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On a regardé du porno “classique” avec des réalisatrices de porno féministe
Elles militent pour une autre idée du porno. Plus éthique, plus respectueux, plus inclusif. On a visionné avec elles la vidéo la plus vue de la plateforme pour adultes Pornhub. Décryptage. PS : attention, cet article contient des spoilers.
« On peut comparer le “porno mainstream”, entre très gros guillemets, à du fast-food. Lorsque l’on va au McDo dans le but de commander un Big Mac, ce que l’on veut, c’est un Big Mac. La même sauce. Le même pain. Le même steak. Le porno mainstream, c’est pareil. Si l’on veut que les gens consomment vite, bien et facilement, on leur donne la même recette. Un gars, une fille, un lit, de la lumière et une levrette », lance Carmina, camgirl, actrice et réalisatrice de porno féministe au sujet de la vidéo la plus vue* de la plateforme de streaming Pornhub.
“Horny guy fucked his stepmom”, en français “mec en chaleur qui couche avec sa belle-mère”. Une vidéo, qui comptabilise à ce jour* 177 millions de vues (à titre de comparaison, nous sommes 67 millions de Français). Le synopsis : faute de chambres disponibles dans l’hôtel où ils séjournent, belle-maman doit partager son lit avec son beau-fils. La vidéo se lance. Ils discutent de cette situation quelque peu particulière quelques secondes. Puis belle-maman se tartine de crème hydratante et ils se couchent. Demain, les deux protagonistes ont un programme chargé. Sauf que. Roulement de tambour. Monsieur sort belle-maman de son sommeil à 3:16 minutes de vidéo. Il a une érection. Outrée, elle se retourne vers lui (de façon plutôt mal jouée) dans le but de vérifier cette hypothèse. (Parce que si c’est le cas, ce serait vraiment très inapproprié). Elle tâtonne au-dessus de la couette : c’est bel et bien le cas. Il va donc falloir s’en occuper. Le décor est planté.
Un porno loin des stéréotypes machiste et sexiste
« C’est un scénario on ne peut plus banal, pour qui est un tant soit peu amateur », lance Carmina, camgirl, actrice et réalisatrice de porno féministe. « Tellement ordinaire que beaucoup de performeurs sont lassés de jouer ces rôles », observe-t-elle. Un point de vue également partagé par Anoushka, autre réalisatrice de films X féministes et dont les vidéos sont très éloignées des standards habituels du mainstream. « Chez moi, trois minutes de mise en situation, ce n’est juste pas possible. Passionnée de cinéma, je suis partisane des vraies histoires. Là, en si peu de temps, impossible de me projeter », souligne la réalisatrice. Sans parler du fait qu’on est complètement dans le cliché. Un cliché qui amuse toutefois beaucoup la créatrice du blog Le cul entre deux chaises. « C’est une des choses que j’apprécie dans le porno mainstream », déclare-t-elle. « Tout est complètement absurde, clownesque même. Tout est à prendre au troisième degré. Il n’y a pas de doutes : on sait pourquoi on est là ». Mi-amusée, mi-sérieuse, mi-dans la provoc’, elle s’inspire même du script : « Typiquement, là, juste pour déconner et pour casser les codes, cette vidéo je la tournerais avec le beau-père, plutôt que la belle-mère, pour en faire une scène queer ».
Parce que oui, leur volonté à toutes les deux en tant qu’artistes, c’est bel et bien de casser les codes. De rendre au porno ses lettres de noblesse et de sortir des stéréotypes, globalement machiste et sexiste de l’exercice. Elles militent pour une autre idée du porno. Plus éthique, plus respectueux, plus inclusif et plus réaliste. Plus féministe ? « Oui et non », répondent-elles d’une même voix. « Oui parce qu’on s’intéresse notamment au plaisir et au respect de la femme. Parce que notre art n’est pas phallocentré, qu’il ne tourne pas uniquement autour de la pénétration et qu’il n’y a aucune pression de performance », décrivent les deux auteures. Mais non, parce qu’elles ont toutes les deux de plus en plus de mal avec l’étiquette “féministe”, qui devient parfois – malheureusement – un peu “marketing”. De plus, cela sous-entendrait que le reste de ce qui se fait en matière de porno n’est pas féministe. « Et ce n’est pas le cas. Ce n’est pas ça qu’on dit », rappellent les deux artistes. « Il y a des féministes qui font du mainstream ».
« Si j’avais été bonne, j’aurais été actrice porno »
Bref, revenons à nos moutons : la vidéo. À l’écran, l’actrice qui performe est une jeune femme hétéro blanche de 30 ans (alors que “supposée MILF”, mais passons), relativement fine avec des formes généreuses. « Ça aussi, c’est classique du mainstream, l’inverse aurait été étonnant », dépeint celle qui est entrée dans le monde du porno en 2013, en écrivant pour Le Tag Parfait. Cela fait partie des choses qui pourraient être améliorées selon elle. Montrer une plus grande diversité de représentations. C’est-à-dire des femmes de tous âges, des personnes racisées, des personnes LGBT… « Montrer la société telle qu’elle est », résume Carmina. Montrer aussi des corps variés et pas uniquement des filles hyper bien gaulées avec une taille de guêpe et une forte poitrine – comme c’est le cas ici -. « Quand j’ai découvert le porno, je me souviens que j’avais l’habitude de dire à mes amis : “si j’avais été bonne, j’aurais été actrice X”, continue Carmina. « C’est bien qu’à l’époque, j’avais compris que j’avais un physique différent, pas dans les clous imposés par la société. Sous prétexte de ne pas être une brindille, je ne pouvais pas être sexy et désirable ? Eh bien si. Mais je ne l’ai appris que tard. Et c’est triste », admet la porn-girl.
