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Lettre aux “messieurs” de Valeurs Actuelles

La dernière Une ne passe pas.

Par
Arnaud Vauhallan
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Le Valeurs Actuelles numéro 4409 du 27 mai au 02 juin 2021 a un drapeau LGBT en Une — quand j’étais jeune, on disait encore « le drapeau gay » — flottant dans le ciel bleu. Je me suis demandé un instant, messieurs de Valeurs Actuelles, si vous faisiez un coming-out surprenant, mais il n’en est rien.

Vous titrez « LE DÉLIRE TRANSGENRE » et sous-titrez : « Pression médiatique, récupération politique, racines idéologiques… Comment les lobbies instrumentalisent le changement de sexe ». C’est ce qui m’a amené à lever les yeux au ciel dans un premier temps et à me mettre au clavier dans un second, pour vous écrire afin que vous vous endormiez, si ce n’est plus tolérants, du moins plus instruits après m’avoir lu. On dit parfois : « Il ne faut pas parler aux cons, ça les instruit » mais je ne suis pas d’accord, justement il faut instruire. Vous, je le crains, n’instruisez personne, vous faites simplement peur aux gens. Votre idéologie d’extrême-droite conservatrice recrute sur la peur, la colère et la haine, mais certainement pas sur la science et la connaissance. C’est pour ça que mon titre n’est pas très inclusif — j’imagine que je parle à des messieurs, il doit pourtant y avoir également quelques femmes dans votre rédaction.

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Vous écrivez au sujet du sport : « Imagine-t-on Rafael Nadal affronter Alizé Cornet au premier tour de Roland Garros ? », prouvant ainsi votre manque d’imagination, de culture sportive et d’intelligence avant de poursuivre sur la peur. Je vous cite : « Ce scénario, absurde dans son énoncé, pourrait devenir réalité dès cette année. » Alors que non, bien sûr, cela ne va pas devenir réalité dès cette année, ni sans doute jamais, car je ne vous l’apprends pas : chez l’Homo Sapiens, les mâles sont plus musclés que les femelles, donc ce ne serait pas juste.

Néanmoins, l’absurdité d’un tel match réside uniquement dans le « premier tour de Roland Garros », car un match est célèbre entre tous les matches de tennis où un homme et une femme se sont affrontés : celui où Bille Jean King a battu Bobby Riggs 6-4, 6-3, 6-3 en 1973. Certes il avait alors 55 ans et elle 29, mais il était un homme, misogyne — comme je suppose que vous savez parfois l’être — et elle était une femme, parfaitement cisgenre selon la Fédération et ils étaient tous deux champions.

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Vous prétendez qu’une loi a été votée permettant que les trans fassent de la compétition, pour faire croire à votre lectorat que, ça y est, le sport va devenir injuste, car tout homme se sentant femme pourra concourir dans l’équipe féminine : c’est de la pure désinformation. Votre rôle est d’informer, vous êtes censés être journalistes. La charte olympique prévoit que toute personne a droit de pratiquer un sport, sans discrimination. Le sport véhicule de belles valeurs, contrairement à vous, vraisemblablement.

Bien sûr que le sport doit être juste et que le genre de quelqu’un ne peut pas justifier sa catégorie, on doit se baser sur son sexe, c’est vrai. Mais il doit l’être aussi envers les gens qui ont transitionné médicalement. Et les intersexes. On doit y réfléchir, en discuter, calmement, pas dire n’importe quoi pour faire peur et inciter à la haine. Les individus dont vous parlez sont des gens, ils n’ont pas choisi d’être trans et encore moins d’être intersexes ; et quand bien même ils l’auraient choisi, ça n’est pas votre problème.

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Je feuillette et je ne peux, hélas, pas rebondir sur tout ce que vous écrivez, car il me faudrait des pages et des pages. Mais quand même, plus loin, vous dites encore que la cause trans serait promue par les médias et le show-biz : pourtant combien d’actrices MtF ? Combien de journalistes FtM ? Qui et où sont les trans promus ? Vous faites comme si l’origine de l’idéologie du genre remontait à Simone de Beauvoir, Derrida, Foucault, et vous faites comme si Judith Butler, en mettant un mot sur une réalité en créant le concept de genre, avait inventé la transidentité.

