À la surprise d’absolument personne qui m’a déjà vue en personne, quand j’étais adolescente, j’étais gothique. Ma personnalité entière se limitait à « ne pas être comme les autres filles » et la meilleure manière que j’avais trouvée pour exprimer ce but (autre que d’exister dans le seul et même t-shirt de Cradle of Filth), c’était de traîner avec moi, entre un manuel de maths et des biographies de tueurs en série.
Payés quelques dollars dans des librairies d’occasion, elles avaient tous la même chose en commun : une couverture noire, un titre sensationnaliste, une photo en noir et blanc et des pages jaunies par l’humidité. Bref, à peu près aussi esthétiques que leur contenu et les amener partout traîner avec moi avait le même effet que de se promener au bureau en kit de cycliste : tout le monde m’évitait et me trouvait bizarre.
Par contre, au fil des ans, force est de constater que le true crime s’est refait une beauté et n’est désormais plus l’apanage des filles mal dans leur peau qui idolâtrent Mercredi Addams et les garçons qu’on choisit en dernier dans notre équipe. Des podcasts de true crime animés par des trentenaires qui racontent un meurtre avec le même enthousiasme que votre collègue qui vient de découvrir Moo Deng aux YouTubeuses qui miment un dépeçage avec leur Dyson Airwrap en passant par les twinks meurtriers de Ryan Murphy, le true crime est maintenant un sujet on ne peut plus sexy.
Affublés d’un emballage rose bonbon, les récits horrifiques de mort, d’enlèvement et de mutilation sont devenus de simples contenus dont on se régale comme on savoure une bonne chanson pop que l’on fredonne dans la voiture.
Psycho killer, qu’est-ce que c’est ?
La percée du true crime
Si l’appellation true crime est apparue avec la publication, en 1966, du roman In Cold Blood de Truman Capote, le genre a toujours existé sous une forme ou une autre. Des colonnes de journaux détaillant les ravages de Jack l’Éventreur dans les rues de Londres aux livres affublés de titres douteux en passant par Faites entrer l’accusé , il y a toujours eu une offre pour satisfaire notre curiosité un brin mal placée.
Par contre, c’est avec l’apparition des nouveaux médias, tels que les podcasts et les plateformes de streaming, que le true crime a ressenti le besoin, comme votre petit cousin à Noël, de se rendre un peu plus présentable. De là le recours à ce qu’Internet a baptisé la yassification.
Pour ceux et celles qui sont meilleurs que nous et qui préfèrent lire des livres plutôt que de scroller , la yassification signifie embellir quelque chose de manière à le rendre plus glamour. Sur Internet, de nombreux memes ont vu le jour où des filtres ont été appliqués à des images bien connues de manière à leur donner des airs de couvertures de magazines de mode.
Et depuis la parution des films de 2017 My Friend Dahmer et de 2019 Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, mettant en scène respectivement les égéries du Disney Channel Ross Lynch et Zac Efron dans les rôles de Jeffrey Dahmer et Ted Bundy, on peut constater que le true crime est passé sous le bistouri de la yassification pour plaire au plus grand nombre. Des podcasts à l’esthétique infiniment plus soft aux acteurs à la plastique parfaite qui font battre le cœur des adolescentes pour interpréter des tueurs violents, le true crime n’a pas seulement revu son emballage : il a également revu son contenu pour le rendre digeste, voire agréable.
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Dressed to kill
Comme les lecteurs de Playboy ne s’intéressent qu’aux articles, la majorité des consommateurs de contenu true crime jurent le faire, car ils.elles s’intéressent avant tout à cette mythique « psychologie des tueurs ».
Étant moi-même une grande amatrice du genre, laissez-moi vous décevoir et vous informer que les motifs qui poussent les tueurs en série à commettre l’irréparable se limitent à ceux-ci : la misogynie, le racisme et la mégalomanie.
En effet, pas grand-chose ne sépare Ted Bundy et Richard Ramirez de certains animateurs qui aiment blâmer la pluie et le beau temps sur « les immigrés ».
