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Pendant que vous vous embêtez encore à trier vos déchets, Kim Kardashian, elle, a déjà trouvé une solution pour contrer le réchauffement climatique.
Et ce n’est ni composter minutieusement ses aliments, ni réduire ses voyages de 13 minutes en avion privé, mais un remède encore moins conventionnel : commercialiser un soutien-gorge avec un relief intégré de tétons qui pointent.
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Évidemment, et comme l’indique le ton de la publicité annonçant ledit produit, ceci doit être pris avec une bonne dose d’humour noir. Mais le sous-vêtement en question reste une addition bien réelle au sein de la nouvelle collection SKIMS, cette marque co-fondée par Kim Kardashian, qui se veut eco-friendly et adaptable à toutes les morphologies.
En regardant la vidéo promotionnelle, j’avoue avoir ri. Kim Kardashian s’y improvise (fausse) experte scientifique et commence par nous lister différentes conséquences de la hausse des températures avant de présenter, en guise de solution, son fameux soutien-gorge aux pointes érigées, qu’il fasse chaud ou froid, car « à la différence des icebergs, [ces tétons] ne disparaîtront jamais ».
C’est délicieusement stupide. C’est ridiculement audacieux. Je lui donne un 10/10.
La mère de toutes les discordes
Mais faire un tour d’horizon des réactions m’a rapidement indiqué que j’étais peut-être la seule à rire. Car, depuis sa sortie, la vidéo désormais virale n’en finit plus de générer des réactions vives sur son passage, parfois négatives, parfois élogieuses.
D’un côté, il y a cette prémisse supposément écologique de la campagne promotionnelle que beaucoup ont jugé déplacée au vu de l’urgence climatique actuelle, mais aussi de la personne qui parle – ici, Kim Kardashian, une milliardaire dont l’empreinte écologique pèse sans doute plus que celle d’un village entier.
Du greenwashing, donc, sans compter que l’incitation sous-jacente à la surconsommation et son tissu en polyester rayent automatiquement SKIMS du camp des marques eco-friendly, peu importe si 10 % des revenus sont reversés à une association environnementale.
Sauf que voilà; quelques commentaires plus bas, sur la même publication listant ces griefs, d’autres pensent qu’un drame est fait pour franchement peu de choses, la vidéo ne devant pas être prise au sérieux et intellectuellement disséquée comme elle l’est, actuellement. « Elle fait littéralement des jeux de mots sur le changement climatique lol », écrit une utilisatrice tandis que plus bas, une autre rappelle que :
« Ce n’est pas de l’activisme, sweetie, ça s’appelle du marketing. »
Certes, répondent d’autres voix encore, mais qu’en est-il des cratères que ces soutiens-gorges créeront dans la confiance en soi de nombreuses femmes? Ne viennent-ils pas piétiner des années de positivité/neutralité corporelle en promouvant un modèle de poitrine idéal?
« Les seins ne sont pas toujours beaux et les mamelons ne sont pas toujours durs. Ressaisissez-vous », exhorte ainsi une internaute, révoltée qu’on ait pu trouver une nouvelle occasion de sexualiser la poitrine des femmes.
Hop! On change de trottoir et c’est un tout autre son de cloche : celui du mouvement Free The Nipple qui, depuis 2012, œuvre à éradiquer la lueur lubrique qui brille dans le regard du monde entier lorsqu’il se pose sur le torse des femmes – en comparaison à la profonde neutralité qu’a toujours suscité le torse des hommes.
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« Les femmes passent tellement de temps à cacher les parties naturelles de leur corps pour répondre aux attentes de la société que mettre un téton sur un soutien-gorge et attirer l’attention sur une partie de notre anatomie qui est si souvent associée à la honte ou à la ‘débauche’ est un fuck you aux attentes, et j’aime ça », rédige à ce sujet la journaliste Emilie Lavinia dans Cosmopolitan.