Injonction toujours, côté homme cette fois : la taille du pénis. Dans cette vidéo, comme dans la plupart des vidéos de porno dit “classique” d’ailleurs, le sexe masculin en érection de l’acteur fait approximativement un double décimètre. Quand on sait en réalité que la taille moyenne oscille entre 12 et 13 cm. Bon et désolée pour le spoiler, mais puisqu’on est dans les injonctions, est-ce que l’on parle aussi du fait que cette vidéo est uniquement centrée sur le plaisir de l’homme ? Et que le rapport se termine aussitôt après son éjaculation ?
Enfin, ne décortiquons pas tout trop vite. Le visionnage continue. 4:40, le sexe de l’homme apparaît. Totalement épilé. Celui de la performeuse le sera aussi. Un niet pour Anoushka, qui est catégorique : dans ses films, tout le monde garde ses poils. « En plus, je trouve qu’il y a dans la pilosité, un côté réaliste, un côté nana de tous les jours qui permet aux femmes de s’identifier plus facilement », avance-t-elle. Côté Carmina, le choix revient aux principaux concernés. Autre absent de la vidéo : le préservatif. À ce sujet, la performeuse annonce faire le choix de parfois le montrer à l’écran. « Déjà parce qu’en tant qu’actrice, je ne tourne pas sans préservatif. Et parce que selon moi, cela fait partie intégrante du processus. C’est aussi OK de montrer les petites galères qui accompagnent le sexe. Le jean qui s’enlève difficilement, le préservatif donc, ou encore le mouchoir à la fin si il y a éjaculation ».
« Je définis ce que je fais comme du cinéma »
Quid du côté technique ? « Là aussi, on est sur du classique mainstream », souligne celle qui aimerait que l’on dise de son porno qu’il est « authentique, léger et excitant ». La vidéo de 16 minutes 35 est tournée en P.O.V (pour point of view), soit filmée de façon à donner l’impression au spectateur d’être à la place de celui qui tient la caméra. « Une technique cliché à mort », pour l’ex-étudiante en cinéma, qui argumente : « Impossible pour moi ! Je veux voir tous les corps. Je veux voir les regards, la montée du désir, les frissons, les mains qui se crispent, la chair de poule… ». Sa collègue confirme : « Le P.O.V c’est intéressant parce que cela permet à la personne de se projeter. Sauf que ça ne convient pas à tout le monde. Dans cette vidéo, on ne voit rien de l’homme, à part son sexe. Il me manque sa nuque, ses bras, son torse, ses jambes… Tout. Et pourtant je suis bisexuelle ».
Sans parler de la lumière. « Cet énorme spot blanc là, ce n’est ni fait, ni à faire », renchérit la réalisatrice de Blow Away. « Alors que franchement, ce n’est pas bien sorcier. Une lumière un tout petit peu plus travaillée, ça aurait déjà vraiment changé la donne », complète la journaliste-blogueuse porn. Toutes deux s’accordent sur le fait d’être très attentives aux détails dans leurs films. J’ai nommé l’éclairage, la mise en scène, la musique… « Encore une fois, je définis ce que je fais comme du cinéma, comme de l’art. J’utilise donc les codes du cinéma traditionnel au service du cinéma porno », indique Anoushka. Même son de cloche pour la camgirl, qui va également mettre un point d’honneur à peaufiner son décor. « J’avoue qu’ici la chambre est un peu impersonnelle, des draps gris, une valise au début pour appuyer un peu le scénario et, c’est tout quoi… On voit que le décor, ce n’est vraiment pas la prio », sourit-elle.
Direction les oubliettes du coup, cette bobine de film X ? « Ah pas du tout », corrige la directrice du studio de production Carré Rose Films. « Justement, selon moi, il n’y a pas de bon ou de mauvais porno, il y a juste des pornos différents ». Comme au cinéma. Drame, horreur, science-fiction, documentaire… « Il en faut pour tous les goûts et il est primordial que tous puissent coexister », affirme-t-elle. « Simplement, ici, on est sur du porno plutôt masturbatoire à destination d’un homme hétérosexuel et dans ce que l’on propose avec Carmina, on est davantage sur un catalogue destiné à tous, dans une veine arty-alternative », résume l’ancienne chargée de presse et de communication de la chaine French Lover TV.
« En fait, ce qui est dommage, c’est que tous les types de films X ne soient pas mis en avant de la même manière. Il faudrait que les gens puissent choisir ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas en toute connaissance de cause. Pas simplement que le porno mainstream leur soit imposé comme étant le seul, l’unique, le bon, point », retiennent les deux vidéastes. Un peu à l’image de ce qui se passe dans notre société, encore trop souvent frileuse du changement, patriarcale et hétéro-centrée. Mais là, on glisse rapidement vers un autre débat… Que l’on vous réserve pour une prochaine fois. Ah oui et au fait, les deux acteurs enchaînent ensuite fellation puis levrette. 14:43 : l’homme éjacule. La vidéo est finie. Fin du suspens.
*à ce jour, le 31/03/2021.