.jpg)
Mostra 2022 : Harry Styles ne m’a pas craché dessus mais c’était quand même bien
Tous les ans, début septembre, quelques milliers de chanceux ont l’occasion de repousser l’inévitable et faire comme si la rentrée n’existait pas, en se rendant à la Mostra de Venise. Pendant que nos proches reprennent le chemin du bureau la mort dans l’âme, et que l’actualité déprimante reprend son cours, on se laisse porter par le rythme très farniente de ce festival de cinéma situé en pleine lagune, sur l’île du Lido. Les vrais professionnels du déni enchaînent directement avec le festival du film de Toronto, mais pas moi, parce que je n’ai plus d’argent.
Certes, il faut risquer quelques coups de soleil, et endurer huit milliards* de piqûres de moustiques qui semblent destinées à nous gratter à perpétuité. Certes, les films ne sont sous-titrés qu’en anglais et en italien, ce qui freine parfois la compréhension de certaines œuvres étrangères (mais permet de découvrir que « Croix de Chavaux », dans un film français, a été sous-titré « Cruad Schiavo » en italien). Mais ça vaut le coup.
Le réveil à 6h30 pique un peu mais c’est quand même nettement plus agréable que le métro.
Le matin, à moins de loger à l’hôtel Excelsior avec Adam Driver, on prend le bateau depuis Venise pour une traversée d’une vingtaine de minutes, et l’espoir de réussir à prendre un café sur le Lido avant la première projection : le réveil à 6h30 pique un peu mais c’est quand même nettement plus agréable que le métro. Une fois sur place, le public peut se rendre aux deux ou trois bars et cantines éphémères du festival, où l’on trouve à toute heure de la journée cappuccino, croissants fourrés, pâtes délicieuses et pizzas pas chères. Sans oublier les spritz à cinq euros, que certains ramènent même avec eux en projection. C’est aussi ça, la magie du cinéma. Dans les salles de projos, de toute façon, l’ambiance est cool : on croise des gens pieds-nus, des rongeurs d’ongles compulsifs qui nous jettent leurs rognures dessus, et aussi parfois des oiseaux, comme à la projection presse de White Noise. Et bien-sûr, comme dans tout bon festival de cinéma, quelques gens qui dorment (jamais moi, évidemment).
.jpg)
Pour ceux qui sont éveillés, la Mostra est un ravissement de tous les sens, y compris l’ouïe. D’où viennent ces cris stridents qui retentissent d’un bout à l’autre du Lido ? Aurait-on raté l’installation d’un grand huit géant à côté du Palais du Casino ? Ah non, ce sont juste les fans de Timothée Chalamet, qui ont visiblement décidé de briser le mur du son. L’acteur le mieux coiffé de la planète est arrivé pour promouvoir Bones and All, film en compétition de Luca Guadagnino dans lequel il joue un cannibale en gilet à fleurs. Et honnêtement, si on avait réussi à l’apercevoir sur le tapis rouge, dans sa combinaison à dos-nu satinée, nous aussi, on aurait sans doute percé un ou deux tympans.
À côté des cris des fans de Timmy, ceux des fans de Harry ne font pas le poids.
.jpg)
Quelques jours plus tard, la compétition se corse. Cette fois-ci, ce sont les cris stridents des fans d’Harry Styles, certain•es ayant campé toute la nuit devant le tapis rouge sur des lits d’appoint, qui se font entendre jusqu’à la cafète. On admire leur engagement, mais il faut trancher : à côté des cris des fans de Timmy, ceux des fans de Harry ne font pas le poids. On est moins sur du niveau Space Mountain, plus sur un manège de fête foraine de province : peut mieux faire.
En même temps, la venue du chanteur britannique, pour promouvoir Don’t Worry Darling, a été quelque peu éclipsée par la montagne de ragots entourant son film. Y aurait-il eu une dispute entre la réalisatrice Olivia Wilde et son actrice principale Florence Pugh ? Cette dernière a dit qu’elle ne pouvait pas assister à la conférence de presse à cause d’un conflit d’emploi du temps, mais s’est finalement pointée sur le Lido cinq minutes après, tout sourire. La spéculation atteint son paroxysme avec une sombre histoire de faux crachat, de lunettes de soleil et de regards évités. Chaque geste de l’équipe est épié, les articles de gossip n’en finissent plus, internet est hystérique. On en oublierait presque (presque !) les cheveux de Timothée Chalamet. Le film, quant à lui, est une belle réussite : on a eu beau adorer cette séquence ragots, ça serait bien de ne pas l’oublier.
.jpg)
Surtout que la programmation vaut le détour. Certains des plus gros événements cinématographiques de l’année ont fait leur première sur le Lido : Blonde, le faux biopic très controversé sur Marilyn Monroe, The Whale, nouveau film sensationnaliste et larmoyant de Darren Aronofsky qui ressurgira très certainement aux Oscars, ainsi que des nouveaux films d’Iñárritu, Paul Schrader, Florian Zeller, Todd Field, Laura Poitras ou Joanna Hogg. Que du beau monde.
Prochaine étape pour la Mostra, on l’espère : arrêter de mettre la clim tellement fort dans les salles de projection qu’on en ressort avec trois doigts de pied en moins.
L’idée de participer à un grand événement international à l’heure du réchauffement climatique, dans une ville de plus en plus susceptible aux inondations catastrophiques, peut paraître incongrue. Mais la Mostra, au moins, fait quelques efforts : l’organisation vise depuis plusieurs années la neutralité carbone, et demande d’ailleurs à tous ses accrédités de remplir un formulaire indiquant la manière dont ils comptent se rendre sur place. Le festival est aussi très scrupuleux sur le recyclage : on trouve des poubelles de tri tous les trois mètres, et dans les toilettes, des petits tupperware ont même été installés sous les distributeurs à savon pour récupérer ce qui tombe à côté (il n’y a pas de petites économies).
De toute façon, rassurons-nous : Oliver Stone a trouvé la solution avec son documentaire Nuclear, un powerpoint filmé, moche mais pédagogique, sur la nécessité de se remettre à l’énergie nucléaire si on veut sauver la planète. Prochaine étape pour la Mostra, on l’espère : arrêter de mettre la clim tellement fort dans les salles de projection qu’on en ressort avec trois doigts de pied en moins.
*chiffre approximatif.
.jpg)