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Il est 16h au moment où je vous écris. J’en suis à ma septième tasse de café. J’ai mal au ventre, les mains qui tremblent, une haleine de varan mais la ferme conviction que ces multiples décalitres de liquide amer étaient indispensables à ma concentration. Existe-t-il encore des gens dans ce bas monde capable de travailler sans boire du café ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Huit Français sur dix boivent au moins une tasse par jour. La légende dit que Voltaire en buvait 72 quotidiennement (on se demande pourquoi il n’en buvait pas carrément 200 dans ce cas, toujours à la ramener Voltaire avec ses excentricités alors que son prénom c’était François-Marie). Le café aujourd’hui est devenu tellement incontournable que remettre en question sa consommation serait aussi absurde que d’arrêter de respirer. Eh bien tant pis, j’ai décidé de lutter. Je n’ai pas peur de jeter un pavé dans le marc du café.
“Moi tant que j’ai pas pris mon café le matin, faut pas me parler”
Que dire de ce poncif entendu bien trop souvent dans les entrailles de l’open space ? OK Timothée, on te parlera pas. Hâte que ton jus de chaussette te rende plus aimable. Le café en entreprise est devenu le liant du salariat, un remède providentiel à tous les maux mot de la solitude. C’est déjà assez difficile de s’octroyer une pause quand on ne fume pas, mais quand on ne boit pas de café c’est mission presque impossible. Et figurez-vous que c’est la faute à un type : Phil Greinetz, inventeur de la sacro-sainte pause-café.
Alors que ce fabricant de cravates américain avait perdu sa main d’œuvre dans les forces armées de la Seconde Guerre mondiale, il embaucha des femmes. Épuisées par le boulot de tisserand, le patron leur propose des pauses de 15 minutes au cours desquelles elles pourraient boire un p’tit caf’. Il réalise qu’elles deviennent par la suite plus productives, la pause café devient alors obligatoire et non rémunérée (lol). Ah tout de suite ça donne moins envie, pas vrai ?
Vous reprendrez bien une tasse de capitalisme ?
L’autre jour je vous causais de la sieste comme une solide méthode de lutte contre le capitalisme. C’est effectivement mieux que de boire ce maudit café qui persiste à nous asservir. Dans L’art d’être oisif, Tom Hodgkinson dénonce le succès indiscutable du kawa qui nous aurait tous rendus tendus comme des strings ; il déplore notamment la disparition des terrasses au profit de coffee shops (oskour l’invasion des Starbucks) qui nous poussent à boire un café hors de prix sur le pouce pour ne jamais perdre une seconde de productivité. Le café produirait de l’anxiété tout en se présentant comme son remède. Avouez que c’est fort de café.
Le café devient un produit de luxe
Le cours de l’arabica a pété tous les records avec 6,5 euros le kilo en novembre 2024 (2 fois plus qu’en 2023). Une flambée qui s’explique par le réchauffement climatique causant des difficultés chez les producteurs.
Oui parce que je vous ferai remarquer que le café n’est pas produit en bas de chez vous. Son empreinte carbone a de quoi faire défriser le Jean-Marc Jancovici qui se cache au fond de nous. C’est une des matières les plus commercialisées dans le monde après le pétrole. Une tasse émet en moyenne 0.4 kg de CO2, c’est comme si on conduisait 2 km dans une grosse cylindrée. Ce “coût” écologique est à imputer autant à la consommation de café qu’à sa production. Selon l’ONG WaterFootPrint, une tasse nécessite 140 litres d’eau.
Alors quid du grand débat qui agite les quadra en panne de sujets à la cafet’ : café filtre ou café capsule ? Bien que les capsules aient longtemps été pointées du doigt pour leurs déchets (indéniables) que leur inventeur Alan Adler regrette amèrement, l’empreinte carbone totale du café filtre serait équivalente à celle du café capsule. La faute aux machines à café qu’on laisse chauffer non-stop tout en gaspillant leur contenu en fin de journée. Pour ma part, j’ai longtemps fait croire à mes collègues que je faisais du café neuf le matin alors qu’il s’agissait juste du café de la veille réchauffé ; ma manière à moi de lutter contre le gaspillage et de trahir la confiance déjà fragile de mes collaborateurs. A l’inverse, la capsule implique une quantité d’électricité et de matière moindre puisque limitée à une seule tasse. Est-ce que ça suffit à expliquer comment 16 capsules peuvent être vendues chaque seconde en France ? Apparemment tout le monde a décidé de devenir barista maison, signe d’une société sur le déclin selon mon humble avis.
Alors oui je bois du café. Qui suis-je pour juger ? Je suis victime comme vous tous. Mais je n’aurais qu’une chose à dire : la chicorée coûte trois fois moins cher, est fabriquée en France et permet de cultiver un sens de l’originalité, indispensable pour alimenter vos prochaines conversations improductives devant la machine à café.