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Ode aux journaux intimes
On ne va pas se mentir, je n’ai jamais été très assidue question journaux intimes. Voir Peyton Sawyer noircir les pages de ses cahiers ou lire les Journal d’une princesse de Meg Cabot m’en ont pourtant donné envie, mais je n’arrivais pas à écrire plus de cinq jours d’affilée. Ça ne m’a pas empêché d’en avoir un ou deux, que je cadenaissais et cachais comme s’ils étaient bourrés d’infos ultras confidentielles, sans doute par mimétisme de ce que je voyais dans les teen movies. Souvent associé à l’adolescence, le journal intime a connu un récent regain d’intérêt avec les carnets de bord de confinement, le journaling, ou encore avec le documentaire Netflix d’Angèle dans lequel la popstar dévoile ses nombreux carnets. Mais avant que les écrits intimes ne deviennent trendy à l’âge adulte, comment ont évolué les journaux de celles et ceux qui se livraient sur le papier, en rentrant de l’école ?
Des témoignages que j’ai récoltés, les enfants et ados que nous étions avions tous plus ou moins le même usage des journaux : on y racontait nos crush de cour d’école, nos disputes de famille, nos amitiés… “C’était comme un journal de bord, je racontais mon quotidien, mes histoires avec les garçons, mes notes à l’école, ma relation avec ma mère”, raconte Estelle, qui s’est récemment replongée dans ses anciens carnets à l’effigie de Diddl. “Quand je suis passée de la primaire au collège, j’ai collé un petit morceau de ballon et une feuille de la cour d’école, comme si je n’allais plus jamais revivre ça”.
Nos journaux d’ados prépubères n’étaient en effet pas seulement remplis d’écriture : celui de Camille, un carnet Playboy offert par sa grand-mère, relevait plus du fourre-tout sentimental. “J’écrivais des phrases de Coldplay ou The Fray, je collais des photos de Elle Magazine, je dessinais des trucs… Quand je me relis je me fais pitié parce que c’était du sentimentalisme à la con, mais ça me fait marrer”. Nolwenn*, qui tient des carnets depuis qu’elle est en âge d’écrire, n’a pas pu tous les rouvrir, la faute à certaines clés de cadenas perdus avec les années. Mais dans les pages de ses journaux, on retrouve des poèmes, des dessins, des bouts de nouvelles, des lettres jamais envoyées… “Ça m’a beaucoup fait rire et sourire, j’écrivais de manière nulle, je faisais des fautes, j’écrivais des poèmes éclatés au sol… Je me prenais pour une poète maudite”.
CONTINUER À ÉCRIRE
Après une pause de quelques années, Marine, 26 ans, s’est remise à écrire il y a un an, lors d’une mutation professionnelle qui tardait à arriver. “C’était une période hyper longue et chiante, j’en avais gros sur la patate alors j’ai entamé un nouveau carnet. C’est devenu un exutoire, le fait d’écrire ce que j’ai en tête me permet de relativiser, de réaliser que mes problèmes sont temporaires et qu’ils passeront”. La Parisienne n’écrit plus quotidiennement comme elle le faisait avant, mais quelques fois par mois, quand elle en ressent le besoin.
À Marseille, Sacha* aussi a espacé ses rendez-vous avec ses carnets avec les années. “J’écris quand je vis des choses importantes : si je déménage, si je vois une psy et qu’elle me dit des choses que je veux retenir, quand je rencontre quelqu’un ou que je me sépare, quand je voyage… Ce sont un peu des archives de ma vie que j’écris dans le train, l’avion ou dans des cafés” raconte-t-elle. C’est seulement à Cuba, où elle a habité quelque temps, qu’elle a délaissé le papier pour le digital, puisqu’elle n’avait pas trouvé de carnet. “J’ai écrit comme si j’écrivais à mon père et je l’ai envoyé à ses frères. Je ne regrette pas mais de manière générale, je ne suis pas à l’aise à l’idée de partager mon intimité, et je ne l’aurais jamais fait si j’avais écrit à la main. Après ça, j’ai lâché Word pour retourner au papier”.
