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Ode à Claude (MC Solaar)

C'est l'as de trèfle qui pique mon cœur.

Par
Daisy Le Corre
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«Ramenez-nous MC Solaar et sa douceur, par pitié.» Pas forcément le MC Solaar de «Géopoétique», certes. Mais quand même… Il est presque parfait Claude. À l’heure où le hashtag #balancetonrappeur commence (ENFIN!) à prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux, tel un #metoo du rap, qui s’en étonne encore? Pas moi. La majorité des textes de rappeurs actuels transpirent la culture du viol. On va le répéter encore et encore. Ce n’est plus le temps de faire l’autruche.

À part MC Solaar, l’élite au bic de mon cœur, aucun rappeur ne lui arrive à la cheville. Aucun n’a jamais été aussi respectueux à l’égard du genre humain, tous entrejambes confondus. Aussi cultivé et désarmant de modestie. AUCUN. L’anti-culture du viol, c’est lui. Ses textes transpirent la bienveillance. Qui peut en dire autant dans le paysage rap actuel? L’heure de la revanche des gentils a sonné.

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MC Solaar : 1
PNL, Damso, Moha La Squale & co : 0

Et non, je ne suis pas une «vieille conne de bientôt 33 ans». Je suis parfaitement objective, je suis amoureuse de lui (aussi lesbienne que je puisse être). À l’heure où certain.es dénoncent le mal que des rappeurs ont pu leur faire, je clame haut et fort tout le bien que Claude, lui, a pu (me) faire. Je vous explique et je lui déclare ma flamme en même temps.

***

Claude M’Barali, je t’aime. Sûrement autant que Vanessa Paradis (autre sujet). Et je ne vais pas y aller par 4 chemins pour que tu comprennes: tu m’as donné le goût des mots et l’envie d’en savoir plus sur l’âme humaine. «Les maux par les mots, c’est ainsi qu’on guérit», comme tu l’écris et le proclames.

J’avais 14 ans quand j’écoutais tes albums en boucle et ton Cinquième as en particulier. J’avais même un poster de toi dans ma chambre, à côté de celui de Miss Karaté Kid avec Hilary Swank.
À l’époque, je vivais en banlieue parisienne, à Saintry-sur-Seine, à 20 minutes d’Evry où je suis née et où tu as grandi. Imagine ma tête quand j’ai compris que je marchais dans tes pas, qu’on respirait un peu le même air:

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Né au Sénégal mes deux parents venaient du Tchad
Fils du Sahel j’avais les envies du roi Faad
Mais j’suis venu ici dans un foyer à Saint Denis
Avec mes frères et sœurs, on déménage pour Evry
Ma mère fait des ménages dans des centres hospitaliers.
Elle sait que le savoir sera mon seul allié
Elle rentre tard le soir, moi je joue au football

C’est peut-être la première phrase qui m’a marquée et que je fredonne encore machinalement de temps en temps. Je t’ai pris aux mots: plusieurs universités m’ont servi de refuge et m’ont permis de me déployer, de transclasser en silence. «Le silence est d’or, alors je me tais…» et puis, «on s’aperçoit bien vite que les gens parlent pour rien, alors je parle moins et tente de faire le bien.» J’ai retenu la leçon, j’en garde de bonnes Séquelles.

Aujourd’hui, je sais que j’ai été un imbécile;
Elle était presque ma presqu’île
Les beaux parleurs ont beau parler
La belladone reste à mes yeux de toute beauté.
Seul Dieu sait quelles sont les séquelles
Incrustées dans ses yeux de miel
J’ai tenté de répondre à ses besoins,
En m’inspirant du fin du fin
Cela fait des années que je suis classé dans les bons,
Mais bon, le son de son silence me fait monter d’un demi-ton.
Elle m’inspire,
Tout comme le souvenir de son sourire
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C’est toi qui inspires. Inutile de rappeler à quel point tu es féministe, tu l’as déjà confié plusieurs fois et la plupart de tes textes transpirent la bienveillance à l’égard de ces dames. «Qui viole une meuf, se fait serrer par les keufs.» La base.

