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La Têtue : elle fait son propre vin nature en plein centre de Lyon
« Si tu passes par le 1er arrondissement, près des quais de Saône, va voir Géraldine Dubois à sa shop de vin, La Têtue. Elle fait du vin nature en plein milieu de Lyon. C’est une ancienne représentante pharmaceutique et son chai est derrière un record store », m’écrit mon ami et collègue Billy, pendant mon séjour à Lyon, à la mi-novembre.
Je commence par googler le terme « chai » dont j’ignore la signification.
« En viticulture, le chai est le lieu où se déroule la vinification. »
Maintenant que je comprends mieux, j’aime absolument tout du message de Billy, surtout que je fais confiance à ce dernier en termes de bons plans gastronomiques et vinicoles.
Ni une ni deux, j’écris à Géraldine Dubois sur Instagram, dans l’espoir de la rencontrer et de visiter son chai urbain. Celle-ci me répond dans la minute et me propose de passer la voir le lendemain après-midi. Je regarde sur Google Maps : son atelier-boutique est à moins de dix minutes à pied de là où je me trouve. Il n’y a pas de hasard.
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« Va voir Géraldine Dubois, […] Elle fait du vin nature en plein milieu de Lyon. »
Ma montre indique 16 h 10, l’heure du rendez-vous approche. Je descends les escaliers en colimaçon et traverse la cour intérieure de l’immeuble où je suis logée. Je parcours la place des Terreaux puis descends la rue d’Algérie. Au loin, la Saône se déploie avec élégance sous le ciel nuageux de Lyon, la cathédrale de Fourvière dominant le paysage. J’aperçois le fameux Sofa Records dont me parlait Billy, signe que je suis au bon endroit, puis tourne à droite sur la (mini mini) rue Grobon. J’entre dans La Têtue, un projet unique en son genre, ouvert depuis à peine trois semaines.
Dans ce tout petit local en pierres, je découvre un pressoir, quelques cuves et une Géraldine Dubois, tout sourire.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu me parler un peu de toi et de ce qui t’a menée à monter un chai urbain en plein cœur de Lyon ?
« Un jour, j’ai mis le nez au-dessus d’une cuve et quelque chose de magique s’est produit. »
J’ai aujourd’hui 46 ans et j’ai commencé ma vie professionnelle dans le domaine pharmaceutique, comme [représentante] commerciale. Au bout de dix ans, j’ai commencé à me demander pourquoi je me levais le matin. Je vivais alors à Beaune en Bourgogne et je faisais les vendanges chaque année. Je venais de quitter mon emploi, je ne savais pas trop ce que je voulais faire et je me suis mise à m’intéresser davantage au vin. Un jour, j’ai mis le nez au-dessus d’une cuve et quelque chose de magique s’est produit. J’ai eu un vrai coup de foudre et ça ne m’a jamais quitté.
J’ai alors obtenu mon diplôme à Beaune et travaillé comme maître de chai, puis j’ai monté mon domaine viticole dans le sud de la France. Par la suite, des circonstances personnelles m’ont ramenée à Lyon, d’où je suis originaire.
J’aurais pu tirer un trait sur le vin, mais je me suis accrochée. Ça explique d’ailleurs le nom de mon projet : La Têtue. Pour se lancer dans un projet pareil, il faut être sacrément entêtée et ne jamais baisser les bras.
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Quelles sont les raisons qui ont motivé ton projet ?
J’ai voulu monter La Têtue pour faire un chai urbain, mais pas seulement. Oui, c’est intéressant de faire du vin en ville, mais ce que je souhaitais par-dessus tout, c’est apporter une nouvelle façon de produire le vin, de vendre le vin et de consommer le vin. Je ne voulais pas uniquement amener le moût en ville puis vinifier, mettre en bouteille classique et vendre un peu partout.
« Ce que je souhaitais par-dessus tout, c’est apporter une nouvelle façon de produire le vin, de vendre le vin et de consommer le vin. »
Moi, ce qui m’intéressait dans le fait d’être en ville et de faire un chai urbain, c’est justement d’arriver à créer un circuit court. Mon projet est vraiment ciblé autour de ça et je suis très stricte là-dessus. D’aller chercher des raisins à Aix-en-Provence alors que je suis sur Lyon et qu’il y a des vignes tout autour, ça ne m’intéresse pas. Et vendre du vin au Japon, ça ne m’intéresse pas non plus. À quoi bon travailler en bio et en nature si c’est pour finir par exporter partout dans le monde ? Pour moi, ça n’avait pas de sens.
Ma motivation principale est donc de réduire au maximum la distance qui sépare le raisin de celui ou celle qui le boit.
Je suis très sensible aux questions de circuit court, de développement durable, d’impacts environnementaux du transport, etc. Donc je me suis dit : est-ce qu’on ne peut pas profiter de cette tendance de chai urbain [il y en a de plus en plus un peu partout en France, à Paris, Marseille, Saint-Etienne et Nantes, notamment], mais être « jusqu’au boutiste » ? C’est-à-dire, avoir des raisins qui viennent de moins de 40 kilomètres de Lyon (des Côteaux du Lyonnais ou du sud du Beaujolais), produire à Lyon, vendre à Lyon dans des bouteilles consignées et sérigraphiées remplies directement de la cuve et que le vin soit presque exclusivement bu à Lyon !
