Lors de la Coupe du monde féminine de foot en 2019, des millions de spectateurs ont louangé les impressionnantes performances des Américaines. Le secret derrière cette grande victoire ? Un entraînement basé sur le cycle menstruel ! Surprenant, non ?
En fait, quelques années plus tôt, une étude s’est intéressée aux effets du cycle menstruel sur les facteurs de performance dans le football féminin de haut niveau, confirmant que le cycle menstruel affecte l’agilité, la vitesse, le force, la vivacité, l’humeur, la confiance en soi et le risque de blessure.
Même si les résultats relèvent de l’évidence pour toutes les personnes vivant avec des menstruations, cette étude est importante, puisque la recherche et la littérature scientifique à ce sujet sont quasi inexistantes, et ce, même si près de la moitié de la planète est menstruée une fois par mois.
Qu’est-ce que ça implique ce cycle-là ?
En plus des douleurs dites « standards », entre 5% et 15% de ces personnes souffrent tellement qu’elles doivent limiter leurs tâches quotidiennes.
Le cycle menstruel comporte quatre phases : pré-ovulatoire, ovulatoire, de nidation, puis de règles. La phase de nidation (ou prémenstruelle) et les menstruations sont redoutables sur le corps. On a une variation de l’énergie, puisque le taux d’hormones chute drastiquement, on se sent comme si on vivait un perpétuel changement d’heure. Et si ce n’était pas assez, 50% à 80% des gens menstrués souffrent de crampes abdominales douloureuses, de migraines, de nausées et de douleurs au dos.
En plus des douleurs dites « standards », entre 5% et 15% de ces personnes souffrent tellement qu’elles doivent limiter leur activité et leurs tâches quotidiennes. On ne parle pas uniquement d’inconfort : on parle d’endométriose, une maladie dont le diagnostic peut prendre entre sept à neuf ans à obtenir.
Aller au travail malgré tout… c’est pas toujours l’idéal
Les règles douloureuses affectent la productivité, l’efficacité ainsi que la créativité. Et d’autres fois elles sont carrément handicapantes.
En France et en Italie, les douleurs menstruelles sont la principale cause d’absentéisme à l’école comme au boulot. D’un autre côté, 81% des Français.e.s qui ont des règles ont affirmé, dans un sondage réalisé en 2019, qu’iels allaient travailler même si ça affectait leur performance. Dans l’essai Kiffe ton cycle publié en 2019, l’experte en management Gaëlle Baldassari affirme que la majorité des méthodes de gestion sont discriminatoires quant au cycle menstruel, ce qui mène à encore plus d’absentéisme et de cas d’épuisement professionnel.
la majorité des méthodes de gestion sont discriminatoires quant au cycle menstruel, ce qui mène à encore plus d’absentéisme et de cas d’épuisement professionnel.
Et si pour régler ce problème, le Code du travail prévoyait deux à trois jours par mois de congés payés lors des menstruations ? Ce concept, né au Japon en 1925, est nommé le congé menstruel et il est déjà répandu dans sept pays !
Andréanne Marquis, fondatrice de l’entreprise Womance, croit au réalisme d’une telle alternative en entreprise. « On ne sauve pas des vies. Même si on a 5000 commandes à préparer à l’entrepôt, je vais toujours privilégier le bien-être de mes employées. Je me suis même demandé si je ne devais pas parler de cela directement avec elles. Moi-même je suis incapable de travailler certaines journées où je suis menstruée ! »
Se présenter au travail alors que notre état de santé ne nous permet pas de travailler est la définition du présentéisme. Ce problème dépasse largement les coûts de l’absentéisme. Le présentéisme affecte la productivité des travailleurs et travailleuses qui viennent tout de même au boulot, même si rester au lit à écouter The Office avait de loin été une meilleure chose à faire. En effet, des données américaines révèlent qu’on peut imputer environ 60% des coûts du stress des employé.e.s au présentéisme et 40% à l’absentéisme. Juste en Europe, le présentéisme coûterait en moyenne 20 milliards d’euros par an. L’impact économique du présentéisme aux États-Unis se situe entre 150 et 180 milliards de dollars!
Même si ce n’est pas un problème seulement relié aux menstruations, imaginez combien un simple congé flottant pourrait aider à endiguer une partie de ce phénomène. Le présentéisme et l’absentéisme ne sont pas seulement des questions d’économie: ce sont des questions de santé publique.
Redéfinir la productivité
Le congé menstruel se présente comme une mesure progressiste et inclusive, sauf que les discriminations déjà présentes sur le marché du travail se voient plutôt exacerbées une fois que c’est implanté.
Par exemple, à Taiwan, si les salariées prennent l’une des trois journées de congés menstruels payés par années auxquelles iels ont droit, cela peut provoquer une baisse de leur salaire annuel. En Indonésie et en Italie, pour obtenir ce congé, il faut une preuve médicale affirmant que les menstruations sont douloureuses. Au Japon, d’où ce congé est pourtant originaire, la pression sociale est si grande qu’il y a moins de 1% des personnes menstruées qui prennent l’une des deux journées de congés payés par mois prescrites selon la Loi.
Coexist a constaté que les employé.e.s menstrué.e.s étaient trois fois plus productif.ve.s une fois leur cycle terminé que les autres employés, à la suite de quelques jours de repos.
Bref, il s’agit d’un faux choix.
Pourtant, lorsque l’entreprise Coexist, au Royaume-Uni, a organisé l’emploi du temps de ses employé.e.s en fonction de leur cycle menstruel, elle a constaté que les employé.e.s menstrué.e.s étaient trois fois plus productif.ve.s une fois leur cycle terminé que les autres employés, à la suite de quelques jours de repos.
Même constat chez l’association MENSEN, en Suède, qui a lancé en 2018 un programme pour sensibiliser les entreprises à la création d’un horaire de travail plus adapté aux menstruations. L’entreprise égyptienne Shark and Shrimp a aussi annoncé récemment que leurs employé.e.s pourront prendre une journée de congé en cas de menstruations douloureuses sans fournir de certificat médical et sans perdre de salaire.
Donner plus de chances aux femmes de percer
Ce n’est pas une mesure de discrimination positive, mais bien un rétablissement de l’égalité des chances, question à laquelle Andréanne Marquis est très sensible. « Tout est plus difficile lorsque tu es une femme entrepreneure. On me dit des choses qu’on ne dit pas aux hommes, j’ai plus de difficulté à obtenir du financement… Je ne vois pas le mal à rétablir l’égalité des chances, qu’importe la façon de s’y prendre. »
Ce n’est pas une mesure de discrimination positive, mais bien un rétablissement de l’égalité des chances
D’autres pistes de solution, comme le télétravail, la semaine comprimée et les heures variables pourraient être considérées, et pas seulement en cas de menstruations. La productivité n’est linéaire pour personne, qu’importe le genre.
« De toute façon, c’est bien plus efficace sur la productivité à long terme d’avoir des employées engagées dans notre entreprise parce qu’elles se sentent respectées. L’équilibre, c’est important. Personnellement, si une personne m’écrit un mail un samedi soir, je trouve ça étrange », affirme l’entrepreneure, qui conclut en me disant qu’elle-même déconstruit son rapport à la performance depuis quelques années.
La réflexion entourant la productivité au travail devrait considérer le bienêtre et la santé de chaque personne. Surtout après plus d’un an de télétravail où les impacts positifs de mesures flexibles ont été démontrés.
Il serait temps qu’on parle des menstruations dans cette réflexion !