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L’histoire improbable de Jeanne : « Là, vraiment, j’ai pensé à la peine que j’allais faire à mes parents… »

Un voyage, et toute une histoire.

Par
Anne-Laure Mignon
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Tous les vendredis de cet été, Urbania vous propose une série de témoignages qui retrace des moments de vie en voyage (des naissances, des ruptures, des rencontres incroyables, des défis improbables, des histoires insolites…). Le genre de série que l’on a envie de scroller sur son téléphone à la plage. Aujourd’hui, Jeanne, 27 ans, raconte…

C’était en 2014, pendant les vacances d’été. Je suis partie voyager un mois au Costa Rica avec ma meilleure pote. L’histoire se déroule alors qu’on est à Puerto Jimenez, sur la côte Est de la péninsule d’Osa. C’est la dernière ville avant d’entrer dans les terres du parc national Corcovado, l’une des plus grandes réserves naturelles du pays. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on y fait étape. Demain, on a prévu d’en faire le tour. Aujourd’hui, c’est journée plage.

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« Le bus vient tout juste de partir »

10 h. On sort de l’auberge dans laquelle on réside, direction le bus pour se rendre à la plage. Le prochain est dans cinq minutes. Super ! Mais où est l’arrêt de bus ? Ici ? Non. Là ? Non. Il ne manquerait plus qu’on le rate. Le prochain est dans deux heures. On court dans tous les sens en cherchant l’abribus désespérément quand une voiture s’arrête à notre hauteur pour nous demander si l’on a besoin d’un renseignement. Elle tombe à pic ! « Le bus vient tout juste de partir », nous informe le chauffeur. Mais heureusement, c’est sur son chemin, il veut bien nous y emmener. Waouh, le plan parfait ! Il doit juste faire un détour rapide avant, pour « chercher un truc ». Aucun problème pour nous. Au contraire, nous sommes on ne peut plus ravies d’avoir trouvé un taxi privé pour nous emmener à la plage.

On monte donc dans sa voiture. Un pick-up gris assez classe. Je me mets à l’avant, ma meilleure pote à l’arrière. Il démarre le véhicule. Première surprise : il boit une bière et fume un énorme joint au volant. Bon, OK. Ce n’est peut-être pas le chauffeur le plus réglo du monde, mais on se dit que pour un aller à la plage, ça fera carrément l’affaire. Ah oui, et il conduit super mal aussi. On est sur un zéro pointé côté code de la route. Mais pareil, déjà qu’il nous dépose, on ne se voit pas chipoter…

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On roule. D’abord en direction de son « truc ». Enfin, son « truc »… Il s’avère qu’on parle en fait d’une personne ; un petit bonhomme bossu, sans dents, qui grogne comme un animal. Et que notre chauffeur récupère au bord de la route, en arrêtant à peine son véhicule pour le laisser monter à bord. Enfin, à bord… La place du petit bonhomme demeure, semble-t-il, dans le coffre de son pick-up.

D’accord. On est un peu interloquées, mais bon, on se dit juste que leurs interactions sont particulières et qu’encore une fois, pour un dépose-minute à la plage, ça ne devrait pas poser de problème. Le mec continue sa route. On discute un peu. Il est un poil dragouilleur. Mais pas lourd non plus. Donc on ne relève pas trop. Et puis au détour d’une conversation, il nous raconte qu’il habite dans un genre d’éco-lieu, qu’il possède son propre potager, plusieurs animaux et qu’il dort dans une cabane en bois. Le tout, au bord de la mer. Juste à côté d’une plage bien plus jolie que celle où nous avions prévu de nous rendre. Si l’on veut, il peut nous y emmener, nous la faire visiter et nous redéposer ensuite.

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On n’est pas complètement sereines – rapport à la bière et au joint au volant, au non-respect du code de la route et à l’énergumène qui vient de sauter dans le coffre de son pick-up -, mais aveuglées par la perspective de passer l’après-midi à flâner dans un éco-lieu au Costa Rica, on accepte.

« Le mec revient avec… Une machette ! »

Le trajet est super long. D’ailleurs, en chemin, le mec passe devant la plage que l’on avait repérée avec ma pote. Elle n’est effectivement pas exceptionnelle et le temps commence à se gâter. Ce qui achève de nous convaincre : l’éco-lieu, ça va être beaucoup mieux !

On arrive justement devant. Là, le petit bonhomme descend du coffre du véhicule pour nous ouvrir le portail. C’est à peine si notre chauffeur ne l’écrase pas pour se garer. Bon, OK. On descend à notre tour de la voiture. Et là, grosse désillusion : en face de nous, un terrain vague perdu au milieu de nulle part, une cabane sans toit, trois arbres assoiffés et trois chiots maigrelets dans lesquels il n’hésite pas à shooter lorsqu’ils se glissent dans son passage.

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Bon, là on commence à angoisser. Qu’est-ce qu’on fout là ? Pourquoi est-ce qu’on a suivi ces mecs complètement chelous ? Est-ce qu’on ne vient pas de se jeter directement dans la gueule du loup ? De suivre deux potentiels ravisseurs ? On fait un petit point rapide avec ma pote et on tombe d’accord : notre plan, c’est de faire le tour du propriétaire rapidos puis de lui demander de nous raccompagner. Parfait.

