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Ce samedi 19 décembre 2020, c’est l’élection de Miss France 2021. Un rendez-vous annuel qui fait toujours parler de lui. Ces dernières années, le sujet principal à propos de Miss France, c’est son rapport au féminisme : ça le sert ? ça le dessert ? Tout le monde s’y est intéressé, de nombreux débats ont eu lieu, mais il n’y a pas une réponse claire et irréfragable. Entre « C’est une honte » et « C’est un étendard », plusieurs avis, plus ou moins tranchés. Nous aussi, on a décidé de s’en mêler.
Souvenirs, souvenirs…
Quand j’étais petit, la soirée Miss France n’avait pas autant d’ampleur qu’aujourd’hui. C’était une soirée de divertissement comme une autre, entre deux variétés de Michel Drucker ou Jean-Pierre Foucault. Déjà eux… C’était tellement « obscur » que ça passait sur France 3, c’est vous dire ! Je me souviens de Guy Lux, qui expliquait les règles comme il savait le faire : bref, on ne comprenait rien. Je me souviens de Celeste au standard. Je me souviens que Sacha Distel, le chanteur culte de nos (grands) parents, avait animé la soirée. Je me souviens de la gagnante qui tombe dans les pommes. Je me souviens de Sophie Thalmann, qui avait eu sa petite phrase à Jean-Pierre Foucault : « Mon objectif c’est de prendre votre place ». Je me souviens que ça avait lancé l’ère des Miss hyper médiatisées : Sonia Rolland, Delphine Wespiser, Alexandra Rosenfeld… Je me souviens de Geneviève de Fontenay qui s’en prend à Valérie Bègue, pour des photos dénudées. Je me souviens du crâne chauve du fils de Geneviève, Xavier, dont on a dit plus d’une fois qu’il avait eu un comportement déplacé avec les candidates. Je me souviens des chutes, des réponses à côté de la plaque, du stress des candidates. Bref, des moments de télévision marquants. Car Miss France, c’est avant tout une émission de télévision.
Bref, elles ouvrent leur gueule, plus souvent pour le meilleur que pour le pire.
Une émission, pas un vrai concours, qui n’aurait aucune raison d’exister sans cette exposition médiatique. La preuve : lorsque Geneviève de Fontenay a créé un nouveau concours une fois « expulsée » du comité Miss France, ça a été diffusé sur une chaîne locale, IDF1, propriété du groupe AB. Aucune résonnance, et même un côté cheap qui avait tué l’initiative dans l’œuf. Geneviève aurait-elle été victime de ses codes d’un autre temps ? Car le concours a évolué ces dernières années, parfois forcé et contraint. Avec aujourd’hui tous les réseaux sociaux disponibles, l’attention médiatique et leur retentissement, le comité Miss France ne peut plus demander à ses candidates d’être juste belles et de se taire. Certaines ont déjà un beau réseau sur Instagram avant de poser le talon aiguille sur le plateau. D’autres prennent la parole sur des sujets de société : féminisme, pauvreté, solidarité… Bref, elles ouvrent leur gueule, plus souvent pour le meilleur que pour le pire.
Alors Miss France, féministe ou pas ? Les candidates passées assurent que oui, sinon elles ne seraient pas là. Les pourfendeurs/ses l’attaquent en règle chaque année : image rétrograde, jugement sur le physique, regard des hommes. Pourtant, chaque année, un pas de plus est fait vers un féminisme « mainstream », celui qui peut plaire à tonton et tata, pas forcément concernés a priori, mais qui peuvent voir dans ces demoiselles un bout de l’avis, et de la vie, de ces ados avec lesquels ils ont du mal à communiquer. Des étudiantes en sciences politiques côtoient des étudiantes en métiers de l’esthétique, mises sur un pied d’égalité que leur refuse souvent la société, quoi qu’on en dise. Une cause est défendue chaque année, par exemple les violences faites aux femmes en 2019, abordées de manière à ce que le débat puisse se poser en famille. Le jury enfin, passé de 100% masculin à 100% féminin, composé désormais aussi bien d’anciennes Miss, que de sportives de renom, ou d’animatrices à forte personnalité. Alors, oui, on peut rêver que les plus grandes chercheuses et scientifiques composent le jury, cela arrivera peut-être dans quelques années.
