.jpg)
De leurs prises de positions sur les réseaux sociaux à leurs outfits engagés durant des cérémonies, les célébrités se mêlent plus que jamais de politique. Et celles qui gardent le silence risquent d’ailleurs d’être reniées par leurs fans. Mais au fond, est-ce vraiment leur rôle ?
Dis quelque chose…
“Le silence de Taylor Swift sur la Palestine est tellement décevant. Elle n’a plus d’excuse pour se taire (…). Elle DOIT parler”. @blockbellaout n’est pas la seule à exiger de la part de la popstar la plus en vogue de la planète un mot sur l’actualité internationale. Depuis quelques mois, les sollicitations de toutes les communautés de fans en faveur de la politisation de leurs idoles ne font que croître – un phénomène qui touche tous les bords politiques et toutes les causes, des élections aux conflits mondiaux en passant par l’écologie. Leur argument ? Impossible de se contenter de divertir alors même que le monde brûle, il faut s’engager. Un message qui commence à faire son chemin.
Il y a quelques décennies, c’était l’acteur Ronald Reagan qui devenait président des États-Unis. Aujourd’hui, Bella Hadid mannequin et it-girl palestinienne soutient ouvertement son pays d’origine ; Squeezie, Youtubeur préféré des jeunes, appelle sa communauté à faire barrage à l’extrême droite ; Charlie XCX, élue chanteuse de l’été, tweete que “Kamala [Harris] EST brat”. Qu’on le prenne au sérieux ou non, plus que jamais, les stars font de la politique, et y jouent un rôle capital.
Un sondage révélait ainsi que près de 18% des Américains suivraient les conseils de Taylor Swift pour voter lors des élections présidentielles – faisant de la chanteuse, libérale assumée, l’ennemi numéro un du camp conservateur. De l’autre côté, les stars qui se contentent de chanter ou de nous vendre des produits sur les réseaux sociaux sont taxées de lâcheté et d’irresponsabilité. Au point que la question se pose : est-il encore possible pour une célébrité d’être neutre politiquement ?
Une politisation parfois douteuse
Depuis toujours, il est de bon ton pour les people de manifester leur soutien à des causes jugées inspirantes. Des photos en pantalon cargo aux côtés des ONG et d’enfants africains, façon Angelina Jolie, à l’écologie de Leonardo DiCaprio, en passant par le hashtag feminist de Beyoncé en concert, les stars ont de tout temps été les championnes du militantisme philanthropique et bien pensant. Souvent estampillées “relations publiques”, ces opérations sont généralement perçues par le public pour ce qu’elles sont réellement : d’astucieux coups de com visant autant à redorer l’image d’une célébrité qu’à faire bouger les choses.
Car rappelons-le, n’est pas activiste qui veut. Sur les réseaux sociaux, nous avons aussi été les témoins malheureux de nombreuses déclarations douteuses voire carrément erronées de la part des célébrités : impossible d’oublier par exemple le terrible monologue de Vanessa Hudgens sur le Covid-19 (“Oui, les gens vont mourir, et c’est terrible, mais aussi… Inévitable ?”) ou le post “Pray for Israël” de Justin Bieber, sur fond de ruines palestiniennes. Les candidatures politiques des stars comme Kanye West, elles, ont aujourd’hui des allures de mauvaises blagues. En 2020, le rappeur américain avait dépensé près de 9 millions de dollars pour sa campagne (qui tournait surtout autour de ses positions anti-avortement), ne récoltant au total que 60 000 voix. Autant de flops notables qui nous rappellent qu’en dépit de leur bonne volonté, les stars ne sont pas toujours les mieux placées pour s’exprimer sur les sujets politiques. Dans les années 2000, une pétition était d’ailleurs lancée aux États-Unis à ce sujet. “Nous, soussignés citoyens d’Amérique, protestons contre les Riches Célébrités de Hollywood qui abusent de leur statut pour parler à notre place. Nous ne croyons pas qu’ils ont une compréhension éclairée de notre mode de vie, de nos peurs et de ce que nous soutenons” postulait-elle.
Divertir oui, mais aussi inspirer
Alors, les stars devraient-elles se contenter de divertir, comme le suggérait Tibo in Shape dans un post en faveur de l’apolitisme des influenceurs ? Certes, s’exprimer politiquement ne fait pas partie de leurs obligations, et elles encourent de plus le risque de perdre de juteux contrats, comme le montre l’évincement de l’actrice Melissa Barrera de la franchise Scream en raison de ses positions pro-palestiniennes. Pour autant, elles restent des citoyens au même titre que leurs fans, et les cantonner au rang de purs entertainers semble réducteur. “Se plaindre [de l’investissement politique des célébrités] n’est pas nouveau. Cette critique repose sur la distinction entre le trivial (le divertissement), et le sérieux (la politique), et la peur que le premier contamine le second” note l’universitaire en sciences politiques John Street. Pourtant, cette distinction n’a rien d’évident. Frank Escoubès, auteur de l’essai Pop démocratie. La démocratie est (aussi) une fête, rappelle que la pop culture est politique, et un puissant vecteur pour lutter contre la dépolitisation. “Les institutions ne suffisent plus pour faire vivre la démocratie” écrit-il. “C’est ailleurs qu’on doit aller chercher des vitamines, dans (…) la pop culture, […], dont la principale caractéristique est d’être produit[e] et aimé[e] par le plus grand nombre”.
Rappelons-le, historiquement, l’investissement politique des stars peut aussi porter ses fruits. C’est Emile Zola, intellectuel et petite célébrité de son temps, qui dénonce l’antismétisme dans sa lettre ouverte “J’accuse” en 1898. Les signatures de personnalités publiques ont contribué au succès de pétitions importantes, comme le Manifeste des 343 salopes pour la légalisation de l’avortement en 1971, soutenu par Delphine Seyrig ou Jeanne Moreau. En 2024, l’actrice Nicola Coughlan a récolté pas moins de 2 millions de dollars grâce à sa cagnotte pro-Palestine. Bref, les célébrités ont, parfois, la possibilité de faire le bien.
De grands pouvoirs et de grandes responsabilités ?
Ce qui se joue réellement dans le débat sur l’opinion politique des stars, c’est la question de l’influence. Si les célébrités n’ont officiellement pas de pouvoir politique, elles disposent néanmoins d’un soft power notable, plus déterminant que l’on ne le pense. Elles bénéficient aussi d’un gage de sympathie parfois plus fort que les politiciens, grâce aux relations parasociales que nous entretenons avec elles et qui nous permettent de les voir comme des copines lointaines.
Et comme Spiderman nous l’a appris, avec de tels pouvoirs vient forcément la notion de responsabilité. S’il est évident que les célébrités ne sont pas appelées à s’exprimer sur chaque sujet d’actualité, et que nous devons respecter leur droit à la vie privée, elles peuvent néanmoins contribuer à mettre en lumière des causes importantes. “A partir du moment où une célébrité choisit volontairement de se placer dans une position d’influence, elle ne peut pas raisonnablement se plaindre que certains aspects de sa vie ne soient plus privés’ notent Alfred Archer, professeur en philosophie sociale à l’Université de Tillburg. “Si c’est effectivement trop demander que les célébrités soient de bons modèles dans tous les domaines, il est raisonnable de penser qu’elles ont la responsabilité de montrer l’exemple dans ceux qu’elles ont choisi de partager avec le public”. En d’autres termes, nous pouvons exiger de nos personnalités préférées qu’elles se mêlent de l’actualité – et leur rappeler que si elles ne se sentent pas capables de faire de longs discours éclairés, de généreuses donations peuvent suffire.