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Le jeûne intermittent: effet de mode ou mode de vie?
Je ne suis pas un fin gourmet (une fine gourmette?), mais je ne me laisse pas crever de faim non plus. Je ne refuse jamais un apéro et avant d’être journaliste, je suis d’abord et surtout une pique-assiette (un jour, je vous filerai la liste des meilleurs événements à couvrir pour étancher votre soif de champagne). Alors quand mes voisins ont tout simplement décliné mon invitation pour un apéro chez moi, je n’ai pas compris. Et je leur ai demandé un peu lourdement: «Comment ça, vous “jeûnez”?…».
En réalité, je connaissais déjà un peu le sujet grâce à Ouissem, un collègue et ami qui pratique régulièrement le jeûne intermittent. Petite précision au passage, il existe plusieurs types de jeûnes : en ne buvant que de l’eau, en buvant du bouillon, en s’accordant des repas (c’est le jeûne intermittent dont on parle ici) et plus encore. «Je jeûne de l’aube au coucher du soleil, 1 à 2 fois par semaine (plutôt 2 généralement), le lundi et le jeudi: c’est une tradition prophétique (non obligatoire) pour les musulmans», m’explique Ouissem qui estime que ce jeûne lui apporte un certain équilibre dans la vie, en dehors de l’acte d’adoration en lui-même.
Mieux apprécier la nourriture?
«Alors que j’aime véritablement manger et bien manger, ça me permet de faire une sorte de “remise à niveau”. Comme si cette pause de nourriture permettait à mon organisme de souffler un coup, d’épurer ce qu’il y a à épurer, etc,» raconte le supporter de l’OM (ndlr: chacun ses défauts) qui considère que le fait de jeûner lui permet aussi de mieux apprécier ses repas.
«Se priver pendant toute une journée, ça te fait reconsidérer l’importance d’un plat et de bien le savourer.»
OK mais mes voisins, eux, sont athées alors leur pratique du jeûne m’intrigue encore plus. «J’ai découvert le concept de jeûne intermittent grâce à cette vidéo Youtube il y a presque 2 ans et ça a été un déclencheur», me raconte Arthur, 26 ans, ex cuisinier.
«Avant de pratiquer le jeûne intermittent, je me sentais mal dans mon corps, j’avais une sensation de trop manger mais de ne pas pouvoir moins manger. J’étais souvent lourd, je dormais mal et je me fatiguais en faisant pas grand chose. J’ai donc essayé de stopper les grignotages et de retrouver cette sensation de faim que je ne connaissais plus parce que je mangeais de façon compulsive. Ça ne fonctionnait pas assez bien… C’est en parlant avec ma copine qu’on s’est motivés à faire quelque chose de plus radical: un jeûne.» Et la machine était lancée. Depuis, ils font des jeûnes de 5 jours, du lundi au vendredi, une fois par mois et comptent le faire pendant un an ou deux. «Si on compte le temps de préparation et de reprise d’alimentation plus classique alors ça dure 7 à 9 jours: 2 jours où on réduit nos proportions de nourriture, 5 jours de jeûne intermittent végétalien, 2 jours de reprise d’alimentation.»
Une journée à la fois
Concrètement, ça fait quoi? C’est LA grande question.
– Jours 1 et 2 : il ne se passe rien. «Je ne sais pas si le corps met du temps à comprendre qu’on lui donne beaucoup moins d’apport, mais c’est souvent des jours où il ne se passe pas grand chose. On a une légère sensation de faim.»
– Jour 3 : migraine + sensation de fatigue + courbatures. «Là on sait et on sent que le corps a réagi. C’est le jour où j’ai des envies de malbouffe. C’est aussi le jour où je suis le plus irritable.»
– Jour 4 et 5 : rythme de croisière. «Le corps est rentré dans une habitude, je n’ai plus vraiment envie de manger ou alors juste manger des choses saines. Par contre, c’est aussi le moment où j’ai envie d’être vite rassasié. Dans le cadre d’un jeûne intermittent, on a des repas très stricts. Ces repas suffisent largement. Je dirais même qu’on a le ventre un peu gonflé après notre salade sans huile et nos légumes grillés! (rires)».