SE RETOURNER SUR SON PARCOURS
Comme les livres qui remplissent ses étagères, les carnets de Sacha font partie de ses meubles. Et il lui arrive de les relire, pour se replonger dans des souvenirs ou émotions passés. “C’est un peu du self-love de se souvenir de comment on était. Mais ça peut aussi être désagréable parce qu’on a l’impression de n’avoir pas évolué, de se poser les mêmes questions…”. Nolwenn, qui n’a jamais arrêté d’écrire, ne relit ses carnets que par fragments. L’écriture est pour elle un exutoire autant qu’une prise de recul, mais lui permet aussi de porter un certain regard sur elle-même, plus objectif. “C’est juste toi et comment tu te vois, ce n’est biaisé ni par la mémoire, ni par le jugement de quelqu’un d’autre. Ça peut être douloureux parce que parfois tu réalises que des blocages sont toujours présents, mais ça rappelle aussi plein de souvenirs qu’on avait laissés de côté. C’est comme retrouver des vidéos de son enfance, mais dans la tête”.
Se replonger dans son enfance étant devenu trop douloureux pour Marie, qui se servait des journaux comme d’un rempart intime face aux problèmes familiaux qu’elle vivait, celle-ci ne rouvre plus ses journaux. Mais elle renoue occasionnellement avec l’écriture, toujours pour exorciser des sentiments négatifs : “Je n’écris plus parce que ça me fait chier, mais quand je vis une rupture ou un truc hard, je mets tout sur papier et je le brûle. C’est hyper cliché, mais après je me sens libérée d’un poids.”
ARCHIVES DE VIE
Il y a écrire pour regarder le chemin parcouru, mais aussi écrire pour se souvenir, les deux n’étant évidemment pas contradictoires. Dans le podcast Laisse Moi Kiffer, Alison, ancienne rédactrice beauté chez Madmoizelle, raconte comment elle a commencé à écrire toute sa vie dans des carnets à l’âge de 11 ans, après la mort de son grand-père qui avait perdu la mémoire. “Ça m’a décontenancée de voir la figure de mon grand-père perdre ses souvenirs et très vite je me suis dit que les souvenirs, c’était vraiment tout”, raconte-t-elle. Depuis, elle écrit régulièrement pour se rappeler des gens, des endroits, des moments, dans des carnets qu’elle garde à l’abri des regards indiscrets. “Je ne voulais pas les lire jusqu’à ce que je sente que mon cerveau déraille, mais pour des raisons personnelles j’ai eu envie de relire une année, et forcément j’ai tout relu. (…) C’était dingue, j’avais oublié tellement de choses, je me demandais pourquoi j’avais arrêté de faire des choses qui me plaisaient, de voir des gens qui me manquaient, j’ai relu et j’ai compris, et je suis passée par toutes les émotions”.
L’autrice américaine Julia Cameron a également popularisé une autre forme d’écrits personnels : les pages du matin. Dans son livre Libérez votre créativité publié en 1992, elle propose de commencer sa journée en couchant ses pensées sur le papier, et plus précisément sur trois pages. “J’écris sur mes questionnements, ce qui me saoule et ce qui me rend heureuse. Je me mets face à moi-même et je fais en sorte d’arrêter de me mentir. Écrire, ça m’a aidée à sortir des trucs de mon cerveau que j’osais pas m’avouer, et ça m’a fait comprendre ma chance à plein de niveaux” détaille Louise Pétrouchka, également ancienne de Madmoizelle. Les pages du matin n’ont aucune règle en matière de contenu : l’idée est de ne pas conscientiser ses propos, mais simplement de prendre un moment pour se vider la tête et écrire ses pensées comme elles viennent.
Qu’ils aient une valeur sentimentale, thérapeutique ou fassent office d’archives, nos journaux d’adultes ont bien changé depuis les amourettes de cour de récré. Et c’est tant mieux parce qu’à 26 ans, je ne m’imagine vraiment plus citer les personnages de Skins dans les pages d’un carnet.
* Les prénoms ont été modifiés.