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Manifeste contre le retour au boulot

Ode au télétravail.

Par
Stéphane Moret
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Si les entreprises ont été rapides à mettre leurs employés en télétravail à l’annonce du confinement, elles ont été aussi rapides à leur demander de retourner au bureau sitôt le déconfinement amorcé. Si la première décision était pour le bien de l’employé, la deuxième est clairement pour celui de l’entreprise et de ses managers. Parce qu’il faut que vous sachiez que, pendant que vous taffiez comme des fous depuis chez vous, certains d’entre eux s’ennuyaient de ne plus pouvoir jouir de leur ascendant IRL.
Retourner au bureau ? Mais t’es pas bien, non!

L’enfer, c’est les autres… au bureau

Depuis que les bureaux fermés ont laissé place à l’open-space, le bureau c’est l’enfer. L’intimité y est piétinée, la pudeur violée, l’intelligence bafouée. Et on veut nous faire croire que c’est une bonne nouvelle de retrouver ses collègues de travail ! C’est oublier Margot qui parle fort au téléphone avec une copine mais au vu et au su de tout le monde pour raconter ses dernières mésaventures. Ou ce collègue qui vient nous voir toutes les deux secondes pendant qu’on bosse avec ses « Et celle-là, tu la connais ? C’est un nain chinois acrobate… ». C’est ne pas se souvenir non plus de Jacques qui, COMME PAR HASARD, n’a jamais les 40 centimes nécessaires pour s’acheter le café lyophilisé du matin. Cumulés, il vous doit quand même 200 balles. On avait oublié tout ça, parce que, au final, ça ne peut pas nous manquer. Enfin si, dans le cas où on est masochiste. Parce que l’enfer, c’est bien les autres… au bureau.

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Pendant le confinement, quand il y avait des réunions, c’était chiant mais en même temps, c’était marrant. D’abord parce qu’on voyait notre N+1 galérer avec sa webcam. Le gars t’explique sans cesse qu’il est le meilleur, le plus fort, et que vous êtes tous des gros nazes, mais en fait, il sait pas se cadrer avec la caméra de son ordi, si bien qu’on voyait plus son front que le reste. Et puis voir toutes ces têtes qui regardent la caméra, alignées côte à côte sur un écran Zoom comme un Tétris de visages, c’était quand même savoureux. On a aussi vu l’intérieur (souvent moche) de chacun de nos collègues ! Je parle des maisons, hein. Mais surtout, c’était drôle quand le son coupait à chaque fois que Jean-Marc disait un truc important. Et puis on pouvait enfin mater son phone en le posant à côté de notre écran sans jamais se faire gauler. Oh et on était tous en short, caleçons, culotte, sans soutif, pendant qu’on bossait, et ça, ça n’a pas de prix.

Mais voilà, comme on avait trouvé notre rythme de croisière, qu’on bossait très bien et qu’on était incroyablement efficaces, les boss se sont dits : « Merde, ça va se voir qu’on sert à rien. » Alors, au motif qu’une bonne portion de tocards sont allés boire des coups sur les berges en se rassemblant en masse et en disant « fuck » aux consignes sanitaires, les Belzébuths du management se sont dits « Banco! » Donc, vu que « y a plus rien à craindre, le Covid c’était juste un boss de fin de niveau », vous pouvez retourner au bureau. Evidemment, les managers seront les premiers à s’y ruer. Pour faire des réunions qui serviront à savoir comment les suivants pourront venir à leur tour. Tu vois le truc ? Déjà, on te fait bien comprendre que si tu ne viens pas dans les premiers, t’es au bas de l’échelle alimentaire du management. Ça sent le plan social en fin d’année, et ton nom est déjà pré-inscrit au crayon de mine.

