque hiver avec ses éditions spéciales. Claude, Fred, Moussa, Moundir, Chloé… Ils sont nombreux à être devenus les porte-drapeaux du courage… et de la trahison. Car à Koh Lanta, ce n’est pas le plus fort qui gagne, c’est celui ou celle qui est le plus fort, le plus manipulateur, le plus fraternel, qui tient le plus longtemps sur un poteau, et qui a réussi à faire le feu, tailler des noix de coco, faire durer le riz 3 jours de plus que les autres, et qui mange des insectes… Brogniart est donc devenu le maître du conseil, et TF1 ne s’y est pas trompée, en lui confiant un autre jeu d’aventure avec Ninja Warrior, et encore un en 2020, District Z. Le jeu produit par Arthur s’est fait taper dessus pour forte ressemblance avec le doyen Fort Boyard. Mais a surtout permis de remettre au goût des codes du moment (jeux vidéo, zombie, jeu de société) le jeu en prime-time. Avec un côté Takeshi’s Castle, jeu japonais dans lequel il faut foncer dans le tas et défoncer le décor en carton pâte pour gagner… rien. Dans District Z, les gagnants emportent… un trésor. Fichtre, déjà vu ?
Peut-être là où un vieux fou garde des clés comme d’autres collectionnent les pin’s : Fort Boyard. Et dire que le destin de ce jeu est particulier est un euphémisme. C’est en regardant Les Aventuriers avec Alain Delon et Lino Ventura que Jacques Antoine, grand créateur de jeux depuis 40 ans (Pago Pago, La Chasse Aux Trésors, La Tête et Les Jambes, c’est lui !), a l’idée d’installer un jeu au sein du fort, laissé à l’abandon depuis des années (la mousse a même poussé sur les pierres de cet ancien cachot). Il faut une fortune pour racheter et remettre en état les lieux, si bien que le producteur est proche de la banqueroute au terme de la première saison, qui est un four d’audience. A l’époque animé par Patrice Laffont et Marie Talon, le jeu Les Clés de Fort Boyard fait sa mue la saison suivante, renommé tout simplement Fort Boyard et Sophie Davant prenant la place de co-animatrice. Des anonymes multiplient les épreuves pour gagner des clés, qui donnent accès à une salle, où Félindra passe son temps avec des tigres. Il faut ensuite récupérer un maximum de pièces du lieu, des Boyards, pour faire enrager le père Fouras. Par la suite, les célébrités remplaceront les anonymes, et Valérie Pascale, Cendrine Dominguez, Sarah Lelouch ou Anne-Gaelle Riccio se succèderont, aux côtés de Laffont, puis le comédien Jean-Pierre Castaldi, et enfin Olivier Minne depuis 18 ans. Un animateur qui symbolise l’aventure sur le service public, puisqu’il avait aussi animé Les Mondes Fantastiques, un jeu d’aventure… pour les enfants ! Le principe : décrocher un filet garni, souvent rempli de jeux de société ou d’un vélo, ce qui nous rendait tous fous de désir, enfants que nous étions derrière notre écran. Le co-animateur d’Olivier était… un robot, Déboulon. Tout ça, c’était un mini Fort Boyard pour enfants, quoi. Copié par La 5, avec En Route pour l’Aventure, animé par Michel Robbe. Certains s’en souviennent peut-être pour son sponsor : Allez, hop on y va, en route pour l’aventure, on ne résiste pas… à l’appel du Banga !
Tous les jeux d’aventure n’ont pas été des succès. Parmi les échecs les plus marquants, on peut citer le cultissime La Piste de Xapatan, une seule saison, mais des moments marquants. Tout se passait au Mexique, sous grosse influence Indiana Jones, et était animé par Sophie Davant avant qu’elle ne tente de gagner 100 balles sur le dos d’une vieille en revendant des breloques trouvées dans les brocantes. Le principe, aller chopper le trésor d’un aztèque, sans se faire voler le carquois qu’ils ont dans le dos, sinon c’est l’élimination. L’émission est surtout culte pour la spéciale « animateurs » qui comptait Gérard Holtz, Daniela Lumbroso, Georges Beller, William Leymergie, Patrice Laffont et d’autres. Le résultat est simple : ils ont été nullissimes, se sont blessés sur chaque épreuve et n’ont même pas été jusqu’au bout. La voix off était assurée par Jean-Luc Reichmann, qui animera lui aussi un jeu d’aventures, Les Forges du Désert, avec Karine Lemarchant, un autre four.
Ajoutons à cette belle liste d’échecs L’étoffe des Champions sur France 3, dans lequel les candidats étaient coachés par des vieux sportifs : Thierry Rey, Raymond Domenech et Jean-Claude Perrin. Asphyxie dans les maisons de retraite. Autre échec, récent, celui de La Course des Champions, animé par Teddy Riner. Décidément, il ne fait pas bon avoir le mot « Champion » dans son titre, gauffrade assurée au niveau des audiences. Un autre jeu n’a jamais vu l’antenne, c’est Dropped, sur TF1, qui devait rassembler des sportifs célèbres. Il est malheureusement plus connu pour son accident d’hélicoptère qui a coûté la vie à Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine.
Pour chaque chaîne, mettre un jeu d’aventure est un défi. Economique parce qu’il demande de gros investissements, de grands espaces et un temps de tournage important, avant même d’avoir mis une image à l’antenne. C’est aussi un défi médiatique, puisqu’il faut une mécanique de jeu simple, qui attire un public familial, mais aussi assez complexe pour créer de la difficulté pour les candidats. Enfin, on a bien vu que la réalisation de ces jeux a évolué avec le temps, devenant de plus en plus dramatique, se rapprochant du cinéma ou des jeux vidéo, quand ils s’inspiraient autrefois des jeux de société. Alors ne boudons pas notre plaisir que d’autres fassent les efforts quand on n’arrive plus à se lever du canapé, parce qu’on a repris deux fois de la mousse au chocolat en regardant Top Chef quelques jours avant. Laissons ces masochistes prendre les coups pour nous. Parce que pendant ce temps, on tremble, on rit, on pleure, on crie pour eux. Et ça c’est l’aventure !