Généralement des hommes blancs (comme des animateurs de certaines chaînes commençant par la lettre C), ils exsudent toutefois un certain charme (pas comme certains animateurs) qui les aident à piéger leurs victimes et à flotter allègrement au-dessus de tout soupçon. Si cette once de charme suffit à séduire une horde de fans irréductibles qui envoient leurs sous-vêtements par la poste à de pauvres gardiens de prison qui aimeraient que vous cessiez au plus vite, de le combiner à la mâchoire sculptée par les dieux d’un acteur dans la fleur de l’âge contribue à faire oublier le monstre au profit d’un homme supposément ténébreux et incompris.
Au banc des accusés, j’appelle Ryan Murphy, producteur derrière les séries Monster : the Jeffrey Dahmer Story et Monsters : the Lyle and Erik Menendez Story. Si beaucoup de choses se sont déjà écrites au sujet du manque de respect de Murphy pour les victimes de Dahmer et son choix d’assigner le rôle titulaire à Evan Peters, un acteur chouchou d’Internet, on ne peut passer sous silence sa nouvelle proposition qui vient de débarquer sur Netflix et cimente l’intention du producteur américain de produire des fanfictions homoérotiques plutôt que d’apporter quoi que ce soit de productif à l’édifice du true crime. Parce que si la culpabilité de Dahmer n’est plus à prouver, le cas des frères Menendez, lui, n’est pas si simple.
Si les procès hautement médiatisés des années 90 ne sont pas votre contenu de choix, les frères Menendez ont été accusés, en 1996, du double parricide de leurs parents, José et Kitty Menendez. Si la poursuite s’est efforcée de les dépeindre comme des playboys gâtés pourris qui cherchaient à recevoir leur héritage avant le temps, les frères Menendez, eux, affirmaient avoir été victimes d’abus sexuels aux mains de leur père. Toutefois, les années 90 étant loin d’être un beau moment pour la diversité culturelle, on a rejeté leur défense, l’avocate de la poursuite affirmant que les hommes ne pouvaient être victimes d’abus sexuels puisqu’ils « n’étaient pas équipés pour », merci de ne jamais m’expliquer ce que ça veut dire.
Et ça, c’est sans compter les reportages sensationnalistes de la presse de l’époque où l’on se questionnait sur l’orientation sexuelle des accusés en plus de les soupçonner, sans l’ombre d’une preuve, d’être des amants incestueux.
À l’ombre de toutes ces nuances à potentiellement insuffler à cette nouvelle série, Ryan Murphy semble plutôt être au service de ses désirs qu’à la vérité. Multipliant les scènes où les frères portent des vêtements microscopiques et exhibent leurs corps aux muscles luisants, Murphy instrumentalise un récit complexe, où les traumas se font multiples, pour limiter ses protagonistes à deux poupées Ken que l’on force à s’embrasser.
Trop belles pour mourir
Cette tendance à la yassification du true crime ne se limite toutefois pas à cette propension fucking weird (on va appeler un chat, un chat) à romantiser les tueurs en série. Au contraire, elle s’étend aussi parfois aux victimes, à condition que celles-ci soient, et là je sens que vous me voyez venir, des femmes blanches et conventionnellement belles. Et parce qu’on pense aussi tous.tes à la même personne, parlons-en.
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Pendant l’été 2021, l’Internet en entier est fédéré autour d’une seule et même cause : retrouver la vlogueuse Gabby Petito. Aux côtés de son conjoint, celle-ci traversait les États-Unis à bord d’un Ford Transit blanc et produisait du contenu du type van life qu’elle postait sur son compte TikTok. Aperçue pour la dernière fois dans l’Utah, la programmation habituelle des réseaux sociaux s’est subitement interrompue afin de parler de la disparition soudaine de la jeune femme. De vidéo en vidéo, on tente de retrouver la jeune femme à l’aide de cartes de tarot, on plonge dans les archives de ses réseaux sociaux et on s’empresse d’accuser le petit ami dont on n’a aussi plus de nouvelles. Port-étendard de ce fameux syndrome de la « femme blanche disparue », le désir du public pour du contenu sensationnaliste a éclipsé des questions beaucoup plus importantes telles que la violence conjugale afin de produire une histoire plus digeste et divertissante.
Le cas de Gabby Petito met également en lumière cette disparité entre la visibilité accordée aux victimes jugées dignes de recevoir notre sympathie versus celles que l’on n’oublie même pas, parce qu’on n’a jamais pensé à elles pour commencer.
