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Ne dites jamais non à une sieste
“Je dure en moyenne 5 à 20 minutes, je suis détestée par les enfants et désirée par les adultes, étymologiquement je désigne la sixième heure du jour, je suis, JE SUIS ?” Oui bon bah je suis la sieste, vous aviez un indice dans le titre.
Symbole des glandeurs nature, la sieste n’est que très rarement admise en milieu professionnel. Le siesteur doit trouver des subterfuges pour apaiser son irrépressible envie de pioncer, passant pour un branleur hors pair. Je parle en connaissance de cause, combien de fois je suis allée me cacher dans les toilettes à l’étage du dessus pour aller piquer un somme lamentablement à côté de la lunette encore attiédie par les postérieurs du service compta. Voilà dans quels retranchements nous poussent la société capitaliste, ennemie toute puissante du sommeil.
“Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre” Blaise Pascal avait tout compris en 1669 dans ses Pensées. Aujourd’hui, on dort de moins en moins et la sieste postprandiale pourrait bien devenir notre unique salut.
Troquer le sommeil pour Tiktok
Santé publique France en a fait le terrible constat : on maltraite notre repos. Pour la première fois en 2017, on est passé sous la barre fatidique des 7 heures de sommeil, durée minimale recommandée pour pas faire n’importe quoi genre ièch sur tout un peuple et nommer Michel Barnier en Premier ministre (pour rappel, Macron se vante de dormir moins de 5 heures par nuit).
La faute à qui que quoi ? Augmentation de la proportion de travailleurs de nuit, rallongement du temps de trajet entre le travail et le domicile, et bien sûr… l’exposition aux écrans. A ceci s’ajoute la nécessaire productivité de travail et la consommation de loisirs dont l’offre ne cesse de s’étoffer. Autant d’éléments qui nous poussent à rogner sur notre sommeil jugé inutile. Le PDG de Netflix Reed Hastings l’a affirmé fièrement “Quand vous regardez une série sur Netflix et que vous en devenez accro, vous veillez tard le soir. À la marge, nous sommes en concurrence avec le sommeil. Et ça fait donc beaucoup de temps.” Dans son court essai Le Sommeil malmené, Nicolas Goarant rappelle que Staline laissait toujours une lumière allumée la nuit à la fenêtre du Kremlin pour entretenir le mythe du dirigeant infatigable. Pendant que le peuple dort, le “petit père” veille.
Zéro pointé au bac de dodo
Ça commence à l’école. En dehors de la sieste qu’on nous impose en maternelle et qui est alors perçue par les enfants comme une contrainte, on ne nous apprend pas à considérer le sommeil comme un allié. Ça s’explique aussi parce qu’on se plante historiquement sur notre façon de dormir.
La faute à quoi que qu’où ? A Thomas fucking Edison. En inventant l’ampoule, ce gars a flingué notre art de la pionce (d’ailleurs lui aussi se vantait de dormir 3 heures par nuit et visiblement ne voulait pas rester tout seul dans son délire). Avant la révolution industrielle, nos nuits n’avaient rien à voir. On ne se couchait pas à minuit après avoir bu une tisane, on ne dormait pas d’une traite et on ne se réveillait pas à 7h30 pour aller bosser. Eh oui car il n’y avait pas de lumière, pas de tisane (en tout cas pas des “nuit tranquille”) et pas de réveil (le premier a été inventé en 1787 flinguant par la même occasion notre liberté d’être en retard). La nuit se faisait plutôt en deux fois, c’est ce qu’on appelle le sommeil biphasique. On allait se pieuter vers 20h pour un “premier sommeil”, réveil naturel vers minuit pour chiller et on se recouchait enfin pour un “second sommeil”. Cette pause nocturne était l’occasion d’une introspection, on en profitait pour méditer sur nos rêves. Bref c’était la psychanalyse avant l’heure – pas étonnant que la pratique soit née en même temps que le sommeil biphasique ait disparu.
Au XIXe siècle, la lumière s’immisce un peu partout dans les foyers mais aussi dans les rues. Paris pose ses premiers réverbères en 1820. Cette exposition électroluminescente chamboule radicalement notre horloge biologique. On perçoit toutefois les résurgences du sommeil biphasique chez les nourrissons accusés de pourrir les nuits des jeunes parents alors qu’ils ont tout compris aux cycles naturels du sommeil. Il faudrait plutôt suivre leur exemple, mais ça voudrait dire qu’on arrête de bosser, parce qu’en fait le pire ennemi du sommeil c’est…
Le productivisme a volé notre roupillon
Si Edison est le pire ennemi du sommeil, c’est parce que son invention prométhéenne nous a mis sur les rails de l’industrialisation, du capitalisme et de son incoercible productivité. Dans L’art d’être oisif, le truculent Tom Hodgkinson pointe du doigt… le café. Symbole absolu de la productivité, le double expresso a malheureusement gagné la partie face à la sieste. Le journaliste britannique déplore la disparition des terrasses de café au profit de coffee shops type Starbucks qui illustrent la transformation productiviste de nos sociétés. Le café nous a tous rendus tendus comme des strings sous anxiolytique rongés par un acharnement au travail pour gagner de quoi payer nos loyers hors de prix et nos abonnements à Netflix sans pub. Le philosophe Thierry Paquot rejoint d’ailleurs cette vision décroissante mais bien nécessaire de la sieste “La sieste est une réappropriation par soi de son propre temps hors les contrôles horlogers. La sieste est émancipatrice.” (L’Art de la sieste)
Les incommensurables bienfaits de la pionce
Impossible de faire valoir les mérites de la sieste sans célébrer l’importance du sommeil. Si de nombreux leaders se gargarisent bêtement de dormir peu, nombreux sont ceux qui ont fait leur plus belles découvertes après une sieste ou une bonne nuit de sommeil. Marie Shelley doit Frankenstein à un petit somme, la chanson “Yesterday” est née dans un rêve de Paul McCartney, Mendeleiev a pondu son tableau périodique des éléments après un roupillon (ça devait pas être très fun comme rêve mais on juge pas, les pratiquants de mots fléchés force 4 connaissent ce tableau par coeur).
En effet, le sommeil paradoxal a une fonction associative. Cela veut dire que notre cerveau va établir des liens entre des informations a priori éloignées ce qui va structurer notre mémoire. Sans compter la fonction lymphatique de notre cerveau qui s’enclenche quand on dort et va servir de tout-à-l’égout : on fait le tri entre les informations engrangées au fil de la journée. En d’autres termes, le sommeil sert de mise à jour du cerveau. Et si vous dormez peu la nuit, la sieste intervient alors comme soutien primordial à votre bien-être et au bon fonctionnement de votre matière grise. 5 à 20 minutes de somnolence seront toujours plus efficaces qu’un café allongé (bonjour l’oxymore).
Fiez-vous à Churchill (qui n’était pas la moitié d’une quiche) : “Ne pensez pas que vous travaillerez moins si vous dormez la journée. C’est une idée idiote partagée par les gens dépourvus d’imagination”. Merci Winston.