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Il me tardait de voir Mignonnes de Maïmouna Doucouré. D’abord parce qu’il s’agit d’une fiction française produite par Netflix, et que je n’en rate aucune, quoiqu’elles me déçoivent presque toujours. Ensuite, parce que je suis une inconditionnelle des films qui traitent de l’adolescence sans être des teen movies à proprement parler.
Il s’agit d’un sujet intarissable permettant d’en aborder une myriade d’autres: la construction de l’identité, la métamorphose physique, l’éveil de la sexualité, les relations intergénérationnelles, la confrontation de l’individu avec les normes (sociales, sexuelles, de genres, de classes).
Parmi les œuvres qui me viennent à l’esprit et m’ont tant marquée, tous portent en eux la violence initiatique propre au passage de l’enfance à l’âge adulte: Carrie de Brian de Palma, Naissance des pieuvres de Céline Sciamma, Kids, et tous les films de Larry Clark, Boys don’t cry, de Kimberly Pierce, Bienvenue dans l’âge ingrat, de Todd Solonz, Thirteen, de Catherine Hardwicke, ou encore la série Skins. Toutes ces fictions s’attachent à décrire crûment une période de l’existence durant laquelle tout ce que l’on vit est perçu comme plus intense, plus grave, et d’une certaine façon, l’est.
Enfin, j’étais d’autant plus curieuse qu’avant même d’avoir vu le film, j’en avais déjà une opinion (bien malgré moi), ce qui me dérangeait au plus haut point. En effet, j’ai vu s’abattre une telle avalanche de critiques au sujet de Mignonnes sur ma timeline, que je m’en étais déjà fait une idée. De toute évidence, ce film s’était fait highjacké par les idéologues et moralistes de tous poils et je ne pouvais en aucun cas m’en tenir à leurs avis.
Au commencement, l’affiche qui fait scandale
A l’origine de la polémique, le public américain, champion de la pudibonderie, mais premier à organiser des concours de mini-miss, qui a poussé des cris d’orfraie à la découverte de l’image choisie par Netflix USA pour servir d’affiche au film sur sa plateforme.
On y voit un groupe de nymphettes prenant des poses lascives, maquillées outrageusement et arborant de tenues très sexy. Elles ont visiblement moins de douze ans tandis que la façon dont elles sont mises en scène évoque plutôt un film interdit aux moins de 18. L’image est choquante (et tranche d’ailleurs avec l’affiche sélectionnée pour la plateforme française qui, elle, retient une jolie scène de liesse juvénile). Il n’en fallait pas davantage pour que certains en appellent à la censure et au boycott de Netflix.
On vit une époque formidable, où l’on juge un livre d’abord à sa couverture et où l’on assimile fiction à promotion.
Oui, l’image, de surcroît associée au titre (Cuties en anglais), est choquante. Et c’est bien son intention. A ceux qui en dénoncent le caractère sexualisant et surtout, qui s’en offusquent, je répondrai que l’indécence est d’abord et avant tout dans l’œil de celui qui, telle un tartuffe émoustillé, la pointe du doigt. Il suffit de regarder le film 5 minutes pour comprendre que cette mise en scène n’a pas pour but de faire la promotion du crop-top et du gloss chez les petites filles, et encore moins de faire bander les spectateurs, mais bien plutôt de les mettre mal à l’aise (et c’est réussi). On vit une époque formidable, où l’on juge un livre d’abord à sa couverture et où l’on assimile fiction à promotion.
Mignonnes, une fable morale?
Du côté de la France, si les grands médias ont unanimement accueilli le film avec enthousiasme, les critiques se sont globalement tous accordés pour en faire d’abord une lecture morale. Et ces derniers de rappeler que « l’hypersexualisation, c’est berk » et que le film a pour objectif de mettre en garde contre ses dérives. Enfonçage de portes ouvertes que la réalisatrice elle-même semble assumer dans ses interviews.
Mignonnes met également en lumière une autre hypersexualisation, certes plus subtile, mais bien présente: celle de la jeune protagoniste par sa famille et sa communauté.
Pour autant, si l’hypersexualisation « à l’occidentale » se manifeste de manière assez évidente à travers les fameuses tenues de nos jeunes héroïnes et leur façon de twerker à en faire rougir Rihanna elle-même, elle n’est pas le seul enjeu du film, loin s’en faut.
Mignonnes met également en lumière une autre hypersexualisation, certes plus subtile, mais bien présente: celle de la jeune protagoniste par sa famille et sa communauté. On annonce sans détour à la petite Amy, onze ans, qu’elle est désormais officiellement considérée comme une femme, et donc, comme presque bonne à marier, comme le lui enjoint sa sévère tata en lui souhaitant le même parcours qu’elle. Dans ce modèle familial traditionnel, pour ne pas dire archaïque, on assigne aux femmes un rôle sans équivoque: elles doivent avant tout être de bonnes épouses ; et cela implique, dans le cas de la maman d’Amy, de s’asseoir sur sa propre dignité et ses sentiments, en partageant son toit avec une seconde épouse qu’on lui impose. Réduire une fillette à son rôle d’épouse potentielle, n’est-ce pas l’hypersexualiser également? Souvenons-nous où réside l’indécence…
La grande subtilité du scénario tient dans le conflit intérieur d’une jeune fille qui parle peu mais observe beaucoup, déchirée entre la pression exercée par la culture familiale et celle exercée par la non moins cruelle société adolescente. Dans les deux cas, il est encore et toujours question de la réputation des filles, de leur respectabilité, de leur désirabilité même si ces trois aspects obéissent à des lois qui se contredisent radicalement selon le contexte. En fin de compte, le film décrit avant tout de l’expérience universelle qu’est l’adolescence, où qu’elle ait lieu.
[ATTENTION SPOILER] Si Amy est celle qui va le plus loin dans l’hypersexualisation de son propre corps, c’est probablement que c’est elle qui est élevée dans le carcan le plus rigide. Pour autant, le film est bien plus complexe que cela et l’on comprend à demi-mot que les autres gamines de la bande bigarrée des Mignonnes ont toutes leurs problèmes (parents absents ou désinvestis, troubles du comportement alimentaire, absence d’éducation sexuelle autres que via le porno) et que jouer « aux grandes » représente pour chacune d’entre elles une façon de grandir pour de bon.
A titre personnel, je n’y ai pas vu une fable morale mais bien plutôt le tableau subtile et nuancé d’une adolescence justement pétrie de dilemmes moraux.
Surtout un très beau film
Ce que je retiendrais surtout de Mignonnes, au-delà du scénario et de ce qu’il dit de notre époque, c’est que c’est un film magistralement écrit et réalisé. La lumière, les cadrages, le découpage, le jeu des actrices: tout y est admirable, précis et d’une justesse remarquable.
Quel plaisir de voir un film français de cette qualité partir à la conquête du monde via Netflix. Il est toutefois regrettable que l’affiche (mal) choisie aux Etats-Unis par le géant de la fiction en ligne ait pu conduire à confondre le messager et le message…