Pour commencer, il veut nous montrer la petite plage à côté de laquelle il habite. Dans notre tête, on suit toujours notre plan : on se dit qu’on la visite rapidement puis qu’on s’en va. Et alors qu’on s’apprête à se mettre en route – la plage est à quelques minutes à pied – il ordonne au petit bonhomme bossu de courir vers la voiture pour aller chercher on ne sait quoi. Ok, soit. Attendons l’homme qui grogne. Sauf que le mec revient avec… Une machette.

Le flip total. Personne ne sait qu’on est là. On est au milieu de nulle part. Avec deux fous. Et maintenant, une machette. Une machette ? Mais pourquoi une machette ? « Pour débroussailler le chemin », selon les dires de notre chauffeur. Avant même que l’on ait le temps de s’échanger ne serait-ce qu’un regard avec ma pote, je ne sais plus bien comment, on se retrouve en route pour la plage.

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Au bout de quelques minutes de marche, on arrive dans la jungle. En tong. Devant nous, l’espèce d’australopithèque qui grogne et qui s’agite avec sa machette dans tous les sens pour couper les lianes qui obstruent notre chemin. Derrière nous, l’autre fou qui essaye – de manière insistante – de nous faire goûter un genre de graine rouge.

« Avance et arrête de chouiner »

On va crever, c’est sûr. Les larmes de ma pote commencent à monter. Elle a peur. Elle perd patience. « Jeanne, j’en peux plus on se casse ! ». Ce à quoi le fou lui répond sèchement : « Avance et arrête de chouiner ». On n’a plus aucun doute. On en est sûres, on va mourir ici. Là, vraiment, j’ai pensé à la peine que j’allais faire à mes parents…

On continue à avancer puis on arrive enfin sur la plage. Il nous ordonne de nous asseoir dans le sable. On s’exécute. Et là, le mec se lance dans un discours interminable du genre « je suis un guide spirituel, je vous apprends la vie, petites demoiselles en détresse ». Avant de nous inviter – avec insistance toujours – à aller nous baigner. On est super mal à l’aise. Nous n’avons aucune envie de nous mettre en maillot de bain devant lui. Pour qu’il nous laisse tranquille, on met à peine les pieds dans l’eau et on se rassoit. On regarde l’autre homme de Cro-Magnon jouer dans les vagues ou partir à la recherche de noix de coco. Toujours sur ordres de monsieur le gourou. Mais qu’est-ce qu’on fout là ?

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Il commence à pleuvoir, à faire froid et je sens que ma pote n’est pas bien du tout. Il faut qu’on se casse d’ici. On lui demande de rentrer. Il accepte. Sauf que pour le retour, il décide de nous faire passer par un nouveau chemin. Encore pire que celui qu’on a emprunté à l’aller. On est clairement en pleine jungle. On se dit qu’à tout moment, on risque de se faire mordre par un serpent. Ma pote se casse la gueule dans la gadoue. Elle fond en larmes. Sauf que du coup, puisqu’il est « hors de question de salir sa voiture », le fou nous plonge la tête dans une flaque d’eau. La scène est complètement lunaire.

Sauf que cette toilette ne lui suffit pas. Lorsqu’on revient chez lui, dans son terrain vague, il insiste pour qu’on se douche. On refuse à plusieurs reprises. Il s’acharne alors pour qu’on accepte de fumer un joint avec lui. Idem ici, on parvient tant bien que mal à décliner son offre. On lui demande une nouvelle fois s’il peut nous raccompagner. Il refuse. « On a l’air tendues, il va nous faire un massage ». OK. Là, c’est trop pour nous. On dépose les armes. On n’a plus la force de se battre et de lui dire non. On se laisse faire. On caresse les chiots, le regard dans le vide pendant qu’il nous masse les épaules. Toujours en se demandant à quelle sauce on va être cuisinées et quand.

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Pendant ce temps-là, toujours sous les ordres de notre chauffeur, l’australopithèque a disparu avec ses outils quelque part sous le pick-up…

La nuit tombe. On tente un nouvel essai : « Peut-il nous raccompagner ? » De nouveau, la réponse est non. La pluie risquerait d’abîmer sa voiture… Il s’énerve : « On prendra la route quand le temps se calmera, ce soir ou demain ». Et comme on n’a pas du tout envie qu’il se mette en colère – il nous fait déjà suffisamment flipper comme ça – on ne répond rien. On a déjà capitulé de toute façon. On attend juste la sentence…

Vers 21 h, grosse surprise, il nous ordonne : « Montez dans la voiture, je vous ramène ».

Nous avons effectivement été ramenées. Dans son pick-up, il nous a fait une scène pour qu’on lui paye de quoi changer ses pneus abîmés à cause de la pluie. Il nous a également offert une dernière leçon de spiritisme façon gourou manipulateur. Mais on n’en avait plus rien à faire. Nous étions arrivées devant notre auberge. Nous étions sauvées.

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