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Paralysie du sommeil, pire que le pire de tes cauchemars

Phénomène physiologique qui s'apparente à une scène d'un film d'horreur.

Par
Antonin Gratien
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Parmi la myriade de scénarios-type du mauvais rêve, il y a de fameux classiques. Être nu en public, tomber dans le vide, se faire courser par un forcené. Ou encore croiser la route d’un.e ex toxique. Mais tout ça relève de la promenade de santé (si, si, même le coup de l’ex), pour ceux et celles qui ont un jour eu la malchance de vivre une paralysie du sommeil.

La première fois que j’ai été victime de cette parasomnie, c’était par un après-midi estival de 2016. Comme de coutume à cette époque, après un copieux déjeuner, il m’arrivait de « couler une méditerranéenne », selon l’expression de feu mon grand-père. Faire une sieste, donc, histoire de digérer à la cool. Fausse bonne idée.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je me réveille sur le dos, totalement paralysé. Tandis que mes yeux effectuent des mouvements de reconnaissance circulaires — oui, il s’agit bien de mon lit, de mes murs, de mes posters —, j’essaye de me relever. En vain, mon corps pèse trois tonnes et aucun muscle ne me répond. « Houston, nous avons un problème… »

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Je suis entravé, et cette impression génère un sentiment d’angoisse allant crescendo. Je tente de me retourner, mais mes épaules sont clouées au matelas ; je veux crier au secours, mais impossible d’émettre le moindre son. Et côté gauche, à la limite de mon champ de vision, je perçois soudain une présence.

Pas d’odeur, pas de bruit, pas de visuel. Juste la sensation que quelqu’un, quelque chose approche à pas feutrés. Eva Green en majesté, venue me libérer de ce calvaire ? Que nenni. Plutôt une entité débarquée de je-ne-sais où pour, grosso modo, me charcuter. Panique à bord. J’atteins un seuil d’affolement extrême tandis que mon corps, lui, comme désolidarisé de ma conscience, reste de marbre. Je déploie des monuments d’énergie pour m’arracher à cette léthargie, mais me fatigue à force d’échecs. L’inéluctable me frappe soudain avec la puissance et l’évidence d’un uppercut : je vais y passer.

Mais non. Dans un effort herculéen, je parviens à mouvoir l’extrémité d’un orteil. Délivrance. Sans bien comprendre pourquoi ni comment, je me suis (vraiment) réveillé. Plus de présence hostile à l’horizon (et toujours pas d’Eva Green en vue d’ailleurs…), mais plusieurs questions en tête. Après de fécondes cherches, j’ai réalisé que cette expérience aussi atypique que déplaisante avait un nom : la paralysie du sommeil.

L’œuvre du Malin ?

L’expression est née sous la plume du neurologue britannique Kinnier Wilson, en 1928. La Classification internationale des troubles du sommeil l’emploie, depuis 2011, pour désigner un état dans lequel un individu sur le point de s’endormir ou de se réveiller devient conscient, mais sans pouvoir effectuer aucun mouvement volontaire. Même ceux de la respiration profonde, d’où l’impression récurrente de suffocation chez les personnes qui souffrent de paralysies du sommeil.

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Quoique son appellation clinique soit récente, ce trouble est connu depuis des millénaires. Au Ve siècle avant J.-C. déjà, Hippocrate y fait référence sous le nom de pnigalion ou « étouffeur ». Tandis que la littérature médicale gréco-romaine du siècle suivant attribue le phénomène à des causes physiques (excès de nourriture, asthme nocturne…), une croyance populaire partagée dans le monde entier l’associe aux sphères surnaturelles. En Chine, on parle du gui ya chuang, aka le « fantôme qui écrase le dormeur contre le lit » et, en Algérie de « celui qui pèse de tout son poids sur l’ensommeillé » : bou berrak.

Côté scandinave, le folklore lie la paralysie du sommeil à la venue d’un spectre femelle malveillant appelé « mahr ». Rings a bell ? On retrouve cette racine dans le mot nightmare (cauchemar, en français ). Au Mexique, en Russie, au Japon, en Turquie aussi, beaucoup interprètent ce trouble comme une visite de forces occultes. Ses représentations fantasmagoriques sont multiples. L’une d’elles, plus que les autres peut-être, l’illustre dans toute son inquiétante étrangeté : Le Cauchemar de Füssli.

