Logo

Mon collègue, mon agresseur

Quand le bureau (et tout le reste du quotidien) vire au cauchemar.

Par
Christina Labelle
Publicité

Christina Labelle a partagé ce témoignage troublant sur sa page Facebook, nous le publions dans son intégralité avec son autorisation.

+++

À chaque fois qu’il y a un mouvement comme ça, vous pouvez même pas savoir à quel point je prends sur moi. Je prends sur moi parce que ça m’est arrivé. Je fais partie de ces stats-là. Je suis une des femmes sur 4 dans votre entourage qui s’est faite agresser sexuellement.

C’était un collègue. Ah et c’était aussi un pote. On buvait des coups ensemble dans des afterworks qu’on improvisait. Il fréquentait une autre fille de boulot et ça n’allait pas vraiment bien parce qu’elle était sur le point de divorcer. Un gars correct, un peu relou, paresseux et super féministe, selon ses dires.

Publicité

J’ai eu un diagnostic de «choc post-traumatique suite à une agression sexuelle». Quand tu vois ça sur le p’tit bout de papier du médecin, ça te donne un putain de feeling de merde. C’est chelou parce qu’avoir un diagnostic comme ça, ça soulage et ça effraie en même temps. Ça soulage parce que je me suis sentie normale de pas avoir dormi pendant des mois. D’avoir le corps qui tremble tout l’temps. D’avoir cette scène d’horreur qui roule dans ma tête non stop. D’être toujours sur mes gardes quand j’entends la voix d’un homme derrière moi quand je fais mes courses. De toujours gueuler pour rien. De me sentir sale tout le temps. D’avoir l’impression que mon corps ne m’appartient plus. De me sentir comme une proie parce que mon assaillant travaillait à 10 mètres en arrière de moi.

Effrayant parce que je savais juste pas quoi faire pour me réparer, pour me guérir. C’est comme si je repartais à 0. Ma personnalité, ma confiance, ma sexualité, les choses que j’aimais, les choses que je détestais… Tout a été ébranlé. Tous les aspects de ma vie et de ma personne ont changé. C’est un peu comme si toute ma vie j’avais bâti une maison que je commençais à aimer. Une belle p’tite maison où je commençais à être confortable dedans. Mais une soirée, quelqu’un est venu foutre le feu dans ma maison, détruisant toutes les choses que j’aime et même les affaires que j’aime moins. J’ai dû tout reconstruire à partir de 0.

Publicité

Pendant 2 ans j’ai travaillé avec lui. Oh, et je l’ai dénoncé aux ressources humaines de mon job. Ils m’ont même aidée à le dénoncer à la police. J’ai trouvé la fille des RH super gentille et compréhensive sur le coup. Je suis passée en interrogatoire dans une salle beige avec un miroir où un autre policier filmait. J’avais une preuve; une conversation Messenger où mon agresseur ne niait rien. J’ai rencontré un procureur pour aller en cour. Ce matin-là, je n’avais pas bu de café parce que je voulais mieux gérer mon anxiété. Je n’avais pas dormi de la nuit. Le procureur voulait vérifier ma «solidité». Et puis j’ai craqué. Quand il m’a demandé pourquoi je voulais l’amener en cour, j’ai craqué putain. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en lui expliquant que je voulais juste garder mon job sans devoir l’affronter tous les jours.

Alors après ça, y’a pas eu de suite. Et de la part des ressources humaines non plus. Mes boss étaient au courant de la situation. Je leur ai demandé de ne jamais collaborer ou travailler en équipe avec lui.

Publicité

Pendant 2 ans je me rendais au travail toujours hangover parce que je me gérais avec l’alcool. J’étais en colère. Le nombre de fois où j’ai engueulé mon agresseur à l’intérieur de moi, en lui demandant pourquoi il avait pas arrêté quand je lui ai demandé. Je ne compte même plus le nombre de crises de panique que j’ai faites au boulot parce qu’il passait trop proche de moi ou parce que j’entendais sa voix. C’est vraiment bizarre de se sentir littéralement comme une proie, tout le temps. Pendant 2 ans, je savais exactement où il était physiquement dans le bureau. Pas parce que je le voulais, mais parce que mon corps le sentait. C’est carrément l’instinct de survie qui embarque. Pas besoin de vous dire que c’est atrocement épuisant.

Je ne voulais pas démissionner parce que j’avais l’impression de le laisser gagner. J’avais des amis au boulot que j’ai volontairement tassés de ma vie parce que je ne voulais pas que ça se sache. Pour me protéger moi. Pour protéger mon emploi que j’aimais, somme toute. C’était un environnement de travail tellement toxique. Mais je ne voulais pas le laisser gagner. Je ne voulais pas lui offrir mon départ. Avec le recul, j’aurais dû partir de là.

Publicité

J’ai été chanceuse d’avoir été suivie. J’ai eu des dédommagements monétaires et un soutien psychologique. Ça va beaucoup mieux aujourd’hui, mais je suis encore fâchée et j’ai encore un immense sentiment d’injustice en moi. Je sais que j’aurai des séquelles de ça toute ma vie.

C’était juste une soirée. Une soirée où j’ai dit stop une vingtaine de fois à un ami et parce qu’il ne m’a pas écoutée, j’en serai marquée toute ma vie.

Écoutez vos partenaires bordel.