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Au fond, vous essayez de décloisonner le système classique de production et de commercialisation du vin ?
Précisément. Je veux que les Lyonnais puissent venir remplir leurs bouteilles d’un vin qui est fait à côté de chez eux à partir de raisins qui poussent à côté de chez eux aussi.
J’ajoute que pour moi, le système de vrac et de consignes était une évidence, car ça permet de garder en local, de faire en sorte que les gens reviennent et de ne pas gaspiller de bouteille de vitre. J’en conviens, c’est un pari un peu fou ! Parfois, je me réveille en me disant que c’est n ’importe quoi, mais j’y crois !
Je suis toute seule, je fais tout et l’idée n’est pas de devenir millionnaire, mais bien de simplement pouvoir en vivre.
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En quoi vous distinguez-vous des autres chais urbains, que l’on voit apparaître de plus en plus en France ?
« J’amène des raisins ici et […] je les presse sur place, dans le pressoir derrière nous. »
Dans la majorité des cas, les viticulteurs et les viticultrices font venir le moût (une mixture obtenue par pressurage ou cuisson de végétaux ou bien d’extraits de végétaux), donc des raisins déjà pressés. Sur place, ils font la fermentation alcoolique et l’élevage, mettent en bouteilles classiques et vendent en local ou en extralocal.
Mon positionnement est complètement différent, puisque j’amène des raisins ici et que je les presse sur place, dans le pressoir derrière nous. Je suis la seule en France à faire un chai urbain avec que des raisins locaux et à vendre en vrac en bouteilles consignées.
Qu’est-ce qui vous rend le plus fière ?
C’est d’être têtue et de me battre seule contre vents et marées. Je suis aussi fière d’être une femme dans un milieu extrêmement machiste. Je considère qu’on fait face à plus d’obstacles quand on est une femme que quand on est un homme dans ce milieu.
« Je considère qu’on fait face à plus d’obstacles quand on est une femme que quand on est un homme dans ce milieu. »
Par exemple, quand je travaillais avec mon ex-mari, quand on faisait des salons, les gens s’adressaient à lui alors que c’est moi qui faisais le vin. Pour encore beaucoup de monde, une femme qui fait du vin, ce n’est pas possible dans leur esprit. Pour moi, la meilleure manière de se faire respecter dans le milieu du vin, c’est de montrer sa structure, comme ça, c’est sans équivoque : on s’adresse à vous. La Têtue, c’est moi !
Malgré tout, je ne lâche pas, je crois en mes convictions et je fais ce qui me rend heureuse.
Aussi, je suis vigneronne, c’est-à-dire que j’ai une vigne. J’ai une petite parcelle de gamay, à Brindas, où je travaille en bio. Je fais tout à la main, je n’ai pas de tracteur. C’est un métier qui est très difficile, donc si on n’est pas passionné au départ, il faut faire autre chose.
Parlez-moi de votre vin.
En ce moment, j’ai un rouge et un blanc, tous deux en Côteaux du Lyonnais. Le rouge, c’est du gamay. Je dirais qu’il est un peu rustique, voire même un peu franchouillard avec de bons tanins. Et le vin, c’est du Chardonnay assez sec avec des arômes de fleurs blanches et de fruits exotiques.
« J’aime bien laisser faire le vin, je lui fais confiance ! »
Je suis très branchée nature. J’utilise peu ou pas de sulfites. S’il y a un défaut qui s’installe lorsque je vinifie (il faut préciser qu’il y en a qui peuvent s’installer dans les vins nature comme dans les vins traditionnels), je vais utiliser des sulfites, mais le moins possible, juste s’il y a besoin. Je travaille en levures indigènes, qui sont beaucoup plus représentatives de leur terroir, et je suis très peu interventionniste sur la vinification. J’aime bien laisser faire le vin, je lui fais confiance !
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Si vous deviez décrire votre vin en trois qualificatifs, quels seraient-ils ?
Libre, représentatif de son terroir et respectueux de son environnement.
Vous avez ouvert La Têtue il y a trois semaines. Qu’est-ce que vous vous dites quand vous vous rendez au travail ?
Que je sais pourquoi j’y vais ! Je fais ce que j’aime faire, avec des valeurs écologiques qui correspondent à mon éthique. C’est un peu le Graal de vivre de ma passion et d’être autant fidèle à mes valeurs profondes.
« C’est un ancien garage qui appartenait à un monsieur qui réparait des Vespa ! »
Je trouve aussi très précieux d’être à ce point ancrée dans le quartier. J’aime énormément le 1er arrondissement, c’est un quartier qui me tient à cœur. J’ai passé toute mon adolescence dans les pentes de la Croix-Rousse, donc juste au-dessus. Quelle chance d’être tombée sur ce local ! Je ne serais pas allée ailleurs.
Mais d’ailleurs, qu’est-ce qui se cachait ici avant que vous vous y installiez ?
C’était un ancien garage qui appartenait à un monsieur qui réparait des Vespa ! C’est marrant parce qu’il existe bel et bien le terme « vinification de garage ». Il fait référence aux gens qui montent leur domaine et qui, faute de lieux, vinifient dans leur sous-sol ou leur garage, avec une ou deux cuves…
Tu veux goûter au vin ?