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Les gars sont contents. Ouais, c’est souvent des gars. Il se retrouvent, se rassurent, se tapent le bide, se reniflent. S’échangent les dernières blagues de Bigard. Se plaignent un peu parce que, pendant 2 mois, c’était pas eux qui décidaient à la maison, mais leurs femmes. Alors ils en ont eu marre, et ils sont bien contents de rentrer au boulot, parce que, ici, c’est eux qui commandent, non mais ! « Mais dis donc, faut bien qu’on leur montre, à nos employés, que nous on est de retour. On les ferait pas culpabiliser en disant qu’on est courageux d’avoir traversé les transports en commun pendant qu’ils continuent de regarder les rediffusions des 12 coups de Midi ? ». Et, autant on ne vous a pas demandé de vous confiner, on vous l’a imposé, autant pour le retour, vous allez être mignons de revenir sans qu’on vous demande votre avis non plus. « Ce serait bien que vous retourniez dès la semaine prochaine, parce que sinon la boîte va pas survivre, hein ». Eh oui, si l’entreprise est mal gérée, ce n’est pas de leur faute, à eux, les managers, mais à vous qui bossez comme des dingues depuis 2 mois entre deux lessives, les cours des petits et une pseudo-récré Youtube avec Trotro l’âne trop rigolo pour occuper le petit dernier. Donc, on a décidé pour vous: vous allez revenir au moins 2 jours par semaine, mais 3 ce serait mieux. Et puis vous vous arrangerez pour éviter les heures de pointe, donc vous avez le droit de venir au bureau avant 7h30. Et puis vous pourrez repartir après 19h30 si vous avez peur de croiser du monde dans les transports.

Le travail c’est la santé, y aller c’est la flinguer.

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Ah oui, parlons des transports. J’épargne donc ici ceux qui ont une voiture, et qui vivent hors de Paris, leurs problèmes sont différents. Mais pensez au métro parisien en temps normal : tu es tassé entre 18 personnes qui t’écrasent la glotte et plus si affinités. Tu profites de l’aisselle ou l’haleine de ton voisin le plus proche. Tu te découvres des pouvoirs de devin/mentaliste sur certains : « Tiens, il a pas pris de douche depuis un moment. » Tu te fais peloter par des porcs. À tout cela, tu rajoutes une pincée de Covid-19 et les mesures sanitaires qui vont avec : respecter les distances physiques, porter un masque. Tu ris déjà en imaginant le résultat, hein ? Eh bien, on rajoute le bingo : au milieu de tout ça, la sauvage barre de métro qu’il ne faut SURTOUT pas toucher sauf si tu as pris 2 litres de solution hydro-alcoolique. Tu sais, ce nid à miasmes, que si tu la lèches, tu chopes le bubon en moins de deux. Le travail c’est la santé, y aller c’est la flinguer. Reste un truc qui est tout nouveau. En tous cas, selon les journaux télévisés qui ne parlent que de ça depuis quelques jours : le vélo. Je sais pas si vous connaissez, c’est comme une moto, mais sauf qu’au lieu d’avancer tout seul, c’est toi qui pédales pour le faire avancer. C’est génial, parce qu’en ce moment, ils font des voies exprès pour les vélos, partout. Pour pas que tu touches un autre vélo si tu le doubles. Alors les voitures à côté, elles avancent pas et elles gueulent. C’est trop marrant, le vélo. T’es aussi un Martien si tu ne sais pas qu’on te file 50 euros pour faire réparer ton ancien vélo, parce que tous les journaux l’ont dit au moins 3 fois chacun. Perso, j’aime pas le vélo. Et j’aime pas qu’on me force à en faire, surtout en disant « Si si, il faut, hein ! » Mais cette opération médiatique aura réussi le tour de force de faire passer la trottinette du statut de superstar du déplacement urbain à ringardise officialisée en à peine 6 mois.

Réinventer le monde du travail de fond en comble

Car oui, le confinement nous aura permis de tirer quelques leçons. D’abord, on est plus autonomes qu’on ne l’aurait pensé au départ. Deuxièmement, vos managers n’en ont rien à foutre. Ils n’ont pas d’emprise sur vous en ce moment, enfin pas assez, même s’ils ont parfois fait preuve d’une imagination sans faille pour tenter de vous pourrir la vie. Mais le constat le plus important est là : le travail, de son espace à son organisation, doit être réinventé de fond en comble. Je ne parle pas de « monde d’après », je parle d’un monde d’hier qui continue d’exister, avec managers toxiques, employés démotivés, jeunes pas assez encadrés, vieux oubliés, et budgets au rabais. Chaque spécialiste du marketing, sociologue du travail, éditorialiste, y va de sa petite solution ou révolution. Mais sachez une chose : ils ne vous proposent que ce qu’ils ont à vendre. Étonnamment, le monde d’après révèle ce qu’ils s’évertuent à dire depuis 10 ans et qui leur rapporte. Mais moi, comme j’suis un mec sympa et que j’ai des actions dans absolument rien du tout, je m’en vais vous donner ma petite recette du bon fonctionnement du travail.

