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Marseille, nouvelle lubie des Parisiens

Après Bordeaux...

Par
Adéola Desnoyers
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En quelques étés, la cité phocéenne est devenue le nouveau terrain de jeu d’un certain genre de touristes : la jeunesse parisienne, en mal de grands espaces et d’apéros en maillots de bain, a investi les spots branchés de la rivale de la capitale.

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25 juillet. 32 degrés. Anse de Malmousque.

Perchées sur un bout de rocher, les fesses sur leurs serviettes multicolores, deux copines trinquent avec leurs bouteilles d’Heineken. Le selfie est de mise en cette fin de journée ensoleillée et, face au soleil couchant, l’une glisse à l’autre une phrase qui résume leur semaine de vacances : « Franchement, Marseille is the new Paris. »

Dans ce coin du 7e arrondissement, dès les premiers beaux jours, il n’est pas rare de croiser des grappes de jeunes marseillais, avec bouteilles de rosé et paquets de chips. Le spot est bien connu des habitants de la cité phocéenne, qui s’y retrouvent à la fin d’une journée de boulot, pour faire un saut dans la mer ou entamer l’apéro. Mais cet été, quelque chose a changé. Entre les adolescents qui sautent des rochers en Air Max et les corps bronzés des habitués, des accents parisiens se font entendre, bien plus que d’ordinaire.

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En haut des escaliers de la gare Saint-Charles, même constat. Valise à la main et lunettes de soleil vissées sur le nez, une jeune femme zoome sur le plan Google maps de son téléphone : « C’est par où le quartier du Panier, s’il vous plaît ? », demande-t-elle à l’homme qui vient de lui passer devant. D’un geste vague, il lui répond en pointant le panorama anarchique des toits de tuiles: « Faut descendre le boulevard de la Libération et la Canebière jusqu’au Vieux Port. » Pas plus avancée, la touriste se lance quand même dans la descente des marches. C’est la première fois que Charlotte – 22 ans, étudiante en droit – passe ses vacances à Marseille : « J’ai loué un Airbnb avec des copines pour une semaine. On a d’autres amis de Paris qui seront dans le coin, alors ça nous a motivées. »

#Calanques, #pétanque, #pastis

Covid-19 oblige, le choix de villégiature des vacanciers a été restreint cet été. Alors pour bon nombre de Parisiens, la destination était toute trouvée : la rivale du Sud, avec ses airs de carte postale et son charme mi-canaille mi-crapule a mis tout le monde d’accord. Déjà, l’été précédent Katia et Enzo – un couple de jeunes marseillais – avaient senti le vent de la « branchitude » souffler sur leur ville. Mais rien à voir avec 2020. « L’été, on a l’habitude de croiser des familles d’Allemands sur les plages de Cassis ou à la Ciotat. Mais là ce sont surtout des jeunes qui ont investi les bons coins intramuros. À Malmousque, c’était blindé tous les jours. »

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Depuis 2013 et l’obtention du label « Capitale Culturelle Européenne », la ville a le vent en poupe. Sur le Vieux Port, le Mucem et sa dentelle de béton – symbole de ce renouveau culturel – trône face à la Méditerranée. À la direction, on se félicite du beau score : près de dix millions de visiteurs depuis l’ouverture et chaque année, toujours un peu plus de monde. Dans le quartier populaire de la Belle de Mai, considéré comme l’un des plus pauvres d’Europe, la Friche a réussi à attirer le flux des touristes et des fêtards : mi-lieu culturel, mi-rooftop, l’ancienne Manufacture des tabacs de Marseille héberge des expositions, des concerts et un bar sur son toit.

Un pastis à la main, du Jul dans les oreilles, les cool kids de Paris ont mis le cap sur Massilia et ses hotspots, de l’aïoli du café de l’Abbaye à la calanque de Sormiou. À se demander qui leur a donné le filon…

Sans doute l’ambassadeur du nouveau sud en personne, le très en vogue Simon Porte Jacquemus, styliste de son métier et sudiste de cœur. En 2018 déjà, le créateur avait fait de sa calanque préférée le cadre de son premier défilé Homme, intitulé sobrement « le Gadjo ». Devant un parterre de modeux de la capitale, des mannequins bronzés et pieds nus avaient paradé au bord de l’eau turquoise. La BO ? Beau gosse de Disiz la Peste et le tube de K.Reen et Def Bond qui avait fait fureur à la sortie du premier Taxi.

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En juillet, l’enfant prodige de la Provence a posté sur son compte Instagram – presque trois millions d’abonnés – un Jacquemus Mini City Guide avec tous ses coups de cœur : la Cité radieuse du Corbusier, le concept store Jogging où ses chemises se vendent si bien, le Baou club branchouille installé depuis 2019 dans les quartiers Nord.