Vous parlez des « détransitionneurs ». C’est vrai, le genre est plus fluide que le sexe. Au cours d’une vie, il peut changer. Par exemple, on peut se sentir femme jusqu’à se faire opérer et le regretter par la suite. C’est pour ça qu’en tant que female-to-male, je dis aux jeunes trans de ne pas se précipiter sur la médecine, pas spécialement parce qu’ils peuvent changer d’avis, mais aussi parce que la dysphorie peut être causée par la transphobie des gens, et qu’on peut vivre très heureux en étant trans sans se faire opérer (sans prendre d’hormone, c’est plus dur mais faisable, et je l’espère de plus en plus faisable).

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Pour continuer à faire trembler dans les chaumières, vous parlez des enfants, comme si on allait vous découper vos gamins, alors que des gamins sont découpés en France, et de force encore : les intersexes. On manipule leurs parents, on choisit leur genre à leur place, mais là, aller contre la nature, ça ne dérange personne. Et puis on ne veut pas vous convertir, voyons, on ne peut pas convertir à ça. On peut éventuellement convaincre les gens que les LGBT ont le droit de vivre, mais on ne peut pas les rendre homos ni trans, ça ne fonctionne pas comme ça : il n’y a pas de contagion, pas de conversion, ça n’est pas exactement une communauté religieuse.

Être trans c’est avoir un genre différent de son sexe, en ce sens les non-binaires sont trans, pourtant peu se font opérer. Être trans ce n’est pas être dans un délire, ce n’est pas être un mâle qui croit être une femelle.

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Et je suis le premier à le dire à vos gamins quand ils me demandent conseil : on ne doit modifier son corps que si vraiment il nous rend malades de complexes, si on ne peut plus vivre avec ; mais en aucun cas pour les autres, pour faire plaisir à la société, aux médecins, à ses parents, et c’est valable pour tout le monde. Trans, cis, non-binaires : on ne passe pas sur le billard pour faire plaisir aux autres, on le fait parce qu’on veut être plus beau ; essayer d’apprendre à se trouver acceptable comme on est n’est jamais une mauvaise idée, pour personne.

Être trans, c’est avoir un genre différent de son sexe ; en ce sens, les non-binaires sont trans, pourtant peu se font opérer. Être trans ce n’est pas être dans un délire, ce n’est pas être un mâle qui croit être une femelle. Je ne crois pas que je suis cisgenre, je sais que je suis une femelle et socialement je suis un homme, je suis père, époux, fils, frère, cousin. Le rôle que j’occupe dans ma famille et dans la société est celui d’un homme. C’est pas ma faute, on a essayé de parler de moi au féminin ça ne m’a jamais plu, ça ne m’allait pas, ce n’était pas moi. Et je ne vous fais rien de mal. Je ne pervertis pas les enfants ni la société ni personne, c’est pas moi qui fait flipper tout le monde avec les étrangers, les homos, les trans, vous faites ça très bien.

Vous confondez homme et mâle, femme et femelle, vous mélangez les pénis avec les cravates et les utérus avec les sacs à main.

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Personne ne veut détruire la société, elle devient simplement moins binaire, c’est vrai ; elle accepte mieux les LGBT, mais on n’opère pas les enfants et ils ne prennent pas d’hormones, ils prennent, dans de rares cas, des bloqueurs de puberté dont l’effet est réversible, en attendant de prendre des hormones une fois majeurs. Personne ne transitionne médicalement de gaité de cœur, c’est un deuil à faire, celui de son ancienne apparence. Ça demande réflexion, il n’y a pas de garantie et c’est souvent un long parcours. Il n’est pas question pour nous d’imposer ça à des adultes — encore moins des enfants — qui n’en ont pas besoin. Il n’est pas question pour nous, les hommes trans, de dire : « Si tu as la barbe, tu dois te faire opérer, car un homme avec un vagin ça n’existe pas ! ». Ça, c’est votre discours.