« Mais t’arriveras à travailler si je ne te surveille pas toutes les heures ? »

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Je ne prends en compte, bien sûr, que ceux qui peuvent se permettre le télétravail. Pardon auprès de celles et ceux qui ne sont pas concernés. Et pour le télétravail (qu’on appelle home-office maintenant, ça fait plus branché), il y a un équilibre entre « Tout le monde en télétravail à 100% » et « Putain, venez tous au bureau en même temps et restez-y le plus longtemps possible ». Donc, on propose et on demande aux employés si ça les intéresse de venir moins. Ceux qui demandent, on ne leur répond pas « mais t’arriveras à travailler si je ne te surveille pas toutes les heures ? ». On dit oui, parce que les employés ne sont pas des gosses. On réduit le nombre de bureaux fixes. On équipe tous ses employés d’un ordinateur portable de bonne qualité, qu’il peut utiliser aussi bien chez lui qu’au bureau. C’est bien, ça responsabilise, ça autonomise, ça fait plaisir. D’accord ça coûte un peu au début, mais après, vu que les employés ne vont pas tous venir tous les jours, on fait des bureaux « tournants », en réduisant de 60% l’occupation des bureaux. On prend plus petit, et donc moins cher. Allez, quelques postes debout aussi, avec des tablettes, pour garder une dynamique sympa. Financiers, voyez aussi l’avantage : moins de transports en commun, c’est moins de frais à rembourser aussi.

Du… bon sens

Dans nos comportements, on fait des changements aussi, s’il vous plait. On ne fait pas de différence entre les hommes et les femmes. Nan, laisse tomber, on a déjà connu ça avec le travail à temps partiel et ça a plus foutu la merde qu’autre chose. Donc arrêtez avec vos stéréotypes sur les emplois du temps. Ah, d’ailleurs, tant que j’y pense : on arrête d’être cons. Tous. Aussi bien les managers qui ont rien d’autre à faire que de nous faire rester en réunion un vendredi à 18h30 qu’un putain de collègue de merde qui dit « Tu prends ton aprèm? » quand on part en fin de journée. On arrête aussi de compter le nombre de clopes ou cafés que l’un ou l’autre va prendre dans la journée en disant: « Moi, je bosse plus ». On en profite pour réduire le nombre de réunions, leur nombre de participants et leur durée. Avec tout ça, c’est pas impossible que les managers récupèrent du temps pour nous écouter quand ça va pas fort, qu’on a des questionnements logiques sur notre évolution dans l’entreprise. D’ailleurs, les managers peuvent aussi évoluer, et être plus proches de leurs équipes. Oui, en se voyant moins, c’est pas paradoxal ni incompatible.

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On réaménage nos « chez-nous ». On sacralise un espace de travail, avec un siège confort payé par l’entreprise, et un petit bureau pour mettre l’ordi comme il faut. Les boîtes peuvent faire quelques frais, je leur ai fait économiser plein de pognon sur le foncier deux paragraphes au-dessus. Les employés ont tout à gagner à prendre de l’autonomie si on leur fait confiance. Chacun aimera un peu plus sa boîte et s’y investira plus s’il voit qu’on le responsabilise, l’écoute et le respecte. En fait, tout ça, c’est du bon sens.

Et le meilleur pour la fin: comme expliqué ici, grâce au travail à domicile et au coworking, près de 100 millions d’heures de travail seraient économisées en temps de déplacement et les rejets de gaz seraient réduits de 7 millions de tonnes par an. D’importants gains de productivité seraient également trouvés grâce au travail partagé qui pourrait représenter entre 10,9 et 11,5% des emplois dans l’hexagone d’ici à 2030. Alors on attend quoi pour s’y mettre réellement?

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