Bien conscients de ces clivages qui leur accordent des privilèges au sein de notre société, bien des tueurs en série ont pris pour cible ces personnes qui tentent de survivre tout au bas de l’échelle sociale : des travailleuses du sexe racisées. Des victimes dont on ignore le nom parce qu’on préfère celui, infiniment plus sexy, de la personne qui a écourté leur vie et dont le visage tapisse maintenant nos journaux.
Si des contenus s’intéressant au true crime ont tenté de rectifier le tir en nous enjoignant à nous intéresser aux victimes plutôt qu’aux agresseurs, l’effort est loin d’être constant et peine à traverser la frontière bien scellée du contenu true crime à gros budget.
Se regarder dans le miroir
On peut pointer du doigt Netflix et Ryan Murphy autant qu’on le veut, un examen de conscience s’impose au niveau de la responsabilité qui nous incombe lorsqu’on choisit de consommer du contenu qui aborde des sujets sensibles. Parce que peu importe à quel point les producteurs de contenu s’efforceront de naviguer avec douceur, le public ne peut se dédouaner d’avoir contribué à cette culture où les criminels sont des stars au même titre que le sont des comédiens et musiciens (paging le film Natural born killers).
Dans un article précédent, j’avais parlé des relations parasociales que nous formons avec les artistes qui peuplent notre paysage culturel. Par leurs œuvres et la manière par laquelle celles-ci résonnent en nous, on en vient à créer un lien avec ces figures qui occupent une partie de notre vie dans une relation essentiellement à sens unique. Une chose que je n’avais cependant pas mentionnée, c’est que ce lien parasocial est plus aisément créé avec des figures « qui nous ressemblent », qui nous donnent l’impression qu’on les connaît et qu’elles comprennent ce que l’on traverse.
Ainsi, l’omniprésence des tueurs en série dans notre culture a contribué à créer ce lien parasocial, malgré l’absence de raison logique d’entretenir une telle relation. Ce lien parasocial est d’autant plus solide lorsqu’on troque la véritable figure du monstre pour celle, infiniment plus agréable, d’un acteur dont on appréciait déjà le travail. Ainsi, dans un article de InStyle, on déclare qu’il n’y a rien de mal à développer un crush sur Zac Efron alors que celui-ci interprète Ted Bundy.
Après tout, c’est l’acteur qui est responsable de cette petite chaleur qui nous traverse la culotte, et non le personnage qu’il interprète, n’est-ce pas ?
Aucun mal, donc à produire des fan edits où l’on voit Zac Efron en tant que Ted Bundy retirer sa chemise pour révéler des abdos en HD ou Evan Peters se dandiner lascivement alors qu’il interprète un homme qui a tué et cannibalisé de jeunes travailleurs du sexe racisés. Aucun mal là-dedans. Les familles des victimes sont même sans doute d’accord.
Par contre, cet argument semble dur à maintenir lorsque de véritables tueurs qui n’ont pas encore fait l’objet d’un film ou d’une série à grand développement deviennent l’objet de nouveaux fandoms qui ont autant de retenue qu’un accro au shopping pendant le Black Friday. Prenez par exemple Chris Watts, un homme qui a préféré massacrer sa famille en entier plutôt que de divorcer sa femme. Eh bien, cet homme bénéficie actuellement d’une horde de fans dédiés qui ne tarissent pas d’efforts pour le faire innocenter, et ce, malgré les preuves qui pèsent contre lui.
On peut aussi penser à Wade Wilson. Non, pas lui. Récemment reconnu coupable de deux féminicides commis en 2019 et écopant d’une sentence de mort, le tueur au visage barbouillé figure dans tant de vidéos TikTok du type « thirst traps » qu’il justifierait à lui seul que l’on supprime l’application pour toujours. À grands coups de commentaires du type « choke me, daddy » et « j’aimerais que l’on m’enferme avec lui 😍 », le jeune homme à la joue marquée d’un swastika et qui cumulait déjà un lourd passé criminel en matière de violence envers les femmes fait l’objet d’une myriade de pétitions exigeant sa libération sous prétexte que… celui-ci est trop beau pour mourir. Pétitions s’accompagnant d’ailleurs de poèmes rendant hommage à la « beauté » de Wilson.
Bref, pensez un peu à vos choix de vie. Parce que si une ado gothique de 16 ans affublée d’un t-shirt de Cradle of Filth croustillant de sueur vous trouve bizarre, vous avez un gros examen de conscience à faire.