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J’ai le pedigree d’une bourge mais pas le compte en banque
Je suis issue d’un milieu qu’on peut rapidement qualifier de « bourgeois ». Qu’est-ce donc que la bourgeoisie, au juste? Sa définition variant d’une époque et d’une idéologie à l’autre, je me contenterai d’en donner ici une illustration subjective.
Pour commencer, je suis née à Paris intra muros dans une famille où je n’ai jamais eu à me soucier du contenu de mon assiette le repas venu, du toit au-dessus de ma tête le soir venu, des vêtements pour me tenir chaud l’hiver venu. La base de la pyramide de Maslow, me direz-vous: la sécurité matérielle. Simple, basique.
Sauf qu’on parle ici d’un toit hausmannien, de repas équilibrés et savoureux dont les ingrédients étaient dénichés au marché bio des Batignolles ou à la Grande Epicerie du Bon Marché, et de vêtements Jacadi, Chevignon et Agnès B (oui, je suis née au milieu des années 1980).
A aucun moment on ne m’a confisqué mes rêves, au prétexte que cela n’aurait pas été « pour moi ». Au contraire, on m’a encouragée à développer mes talents et mon goût pour les arts. Surtout pour ceux qui, soit dit en passant, feraient de moi une jeune fille « bonne à marier » – même si, jamais au grand jamais, ma mère, féministe de la première heure, n’aurait été capable de prononcer une telle phrase autrement que sur le ton de la plaisanterie.
A aucun moment, l’enfant que j’étais n’a craint de finir dans la misère ou l’indigence. A aucun moment, l’échec n’a même été une option.
A aucun moment, l’enfant que j’étais n’a craint de finir dans la misère ou l’indigence. A aucun moment, l’échec n’a même été une option. Vous savez, il est ce genre de certitudes qui viennent nourrir l’estime de soi, une solide confiance en l’avenir et parfois (souvent) une certaine arrogance. Comme si tout cela nous était dû, « parce que nous le valons bien », tout en ne méritant rien vraiment.
« Ses parents sont tous les deux normaliens, tu le savais? »
La gauche tarama
Aaaah la gauche tarama, cette gauche insouciante, qui promeut de belles valeurs humanistes comme l’égalité des chances, mais sans pour autant se plier à la carte scolaire – faut pas déconner non plus. Celle qui vit au-dessus de ses moyens, en toute insouciance, en bonne individualiste, bénéficiaire inconsciente des Trente Glorieuses ; celle qui fait fi du monde qui change, de l’environnement, obsédée qu’elle est des grandes écoles et des « bonnes » fréquentations.
Celle qui marmonne dans sa barbe, profondément et sincèrement blessée, quand ses chers enfants gâtés lui donnent du « Ok, boomer ».
Celle qui n’a d’autre patrimoine à laisser à ses héritiers que son goût des belles choses. Celle qui te dit quoi aimer mais certainement pas comment faire pour l’obtenir par toi-même. Celle qui forme des esthètes sans jamais leur dire que le beau sera bien souvent hors de leur portée s’ils ne se dirigent pas vers une carrière lucrative (dans l’industrie des roulements à billes par exemple).
On parle bien de cette génération de soixante-huitards, légèrement écervelée et franchement idéaliste, engraissée à l’opulence de l’après-guerre, et qui n’encourage sa progéniture ni à être pragmatique, ni à valoriser le nécessaire au détriment du superflu.
Devenue adulte, j’ai compris que j’avais grandi dans une illusion, une de celles qui font péter au-dessus de son cul.
Cette génération toute-puissante qui, du jour au lendemain, à la faveur d’une pandémie, se retrouve bien vulnérable et mue par un sentiment oscillant entre hébétude et injustice.
Devenue adulte, j’ai compris que j’avais grandi dans une illusion, une de celles qui font péter au-dessus de son cul. Que, contrairement à mes petits camarades également bourgeois, je n’hériterai de rien à part de ma capacité à systématiquement choisir ce qu’il y a de plus cher dans le magasin, quand bien même je vivrais dans 20m2 à 30 ans.
Que, contrairement à mes amis issus de la classe moyenne et éduqués dans l’idée qu’il faut toujours prévoir le pire, je n’aurai dans ma besace aucun des outils les plus essentiels pour être libre de devenir qui je veux vraiment être.
Reconnaissante et circonspecte à la fois
Tout ceci étant dit, soyons honnêtes, je ne peux raisonnablement en vouloir à mes parents, qui comme la plupart des darons, ont voulu bien faire et ont fait de leur mieux. Ils m’ont choyée à leur manière et m’ont donné le plus précieux des cadeaux: l’esprit critique. Pour ça, un immense big up.
Pour être parfaitement honnête, je dois le maintien de mes conditions de vie à mon mari qui rapporte trois fois mon salaire à la maison.
Je veux qu’au lieu d’être obsédés par les diplômes et l’orthographe, mes enfants le soient par la justesse et la justice, rien de moins.
Je veux aussi briser les lunettes de classe qui pourraient les empêcher d’aller vers des personnes passionnantes et issues de milieux différents du leur.