Un homme avec un vagin, ça existe, tout comme une femme avec un pénis ; vous confondez homme et mâle, femme et femelle, vous mélangez les pénis avec les cravates et les utérus avec les sacs à main. Vous confondez biologie et anthropologie, nature et culture. Le concept de genre vous échappe, le mot vous fait très peur mais à d’autres moments pourtant, vous le promulguez comme si vous reconnaissiez que le genre n’était pas naturellement lié au sexe.

L’être humain est un singe bâtard, ni dieu ni animal, il n’est qu’un homme. Ou une femme. Ou même une personne non-binaire, pourquoi pas. Et iel peut être femelle, intersexe ou mâle. Cet homme-singe, c’est vous, c’est moi.

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Lorsque vous évoquez les ABCD de le l’Égalité et la transmission culturelle du genre, l’éducation au genre, vous semblez penser que vos filles ont besoin d’être éduquées en apprenant à bercer des poupons, vous semblez penser que vos fils ont besoin d’être endurcis à la virilité (toxique je le crains, pour nombre d’entre vous), comme si quelque part vous pensiez que ça n’était pas naturel. Vous voyez d’un très mauvais œil les mesures de l’éducation nationale pour lutter contre les stéréotypes de genre. C’est paradoxal, vous devriez considérer que tous les bébés mâles seront garçons et tous les bébés femelles des filles, par essence. Ou alors vous reconnaissez que dans notre civilisation, nous n’élevons pas les enfants de la même manière et nous leur assignons un genre, dans lequel certains d’entre eux peuvent ne pas se sentir bien.

L’être humain est un singe bâtard, ni dieu ni animal, il n’est qu’un homme. Ou une femme. Ou même une personne non-binaire, pourquoi pas. Et iel peut être femelle, intersexe ou mâle. Cet homme-singe, c’est vous, c’est moi. La culture est une seconde nature pour lui, sa civilisation est la jungle dans laquelle il évolue, dans laquelle il se construit. Je me suis construit homme même si je ne suis pas un mâle, ou bien m’a-t-on construit ainsi, ou bien suis-je né ainsi, car il y a peut-être un terrain biologique à la transidentité, ou encore les dieux ou le Dieu m’aurait créé ainsi : je n’en sais rien et je m’en fous, j’existe et les gens comme moi existent dans beaucoup de sociétés humaines. Ils ont leur note à jouer dans la symphonie du monde.

Il n’y a pas d’erreur de la nature ni de la culture, il y a là un homme trans, soit une personne qui a franchi socialement cette frontière, qui vous écrit et désire juste vivre en paix.

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Ils existent depuis fort longtemps et ne servent pas une idéologie transhumaniste ou je ne sais quoi. C’est un mensonge pur et simple, une falsification de l’histoire humaine. Il y a toujours eu une frontière entre le féminin et le masculin, il y a souvent eu en bien des endroits des individus pour la transgresser, biologiquement, socialement ou les deux, car la nature aime la diversité. La culture aussi. Et l’esprit ne domine point sur le corps ni le corps sur l’esprit car les deux ne font qu’un ; je suis un peu moniste sans doute, mais je ne crois pas être un esprit mâle dans un corps femelle. Il n’y a pas d’erreur de la nature ni de la culture, il y a là un homme trans, soit une personne qui a franchi socialement cette frontière, qui vous écrit et désire juste vivre en paix.

La seule chose qui progresse c’est la tolérance et la bienveillance envers les minorités. Alors oui, le paysage change. Les personnes trans vont sortir de la précarité, de la prostitution, de la nuit, et on va les voir au cinéma, à la télé, au bureau surtout, et ça va faire comme avec les homos, les trans auront des droits, on ne charcutera plus les bébés intersexes, et voilà, c’est tout. Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête.

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