Oui, OK, mais (on change encore de trottoir) est-ce une raison valable pour réduire les mamelons à de simples accessoires sur lesquels faire son petit commerce ? Sous couvert de mener le bon combat, Kim Kardashian ne participe-t-elle pas plutôt à aggraver l’objectification du corps féminin en faisant de ses composantes des accessoires trendy achetables en kit ?
D’ailleurs, qui va même l’acheter, ce soutien-gorge ?
Énormément de monde, semble-t-il – vingt-quatre heures seulement après son lancement, il était déjà en rupture de stock.
Et pour beaucoup, les raisons sont plus salutaires que seulement esthétiques, comme pour les femmes trans en transition dont le simple port de ce petit morceau de tissu participera à décupler leur euphorie de genre.
Pareillement pour les survivantes d’un cancer du sein qui auraient subi une mastectomie, soit « l’enlèvement chirurgical, partiel ou total, d’un sein ou des deux ».
« [Ces femmes] ont perdu leurs mamelons et veulent vraiment récupérer cette part de féminité, alors elles utilisent des mamelons en prothèse. Je suis sûre que quelque chose comme ça sera super bénéfique pour cette démographie de femmes! », se réjouit une utilisatrice sur TikTok.
Big Kim Is Watching You
De ce débat, il ne faut finalement retenir que quatre choses.
La première est qu’il n’aura jamais de point final. Non seulement chaque côté restera campé dans ses positions, mais toutes ces positions seront aussi valables les unes que les autres. « Ce soutien-gorge essentialise l’anatomie féminine » et « il peut être une source de soulagement psychologique immense pour certaines femmes » deviennent donc deux déclarations simultanément vraies.
À nous d’évaluer individuellement si s’asseoir entre ces deux chaises est un exercice confortable.
La seconde est que même au-delà de son aspect utilitaire, ce soutien-gorge aurait eu un immense succès. Pourquoi?
Parce que « Kim sait exactement qui achète ses produits, commente ses photos, s’implique dans la vie des Kardashian et Kim livre la marchandise », comme on peut le lire dans Medium.
Et qui est cette clientèle, sinon celle abonnée aux réseaux sociaux, bien au fait de la mode et du retour presque agressif des années 90 dans nos garde-robes?
« [Le concept de] ne pas porter de soutien-gorge – quelque chose auquel on s’attendait sur les plages d’Europe – a désormais atterri dans la jungle urbaine », commentait en avril le blog de mode spécialisé en lingerie Unhooked Online pour qui cette tendance est principalement une conséquence de la pandémie.
Sauf que remonter à la saison 4 de Sex And The City nous apprend que, pour le personnage de Samantha, les faux tétons en pointe étaient déjà une révélation vestimentaire. L’entreprise Victoria Secret a également essayé de commercialiser l’exact même soutien-gorge que SKIMS dans les années 2000 pour finalement se heurter à un mur de quolibets ainsi qu’un occasionnel « putes » en commentaire. Mais, vingt ans et une bonne déconstruction sociale plus tard, l’idée est maintenant bien acceptée.
Et c’est précisément ici que pourrait être introduite la troisième chose à retenir :
Kim Kardashian n’invente pratiquement rien de ce qu’elle popularise – que ce soit la technique maquillage du contouring ou encore le short de cycliste – mais elle sait toujours être là au bon moment pour récupérer une tendance.
Car, souvent, le succès ne dépend pas du contenu, mais du visage qui le porte. Un détail qui peut aussi porter préjudice, cela dit, surtout si on s’approprie un peu trop la notion… eh bien d’appropriation.
Ainsi, Kim (et le reste du clan Kardashian-Jenner, n’est-ce pas Kylie) a été maintes fois rappelée à l’ordre pour avoir tenté de s’accaparer sans un merci des aspects culturels de la communauté noire (le port des nattes collées, les modifications chirurgicales pour se rapprocher de la morphologie des femmes noires, le teint exagérément halé qui tombe dans le blackfishing) ou de celle asiatique (le port du kimono japonais ou des parures de tête indiennes).
Comme quoi, tout ce qui brille n’est pas à prendre pour soi.
