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L’Angleterre pleure la reine Élisabeth II

Au lendemain du décès de la monarque, des citoyen.ne.s en deuil se recueillent devant le palais de Buckingham.

Par
Violette Cantin
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« Elle a régné pendant toute ma vie. C’est une grande perte. »

Karen fond aussitôt en larmes, la gorge obstruée par l’émotion. En s’excusant, elle sort un mouchoir de sa poche et éponge son visage rougi par les pleurs.

Devant les grilles du palais de Buckingham vendredi matin, tout comme des milliers de ses concitoyen.ne.s, elle est venue rendre un dernier hommage à sa reine, Élisabeth II, décédée la veille. Karen parvient à reprendre ses esprits. « Pourtant, nous savions que sa mort allait survenir éventuellement. Ce n’est pas une surprise. »

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Cela n’enlève pourtant rien au choc causé par sa perte. Qu’on soit pour ou contre la monarchie, une chose est sûre : ici, le décès d’Élisabeth II fait mal. Il faut voir les visages solennels des Londonien.ne.s qui défilent silencieusement devant les grilles du palais pour le comprendre, ou alors leurs yeux humides, leurs regards tristes.

Ici, le décès d’Élisabeth II fait mal. Il faut voir les visages solennels des Londonien.ne.s qui défilenT devant les grilles du palais pour le comprendre.

Pour tant d’entre eux et elles, Élisabeth II était plus qu’une dame somme toute anecdotique dont le visage se retrouve sur les billets de 20 $ : elle était une icône, un symbole d’une certaine forme de résistance à travers le temps. Un indestructible port d’attache qui a vécu du débarquement de Normandie jusqu’à la guerre en Ukraine, en passant par la fin de l’URSS.

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Comme si la météo avait elle aussi décidé que la sobriété était de mise aujourd’hui, les passant.e.s défilent sous un ciel gris et triste, que quelques gouttes de pluie viennent perturber de temps à autre. Certain.e.s portent un bouquet de fleurs, ou une pancarte faite à la main sur laquelle on peut lire « We will miss you » (« Vous allez nous manquer »). Des touristes se prennent en photos, tout sourire et selfie stick à la main. Ça clash un peu avec le reste du portrait.

Sue et Stephany, deux Britanniques, enfilent rapidement leurs imperméables lorsqu’une averse inattendue survient. « C’était une reine travaillante. Et je ne suis pas enthousiasmée par Charles », tranche Sue, qui trouve que sa Majesté Charles III a de bien grands souliers à chausser.

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Florrie Dobell, dans la jeune vingtaine, me prend au dépourvu en me lançant subitement : « Toi, tu l’aimais, la reine ? » Je ne sais pas trop quoi répondre. Mais en voyant les visages atterrés autour de moi, tout ce que j’ai envie de dire, c’est « pas autant que vous, c’est sûr ».

Il faut dire que la reine a su traverser les frontières, c’est indiscutable. Vivant à Las Vegas, Eve Storm était de passage au Royaume-Uni lorsqu’elle a appris la nouvelle. « Je suis dévastée. C’est une icône », lâche-t-elle, gigantesque bouquet à la main. « Elle a fait des sacrifices toute sa vie. Être membre de la royauté, c’est tout donner au service public. J’ai le cœur brisé. »

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Il faut dire que la nature de l’amour voué à la reine varie en fonction des personnes rencontrées sur place. Originaire de Pologne, mais installée au Royaume-Uni depuis des années (« 22 ans », précise-t-elle fièrement), Margot Mendelska considère que notre société actuelle est victime d’une certaine déchéance dont la Reine arrivait pourtant à émerger. « La reine est demeurée une figure d’autorité distinguée en dépit de tout. Aujourd’hui, il n’y a plus d’autorité, il y a de la corruption partout », martèle-t-elle tout en tenant son vélo d’une main.

« La reine est demeurée une figure d’autorité distinguée en dépit de tout. »

« Et puis, avant, quand on se mariait, c’était pour la vie. Ce n’est plus ça maintenant », regrette cette adepte de la fidélité conjugale, avant d’ajouter avec rancœur : « Charles, il a trompé sa femme. » Comme quoi même le décès de la Reine ne suffit pas tout à fait à éclipser la tragique histoire de la princesse Diana.

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De son côté, Camila, qui partage le nom de la toute nouvelle reine consort, peine comme tant d’autres à articuler ses mots. « Je suis vraiment triste. Moi et toute ma famille, on aime la famille royale. »

Pas beaucoup d’antimonarchistes ici, vous l’aurez compris. On est loin de Twitter, où plusieurs internautes, depuis hier, dénonce le caractère « colonial » de la monarchie britannique, ou encore sa richesse exubérante et son caractère antidémocratique.

Donc non, clairement, ce n’est pas tout le monde qui pleure systématiquement la reine. Mais ce matin, devant le palais de Buckingham, les milliers de passant.e.s pleurent davantage qu’une reine; ils et elles sont en deuil d’une personne marquante de leur vie. À la fois une mère, une amie et un modèle. Et leurs larmes sont troublantes de vérité.

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