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Aucune Dame Blanche qui tape l’incruste, mais un trouble physiologique localisé

Accordant peu de crédit à l’idée qu’un succube, une goule, ou des elfes s’amusent à me passer le salam lorsque je roupille, j’ai cherché la cause scientifique de mes paralysies auprès de Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences et notamment auteur de Docteur, j’ai mal à mon sommeil. Au téléphone, il m’explique que si la paralysie du sommeil est internationalement connue, et ce, depuis « l’orée de l’humanité sans doute », c’est qu’elle résulte d’une réaction « purement physiologique ».

Le phénomène survient lors du sommeil « paradoxal », ainsi baptisé car lorsque nous sommes plongés dedans, notre activité cérébrale est proche de celle d’une personne éveillée, tandis que nos muscles, eux, sont atoniques. Le sommeil paradoxal étant la phase du repos où l’on rêve le plus, cette auto-immobilisation permet d’éviter qu’on ne se blesse en dormant. En faisant des roulés-boulés pour esquiver un missile imaginaire, par exemple.

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La paralysie du sommeil serait une « dissociation » du sommeil paradoxal, au sens où le dormeur s’éveille, tout en restant paralysé « muscles du visage, pénis, clitoris et doigts exceptés ». En gros, ça bug. Votre corps « bloque » à l’étape figée du sommeil paradoxal. Cerise sur le gâteau, durant la paralysie, le cerveau continue de rêver. On obtient ainsi le tiercé gagnant : songes, inertie involontaire, conscience de l’environnement. Pas hyper fun.

Cette parasomnie infernale « qui devrait plutôt s’appeler paralysie du réveil que du sommeil », puisqu’il est donc naturel d’être figé durant le sommeil, ne dure souvent qu’une poignée de secondes. Peu de statistiques existent sur sa prévalence, mais l’ouvrage Les troubles du sommeil paru en 20015 rapporte que de 40 % à 60 % de la population l’a vécu au moins une fois dans sa vie. Des chiffres « crédibles », selon Patrick Lemoine.

Est-ce grave docteur ?

À écouter mon interlocuteur, la paralysie du sommeil semble anodine. Pourtant, elle provoque des anxiétés extrêmes. Sur Doctissimo, Mom56jr, un malheureux anonyme, raconte : « Je me réveille sans pouvoir bouger. Deux formes s’approchent, s’asseyent sur mon lit, discutent sans que j’y comprenne rien, puis tirent ma couverture en hurlant (…) C’était horrible ». On imagine bien l’horreur, Mom56jr…

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Les témoignages de ce calibre sont légion. Sensation de pressions sur le ventre, silhouettes inquiétantes, rires maléfiques… Plusieurs récits de paralysie nocturnes semblent tout droit tirés d’un scénario des meilleurs films d’horreur. L’effroi suscité conduit beaucoup de victimes à se demander si ce désordre du repos relève de la pathologie.

« La paralysie du sommeil est absolument bénigne », tranche Patrick Lemoine. Quant aux hallucinations sont « rares chez les personnes atteintes de cette parasomnie ». Elles sont juste des productions oniriques classiques auxquelles l’angoisse provoquée par la paralysie donne, parfois, un aspect cauchemardesque. « Pas de quoi s’inquiéter, donc ! », souligne le psychiatre.

N’empêche que si nous pouvions éviter de nous coltiner le combo de présences intrusives-tétanisations-paniques, ça nous arrangerait pas plus mal. Pour s’épargner ce désagrément, il y a deux pistes. Tout d’abord, soigner son hygiène de vie. « Le manque de sommeil, ou l’irrégularité des heures de coucher augmentent les risques de paralysie », explique notre thérapeute. Plus circonstanciel est son second conseil. « Ne luttez jamais contre la sensation d’angoisse, mais détendez-vous et concentrez-vous sur votre petit doigt », parce qu’une fois remué, il vous réveillera en vous faisant sortir de votre atonie musculaire. Bye bye le cauchemar (littéralement) éveillé.

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Si vous faites partie des happy few à être rêveurs lucides, Patrick Lemoine l’assure, il vous sera « sans doute possible de prendre les rênes des productions oniriques » pendant votre paralysie. Plutôt qu’avoir l’impression qu’on vous coule du marbre dessus, vous pourriez vivre une expérience de lévitation style Aladin en virée sur son tapis volant. Ça donne envie de contrôler ses songes, avouez. Notre petit mode d’emploi pour ça, c’est ici !