Tous les chemins mènent au dollar
Quatrième chose à retenir :
par nature, Kim Kardashian prospère dans le chaos. Observer sa montée en popularité est presque un cours sur l’utilisation de la controverse comme tremplin vers le succès.
À commencer par l’exemple le plus connu de tous : la fameuse vidéo intime avec son ancien petit-ami Ray J qui fuite en 2007. Un événement qu’aujourd’hui encore, l’entrepreneure décrit comme un fardeau qui « la nargue » et qui fait écho au scénario similaire vécu par Pamela Anderson.
D’autant plus que, quelques semaines plus tard, a lieu le lancement officiel de Keeping Up With The Kardashian, la téléréalité de sa famille; bref, rien ne va.
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Mais si, à l’accueil de cette sextape, le slut shaming est au rendez-vous, la curiosité l’est encore plus, et c’est ce qui propulsera non seulement l’émission, mais aussi la carrière de Kim à de nouveaux summums.
Désormais sur toutes les lèvres, son statut n’est plus celui de l’héritière d’un éminent avocat ou de la fille-qui-trie-les-vêtements-de-Paris-Hilton-par-ordre-de-couleurs, mais celui d’une célébrité à part entière.
Les réseaux sociaux deviennent son terrain de jeu, ses faits et gestes aussi scrutés que ne l’est son corps. Trop scruté, peut-être?
Qu’à cela ne tienne : Kim joue le jeu dont dépend toute sa survie médiatique, hissant bien haut le flambeau du fameux « Instagram body » – petits seins, petites hanches, ventre plat, fesses arrondies – et consolidant indirectement l’image du corps féminin idéal.
Un corps pour lequel beaucoup de femmes développeront des troubles alimentaires tandis que d’autres mourront sur une table d’opération pour avoir le même rehaussement fessier brésilien qu’elle, sans se douter que c’est « la procédure esthétique la plus dangereuse jamais réalisée ».
Mais, the show must go on et, pour Kim, la prochaine étape consiste maintenant à « briser l’Internet » en posant pour la couverture désormais virale du magazine Paper, une coupe de champagne reposant sur ledit fessier.
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Pour chaque critique extérieure, l’entrepreneure a un « Reverse Uno » mercantile déjà prêt. Comment ça ? Elle prend trop de photos d’elle-même ? Elle semble imbue de sa personne? Ni une ni deux, Kim Kardashian sort alors le livre Selfish compilant une multitude de selfies, allant d’innocents portraits d’enfance aux nudes érotiques.
Quoi donc ? Elle ne mérite pas d’enfiler la robe précieusement conservée de Marilyn Monroe pour se pavaner avec sur le tapis rouge du Met Gala ? Le faire ternirait sa rareté ?
Trop tard : non seulement Kim la porte, mais une réplique quasi identique de l’habit figure maintenant dans le catalogue de SKIMS.
Ah, et elle aussi est sold out. Voilà.
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C’est presque une forme puérile de résilience, à ce niveau. Un talent, diront certains en observant son refus catégorique de disparaître de nos radars et sa capacité presque vengeresse à se renouveler.
« Le problème avec la culture populaire – ou la ‘viralité’ – c’est qu’elle ne peut pas être entièrement prédite ou fabriquée. C’est plus de l’art que de la science, et il n’y a pas de recette », décrit David Hershkovits, co-fondateur de Paper, dans The Guardians.
Cependant, ne vous méprenez surtout pas : Kim Kardashian ne cherche pas à ce que vous l’aimiez, mais à vous avoir à l’usure.
Et si elle persévère, c’est parce qu’elle sait qu’elle y parviendra par sa ligne de vêtements. Ou par son jeu mobile. Ou par ses engagements politiques. Ou par sa ligne de cosmétique. Ou par sa collaboration avec la NBA. Ou par sa dernière bagarre sanguinaire avec sa sœur Kourtney qui ne sait pas ce que c’est que d’avoir un « fucking business ».
L’histoire nous enseigne qu’elle l’obtiendra, ce respect. Peut-être de gré, mais fort probablement de force.