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La végane à la fourrure, c’est moi

Sorry, not sorry.

Par
Clémence Carayol
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De plus en plus de gens font le virage végé ou vegan, pour le bien-être animal, ou pour celui de la planète. L’inverse est (beaucoup) plus rare, mais c’est arrivé à l’auteure de cet article qui nous raconte son retour explosif chez les carnivores. Les propos n’engagent que son auteure.

La fille qu’on hésitait toujours à inviter aux barbecues, c’était moi. Pour la bonne et simple raison que je ne mangeais pas de viande. Zéro merguez, pas de chipolata, je détournais dédaigneusement la tête à la vue de côtelettes. Oui, vous l’avez deviné, à cause de mon végétarisme, et aussi parce que j’apportais en guise de contribution des aliments insipides comme des galettes de soja et autres saucisses végétales, j’étais blacklistée de tous les barbecues estivaux ou dîners raclette hivernaux.

Certains vegans ne sont pas relous et ne font pas tout un plat du contenu de leur assiette. Malheureusement, je n’appartenais pas à cette catégorie sympa. J’étais plutôt une végétarienne prosélyte, toujours à vouloir rendre un boucher végétalien ou un charcutier militant de la cause animale. J’aurais pu limite devenir une sorte de témoin de Jéhovah au service des animaux, à toquer aux portes en prêchant la bonne parole.

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D’ailleurs, j’avais besoin de cette conviction que j’affichais, pour m’auto-convaincre du bien fondé de mon régime. Je viens d’une famille d’éleveurs de bovins, et j’ai été bercée au rumsteck et biberonnée à l’entrecôte, saignante s’il vous plaît. Devant les regards d’incompréhension des membres de ma famille, il fallait que je puisse justifier par A + B comment la lentille corail pouvait m’apporter absolument les mêmes calories qu’un gigot d’agneau.

Tout a commencé avec les vidéos de l’Association L214, qui est coutumière d’actions chocs, pour montrer par exemple la réalité insoutenable des abattoirs, la cruauté des abatteurs que les animaux doivent parfois – souvent – éprouver juste avant leur mort. Je me suis juré de ne jamais plus manger de viande à la vue des yeux de petits veaux qui roulaient dans leurs orbites et aux sons de leurs meuglements désespérés qui ont hanté mes nuits.

Mais un jour, tout a basculé. Mon partenaire, chef cuisinier, a insisté pour que je goûte à son tartare.

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C’est ainsi que mon alimentation s’est mise à orbiter autour de packaging étranges, comme du « poulet végétal », ou encore du « steak de soja ». Spoiler alert, ces aliments ne contenaient pas une once de chair animale, mais envoyaient à mon cerveau et à mon corps carencés des messages encourageants du genre : « C’est presque du poulet, mais aucun animal n’est mort pour ton dîner ».

Mais un jour, tout a basculé. Mon partenaire, un chef cuisinier qui maîtrise la cuisson des viandes mieux que Gordon Ramsay lui-même, a insisté pour que je goûte à son tartare. « Ce n’est pas une bouchée qui va te tuer, et pour ce boeuf-là, il est déjà trop tard, il est au paradis des vaches. Fais lui honneur plutôt, pour qu’il ne soit pas mort pour rien », m’a-t-il dit. Récalcitrante en apparence mais émoustillée intérieurement, j’abdique donc et enfourne une fourchette généreuse dans ma bouche avide.

Je ne sais pas comment décrire ce qui s’est passé à cet instant précis. Avez-vous vu le film « Grave » de Julia Ducournau ? Le moment où les pupilles de cette végétarienne de naissance se rétrécissent, alors qu’elle goûte à de la viande, à du sang, pour la première fois ? C’est exactement ce qui s’est passé : la Clémence carnivore en dormance depuis si longtemps s’est redressée d’un coup, et toute ma motivation végétarienne s’est envolée, dissoute dans l’air, dès que la viande crue a touché ma langue, mes papilles gustatives.