D’après Katia, « toutes ses adresses, c’est surtout des lieux de la hype. Il y a beaucoup de Parisiens qui vont là-bas. Nous, on ne va pas tous les matins s’acheter des fringues Paco Rabanne chez Jogging ou manger du poulpe chez Tuba. »

Une semaine ou un an ?

Pour Ève et Louis, deux parigots de 30 ans, le déménagement est imminent. Le couple a décidé de passer à la vitesse supérieure et de s’installer définitivement à Marseille. « Ça fait un bout de temps qu’on voulait partir de Paris : les loyers trop chers, le rythme, le climat… », explique la jeune femme. Cet été, pendant leur semaine de vacances ils ont fait le tour des agences immobilières et ont fini par trouver la perle : un 71 mètres carrés dans le quartier tranquille du Camas. « On paye presque moitié moins pour le double de surface de notre appart parisien, y’a pas photo ! ». En rentrant à Paris, Louis a demandé sa mutation et Ève a posé sa démission.

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Mais pas question de faire l’amalgame entre eux et les bobos de passage. « Marseille on l’aime, mais on connait aussi ses galères. Ça fait 10 ans que je viens ici et qu’on en parle avec nos amis marseillais : l’insalubrité, le manque de transports en commun et de boulot, l’insécurité. Il faut en être conscient avant de se décider à bouger. » Preuve s’il en fallait que Marseille n’est pas toujours l’image de papier glacé que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, une bête histoire de klaxons aura coûté la vie d’un jeune homme, en plein mois de juillet, à deux pas des bars du cours Julien.

Loin des enjeux sociétaux et politiques, les touristes en goguette voient la ville comme un terrain de jeu ou les faits divers qui alimentent le site du journal La Provence ne sauraient gâcher leur plaisir.

Dans la tristement célèbre rue d’Aubagne – deux immeubles effondrés en 2018 et huit morts – la jeunesse en bobs colorés et sneakers griffées fait la queue devant la très chic épicerie l’Idéal, ou s’installe sur les tables en plastique du restaurant tunisien Chez Yassine. Pour Enzo, la gentrification à laquelle Marseille a longtemps été imperméable est bien en marche : « Quand on voit des lieux comme l’épicerie l’Idéal s’installer dans le coin, on est en droit de se poser la question : à qui c’est destiné ? Sûrement pas aux gens du quartier, qui n’ont pas les moyens de se payer une cuillère de gorgonzola à 15 euros. »

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Dans la ville, deux réalités cohabitent, celle des habitants des quartiers populaires, laissés sur le carreau par un demi-siècle de politique de pots-de-vin et celle d’un Marseille à la mode, mystifié. « Le problème, c’est que les Parisiens passent par Instagram pour s’approprier la ville. Plus personne n’essaye de se perdre dans les rues et c’est le marathon de la bonne adresse : il faut toutes les cocher avant de reprendre le train », constate Ève.

Vieilles rivales

23 août. 22h30. Vieux-Port.

Sur les écrans qui diffusent le match, le Bayern-Munich vient de doucher les espoirs des supporters du PSG avec un but à la 59e minute. Cette année encore, pas de victoire parisienne à la Champion’s League. Au coup de sifflet final, la petite rivalité qui oppose la capitale et la deuxième ville de France refait surface : dans le quartier du Vieux-Port, fumigènes et feux d’artifices sont de sortie. Sur les torses bombés, les Marseillais portent fièrement le bleu et blanc de leur club.

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Dans une ambiance bon enfant, les scènes de liesses se veulent un petit pied de nez, d’un groupe de supporters à l’autre et surtout pour rappeler les faits : l’Olympique Marseillais reste le seul club français à avoir remporté la coupe aux grandes oreilles. Capitale ou pas. Enzo préfère quand même rassurer les Parigots: « La demi-finale, on l’a regardée au cours Julien, et quand le PSG a marqué, tout le monde criait, les Marseillais comme les Parisiens. » Mais dans la ville, ce soir, résonnent les cris d’une victoire.

Marseille la revancharde est à la mode, son art de vivre aussi. Et même si depuis la fin du mois d’août, les bars et restaurants doivent baisser leurs rideaux à 23 heures pour endiguer la circulation de la Covid (la faute à l’afflux de touristes ?), on sent dans la ville, le début d’un nouveau règne. Au milieu des coups de klaxons, un local résume la situation à sa manière, en s’adressant aux supporters du PSG, déçus : « Hé les payots ! À jamais les premiers ! ».

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