Combien d’animatrices en fauteuil roulant ? Combien d’actrices rondes ? Combien de scientifiques invitées sur les plateaux ?
On peut aussi rêver que des femmes aux formes différentes, au handicap apparent, ou encore des trans, des mamans de 40 ans, participent au concours. Mais le concours pointe un problème de notre société : à part quelques publicités récemment, celles-ci ne sont pas spécialement mises en avant. Posez-vous la question : combien d’animatrices en fauteuil roulant ? Combien d’actrices rondes ? Combien de scientifiques invitées sur les plateaux ? Mettre sur le dos de Miss France les maux de la société actuelle, c’est quand même pas très fair-play. Et si le concours était d’ailleurs une vitrine pour ces micro changements sociaux ? De la même manière que la diversité s’impose dans le quotidien, grâce à des héros et héroïnes présents de manière récurrente dans les programmes comme les séries. Premier acteur principal noir dans un prime-time, première femme à jouer le rôle de Zorro, premier acteur handicapé à avoir un rôle régulier dans une série. La vie est faite de premières fois, le concours aussi, à plus petite échelle puisqu’il n’a lieu qu’une fois par an. On pourrait d’ailleurs se plaindre qu’il n’y ait pas d’équivalent masculin, pour contrebalancer. Mais l’expérience a été tentée, animée par Laurence Boccolini qui fut la seule gagnante de la soirée pour y avoir trouvé son futur mari. Car côté audiences, ce fut un flop. Côté spectacle aussi. Le concours existe toujours, mais il n’est plus diffusé à la télévision. Celles et ceux qui en veulent plus, plus vite, seront toujours déçus. Celles et ceux qui ont du mal avec le féminisme trouveront qu’on en fait toujours trop. Pas grave.
J’ai relu quelques articles de ces dernières années pour voir l’évolution sur a question du féminisme : il n’y en a pas. Chaque année, un mouvement féministe publie, à quelques jours du concours, une tribune déclarant le spectacle comme « ringard », « sexiste », rétrograde », « mysogine ». Chaque année, le comité Miss France représenté par Sylvie Tellier passe les jours suivants à devoir se défendre, marche sur des œufs. Chaque année, des Miss prennent la parole pour dire que c’est une belle mise en avant pour les femmes. La vérité, c’est que comme pour de nombreux sujets, il y a autant de réponses que de personnes. Les Miss expriment souvent que leur année de règne leur a permis de vivre une année d’empowerment, et le prouvent en réalisant de belles carrières médiatiques par la suite. Leurs opposant(e)s rient justement de cette suite de carrière : séries TV bas de gamme, mariage avec une célébrité, ou retombée dans l’anonymat.
Regarder ou ne pas regarder, telle est la question
Tonton relou restera sans doute toujours aussi relou, à commenter les formes de chacune. À côté, tata le mouchera au moins une fois dans sa vie : « Nan mais t’as vu ta gueule pour juger ? », peut-être décidée à prendre la parole parce qu’elle voit ces femmes s’affirmer. Le jeune cousin grandira un peu moins con que son père. La petite cousine rêvera de belles robes, avant de rêver d’un PhD, les deux n’étant pas incompatibles. TF1 surveillera les audiences, et fera évoluer son show pour l’année suivante, en épousant les évolutions inratables de la société. Sylvie Tellier défendra becs et ongles ses représentantes, qui prennent le pari, un soir de l’année, de voir ce qu’on pense d’elles, en public. Il faut du courage pour ça.
Pour le reste, le show réalise chaque année entre 6 et 10 millions de téléspectateurs. Ce qui veut dire que plus de 50 millions de Français font autre chose à ce moment-là. Pourquoi ? Parce que c’est une émission de télévision, je le rappelle. Et que, comme pour tout programme qui ne vous plaît pas, comme la télé-réalité, comme les émissions de Noël, comme les mauvaises séries, vous avez le choix de ne pas regarder.
En tous cas, le sujet est tellement important que l’émission ne le nie pas : « Peut-on se présenter à Miss France et être féministe ? » fait partie, depuis quelques années, des questions posées aux jeunes femmes pour tester leur capacité à répondre en improvisation. Alors, et si le meilleur moyen de répondre à cette question, c’était de se présenter au concours ? Why not.