«Je lisais Françoise d’Eaubonne quand j’étais petit, une féministe co-fondatrice du MLF, et elle m’a ouvert les yeux. Je crois que je suis le produit de mes lectures entre 14 et 17 ans. J’ai voulu motiver les femmes à travers ce titre. Qu’elles aient la pêche, qu’elles revendiquent la parité partout… Je leur dis : “Soyez fortes!” C’est ma participation, en forme d’encouragement. “La ville est une jungle, harcelée parce qu’elle a une belle gueule. Jupe courte façon jingle, si tu la siffles, elle te répondra ‘ferme ta gueule’…” C’est l’histoire d’une battante qui cherche son Tarzan. J’enjoins aussi les hommes à être forts parce que je voudrais unir à nouveau Jane et Tarzan. J’aimerais rendre à nouveau possible le rêve de romantisme…», comme tu l’as raconté à nos consœurs ici.

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Et comment oublier Caroline. Impossible, je l’écoute encore plusieurs fois par semaine en me demandant comment t’as pu écrire ce titre, trouver les bons mots. «Je suis socio-poétique sur mike ou sur cahier. Sans brailler». Je sais, c’est ça ton secret. On ne s’en lasse pas:

Elle est partie, maso
Avec un vieux macho
Qu’elle avait rencontré dans une station de métro
Quand je les vois main dans la main fumant le même mégot
Je sens un pincement dans son cœur, mais elle n’ose dire un mot
C’est qu’je suis l’as de trèfle qui pique ton cœur
L’as de trèfle qui pique ton cœur
L’as de trèfle qui pique ton cœur, Caroline
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Claude MC prend le microphone genre love story raggamuffin

Pour te parler d’une amie qu’on appelle Caroline
Elle était ma dame, elle était ma came
Elle était ma vitamine
Elle était ma drogue, ma dope, ma coke, mon crack
Mon amphétamine, Caroline

Je me souviens aussi avoir cherché plusieurs fois des mots dans le dictionnaire pour décrypter ce que tu écrivais/disais. Je voulais tout comprendre, tout savoir. Je prenais tes textes pour des trésors et je me la jouais universitaire avant l’heure, grâce à toi. Et je ne suis pas la seule apparemment, regarde ça.

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T’as même failli me faire parler espagnol, c’est dire… Même ma mère trouvait que tu avais une bonne influence sur moi.

Et puis avec ta prose bien sentie, t’as mis les points sur les «i», sans haine ni rancune mais en faisant de ta plume, ton gun à toi:

Viens faire un tour dans ce qu’on appelle le ghetto
D’la pisse dans l’ascenseur, si tu daignes quitter ta Merco
On a l’humeur foncée, j’vois des mecs foncer
Dans la nuit, pourchassés par des Peugeot bleu foncé
Là-bas le taux de chômage n’est pas truqué je vois
Tellement de gens qui ne font rien juste en bas de chez toi
J’peux même te donner des chiffres au pif :
16.64, 33, pastis et 8.6
Les hautes autorités ont vite constaté
Que dans la cité il n’y avait plus d’autorité
Les caïds paniquent, les femmes flics flippent

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KO c’est l’chaos, le K.O.S.O.V.O
La BO en VO d’un fléau, dégâts collatéraux

C’est pour les quartiers chic comme pour les quartiers choc
Les blocs, car nous vivons l’époque dégâts collatéraux

Il y a un peut-être un seul truc qui nous sépare, Claude: Dieu ne m’a pas donné la foi, à moi. Je n’y crois pas mais je sais qu’Il (Elle?) compte beaucoup pour toi. J’ai essayé de comprendre, de me nourrir spirituellement à travers tes textes (c’est grâce à toi que je connais quelques bribes bibliques d’ailleurs) mais je reste une athée convaincue.

En revanche, ta foi en l’humanité et notamment celle en culotte courte, on la partage à 1000%. «J’suis pas le boss des boss. Le paradis pour moi est de voir grandir des gosses. Les protéger de la pluie». Je te comprends, tellement. Moi pareil, depuis plus de 2 ans maintenant.

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Je te rejoins aussi quand tu dis qu’au final, «La vie est belle». Encore plus quand t’es dans les parages.

Alors je sais que tu n’as pas spécialement envie d’avoir un avis sur la question de la nouvelle génération de rappeurs, sur leur flow, leur sexisme ou leur manque de savoir-vivre, mais je suis certaine que ça te rend ouf. Ta légendaire modestie t’interdit sûrement de prendre partie mais je te feel. Tu dis simplement que tu entends parfois des choses «intéressantes»…Je ne te crois pas. Et tu sais quoi? Je ne t’en veux même pas.

Une chose est sûre: «tu es passé pour être présent dans mon futur» (permets-moi de reprendre tes mots). Merci pour tout, Claude.

Mais reviens. Vite. Remets une cartouche dans ton stylo plume et ramène-toi. Laisse pas planer ton âme.

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