Globalement, à la fin du jeûne, Arthur a une sensation de bien-être, de légèreté et un regain d’énergie. «Je dors mieux, je ronfle moins (ma copine peut témoigner), et j’ai très peu d’envie de nicotine: je ne fume d’ailleurs presque plus», confie Arthur qui considère que le confinement a été une période “idéale” pour jeûner car les tentations extérieures étaient inexistantes.
«Les règles du jeûne intermittent peuvent être en décalage avec nos propres besoins à l’instant précis.»
«Avant de commencer à jeûner, j’avais déjà perdu 6 ou 7 kilos. Depuis que j’ai commencé le jeûne, et que j’ai réduit la quantité de nourriture par repas, j’ai perdu 8 kilos. Et si on en croit ma balance connectée du futur (qui fait un rapport poids/IMG/IMC, etc), j’aurais rajeuni de 4 ans…», raconte le jeune homme qui estime qu’avant d’entamer ce genre de régime, faire appel à un médecin n’est pas une mauvaise idée (même si lui ne l’a pas fait). «C’est quand même une épreuve qu’on fait subir à son corps. L’effet le plus marquant du jeûne sur mon organisme, c’est la tension qui monte rapidement. Je pense que ça peut être dangereux pour certaines personnes.»
Qu’en pensent les spécialistes?
Interrogée sur le sujet, Julie Delorme, diététicienne-nutritionniste spécialisée en digestif, intolérances alimentaires et poids, n’y va pas avec le dos de la cuillère. «Je préfère être honnête : je ne conseille jamais le jeûne intermittent. Je suis plus une adepte du respect des sensations de faim et de satiété (qui correspond à l’alimentation intuitive). Nous avons, humains et animaux, été conçus de manière à ressentir des signaux de faim pour nous indiquer quand recharger les batteries et donc quand manger. Je pense donc que le mieux est de faire confiance à son corps et de l’écouter», explique l’experte en Syndrome de l’Intestin Irritable & FODMAP.
Nous avons, humains et animaux, été conçus de manière à ressentir des signaux de faim pour nous indiquer quand recharger les batteries et donc quand manger.
«Les règles du jeûne intermittent peuvent être en décalage avec nos propres besoins à l’instant précis. Par exemple : si vous n’avez pas faim le matin, ne mangez pas et le jeûne se fera naturellement et en accord avec les besoins de votre corps. Mais si vous avez faim et que vous vous interdisez de manger, comme nous avons des corps “programmés” pour résister à la famine, le moment où vous vous autoriserez – enfin – à manger, la faim sera devenue une fringale et vous mangerez trop.»
Quant à la perte de poids liée au jeûne intermittent, Julie Delorme précise que, comme la plupart des régimes, il fait perdre du poids au début mais c’est un échec sur le long terme à cause des “craquages” en réponses aux frustrations physiologiques et psychologiques.
«En revanche, il m’arrive de conseiller à des patients qui se plaignent de ne jamais avoir faim, de faire l’expérience – dans le but de retrouver leur sensation de faim – d’attendre d’avoir une bonne faim pour manger leur premier repas (tout en buvant des boissons non sucrées), ce qui arrive généralement dans les 24 à 48h max, ce qu’on pourrait qualifier de « jeûne intuitif » le temps de se recaler sur les sensations et besoins du corps.»
Toujours envie de jeûner? Quoiqu’il en soit, si l’expérience vous tente, faites-le pour vous. « Et seulement pour vous ! Pour vous sentir mieux et pour répondre à un besoin qui vous est propre», rappelle Arthur qui tenait vraiment à ce qu’on mette ça en gras. «C’est inutile de se mettre dans un situation dangereuse. Bien manger c’est essentiel, parole de cuisinier !» Et bon appétit, bien sûr!