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J’ai demandé à Hélène Buquet, psychologue clinicienne, comment j’avais pu passer d’un extrême à l’autre en un clin d’oeil, ou plutôt en un claquement de langue. Elle m’a affirmé qu’en choisissant de devenir végétarienne, « mon surmoi avait primé » sur le reste. Au contraire, quand j’ai commencé à remanger de la viande, mes « pulsions de satisfaction orale » sont devenues plus fortes que mon « sens des valeurs » que j’ai « piétiné ». En stilletos et en fourrure, puisque je ne fonctionne jamais à demi mesure, je suis allée le lendemain dans un dépôt vente m’acheter un vison, parce que si j’allais être carnivore, j’allais l’être jusqu’au bout. Aujourd’hui, ma collection de fourrures s’élève à une cinquantaine de pièces et fait lever les yeux au ciel à mon petit copain qui n’a plus la place de mettre ses uniformes de chef dans la penderie. Renard, loup, otarie, j’ai de tout. Mais il n’avait qu’à pas me faire goûter au vice, le bougre. (Merci, si tu me lis).

Paradoxalement, porter un renard fait de moi une meurtrière mais le cuir de leurs accessoires ne les met pas sur le banc des accusés.

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Être une végane à la fourrure, ce n’est pas si facile, pourrait chanter Cookie Dingler. Déjà parce qu’un tel revers de situation, c’est très difficilement justifiable. Serais-je passée de statut de Carmélite à Dilettante qui saute à pieds joints sur ses valeurs passées ? C’est comme demander à Cruella De Vil pourquoi elle désire une fourrure faite de 101 dalmatiens. Je ne vous raconte pas le nombre de fois, où en arpentant Paris dans une de mes pelisses (que je n’achète jamais de première main, hein, c’est seulement du vintage, donc théoriquement je n’entretiens pas le marché de la fourrure), j’ai dû essuyer des commentaires de fervents défenseurs de la cause animale. Qui sont, soit dit en passant, souvent habillés de cuir, que ce soit une veste de motard, des bottines en daim ou un sac de luxe, sans parler de ceinture en croco. Selon eux, paradoxalement, porter un renard fait de moi une meurtrière mais le cuir de leurs accessoires ne les met pas sur le banc des accusés. Je ne sais pas si cela est dû au côté grand bourgeois de la fourrure ou si on arrive plus facilement à dissocier le cuir de l’animal qu’il était parce que son aspect tanné prend une toute autre apparence, alors que la fourrure a un côté « trophée de chasse ».

j’ai dû souvent me réfugier dans des grandes surfaces pour attendre qu’une manifestation anti-fourrure traverse la rue.

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Pour la psychologue Hélène Buquet, l’exhibition de la fourrure « semble s’apparenter à de la provocation, à l’exhibition quelque peu outrancière de la prédation humaine sur l’animal. Il pourrait s’agir d’une comportement ayant pour finalité de faire l’économie de toute introspection ou remise en cause douloureuse relative à l’abandon de son cadre moral pour la cause animale ». Alors qu’au contraire, selon la psychologue clinicienne, « la fourrure n’est pas assimilable au cuir dans la mesure où les animaux sont élevés et tués afin de prélever leur fourrure et non pas pour les manger. Le cuir, lui, est ce qui reste quand on a tué l’animal pour prélever sa viande. Se couvrir de fourrures d’occasion peut donner le sentiment que c’est la personne qui en a fait la première l’achat qui a été responsable du cruel destin de l’animal à fourrure, tandis que la seconde main ne fait que réutiliser ».

En m’imposant un régime strict basé sur mon sens moral, je me suis frustrée tant et si bien qu’en craquant, et en redevenant carnivore, j’ai voulu le faire aussi radicalement. Comme si j’avais fait ma bonne action et que je pouvais revenir au plaisir égoïste de la chair (animale). Bref, en déambulant et en portant mes longues fourrures, j’ai dû souvent me réfugier dans des grandes surfaces pour attendre qu’une manifestation anti-fourrure traverse la rue. Je me rappelle très vivement la soirée où cet homme assis à côté de ma table m’a dit qu’il « voulait me casser la gueule » parce que je portais mon loup ce soir-là.

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Mais au moins, aujourd’hui, je suis la bienvenue aux barbecues.