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L’insoutenable légèreté de nos petites vies

VS la guerre en Ukraine.

Par
Daisy Le Corre
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Ce week-end, c’était le premier cours de taekwondo de ma petite de 3 ans et demi. Elle était aux anges et si fière d’elle, depuis le temps qu’elle attendait ce moment. On a pris des photos évidemment, pour les envoyer aux grands-parents et pour les poster illico sur les réseaux sociaux, histoire de répandre un peu de douceur. Mais cette fois-ci, on a hésité avant de les poster.

Mon collègue Romain G. a ressenti la même chose samedi soir lors de la soirée de clôture de Sa Majesté le Roi des Animaux au Carnaval de Nice. « Mon fils de trois ans poussait cris de joie sur cris de joie. Je n’ai pas pu m’empêcher de poster 3 ou 4 stories. Quelques secondes plus tard, j’ai été pris d’un sentiment de culpabilité… Est-ce vraiment approprié de montrer des images de fête quand d’autres essaient d’éviter des missiles russes à quelques heures de chez nous ? » Telle est la question qui nous ronge depuis que la guerre en Ukraine a commencé. Comme si, inconsciemment, on avait toujours un écho de ce chaos, nous empêchant, une fois de plus (n’oublions pas qu’on sort à peine d’une pandémie mondiale de 2 ans et demi), de voir le verre à moitié plein.

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Pourtant, force est de constater que la guerre qui a lieu en Ukraine n’est pas la seule à se dérouler actuellement sur Terre, mais les autres guerres ne se déroulent pas toutes en direct sur nos écrans et sous nos yeux aussi incrédules qu’impuissants. C’est là que le bât blesse. Il y a la guerre au Yémen, la guerre du Tigré, la guerre au Mali, et j’en passe, hélas. Loin des yeux, loin du coeur ? Il faut croire.

Cette guerre en Ukraine sonne “différemment”. Cette famille ukrainienne réfugiée dans son sous-sol, qu’on aperçoit sur un énième post Instagram, nous semble si familière. On ne partage pas la même langue mais on ne vit pas si loin. Et que dire de ces citoyen.ne.s qui prennent les armes pour défendre leur ville, contre bombes et missiles, et la peur au ventre très certainement : et si c’était nous ? Ça tourne en boucle dans nos têtes, avec la menace nucléaire en toile de fond.

« En avion, c’est qu’à 3h de Paris, Kiev, tu sais… ». Oui je sais. Il faut le double de temps pour aller au Mali. Ce n’est pas non plus la mer à boire. « Mais ce n’est pas la même chose… ». Ah bon ? Faut-il encore rappeler que les humains sont semblables à 99,9% et qu’ils font partie d’une même “race” ? Apparemment.

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« Hier, mon père fêtait ses 70 printemps et nous sommes allés dans un restaurant en bord de mer pour souligner sa date d’anniversaire. Je n’ai strictement rien posté même cette incroyable sole meunière qui avait été fraîchement livrée par les pêcheurs à l’aube, comme si la réflexion avait fait son chemin depuis le Carnaval », me confie encore Romain G avant de mentionner un post LinkedIn qui l’a fait cogité. « C’était écrit : “Chers annonceurs, chères marques, je vous invite à mettre sur pause vos campagnes de pub car ça fait tâche de voir votre remise de 30% sur votre produit entre deux photos de guerre. Et, svp, profitez-en pour ne pas ajouter trop de contenus sur vos réseaux sociaux, ce n’est pas le moment de les saturer, il faut laisser de la place aux informations cruciales en lien avec la guerre en Ukraine… “

Comme si s’abstenir de vivre allait servir à quelque chose.

On aura beau tout faire, on ne pourra pas changer la face du monde, à moins de s’appeler Poutine. Comme écrit dans cette très belle chronique anonyme : « Ma consommation effrénée de nouvelles aux titres alarmants ne fera pas reculer d’un iota le tank qui s’apprête à démolir la voiture avec laquelle un père de famille a appris à conduire à sa fille dans les rues de Donetsk. » L’impuissance est reine.

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En attendant, on a le droit de profiter des petites choses du quotidien qui nous font du bien, de les relayer si le coeur nous en dit mais surtout se rappeler de la fragilité de nos existences. C’est peut-être la seule “utilité” de la guerre : se souvenir qu’on a de la chance d’être en vie, et en démocratie.