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Ivre de la veille, j’ai testé le bain de glace grâce à la méthode Wim Hof
La morsure du froid, les grelottements… Que diable allais-je faire dans cette galère ? Paris, samedi 4 décembre, 10 heures. Mon réveil me fait l’effet d’une scie sauteuse perforant le tympan gauche, l’extrémité de ma boîte crânienne et tout ce qu’il y a dedans. Un empire pour une journée de paresse ouatée. Mais non, non. Rendez-vous a été pris pour que j’expérimente en début d’après-midi l’immersion dans une eau à 0 C°.
Pas pour le plaisir, évidemment. Plutôt au nom du journalisme de terrain, avec pour ambition d’éprouver la « méthode Wim Hof ». Soit une préparation mentale et physique concoctée par le multi-recordman d’endurance au froid éponyme permettant (en théorie, du moins) de résister aux températures extrêmes, mieux gérer le stress et muscler son système immunitaire.
Étant frileux, anxieux et hypocondriaque, la perspective était alléchante. Sauf que. La veille, c’était fête. Du genre débridée, bourrine, assassine. Aussi, c’est avec une cuite carabinée au Mai Thai dans les dents et au moins trois substances inscrites au registre des substances psychoactives illicites dans le sang que je claque la porte de ma maison pour me diriger vers un rendez-vous givré que je ne peux considérer que comme kamikaze.
« Mais qu’est-ce-que je fous ici ? »
Bordel. Évidemment, il bruine. Sinon c’est pas drôle. Avec la conscience aiguë de me diriger vers l’abattoir, je traîne péniblement ma carcasse dans les rues riantes de La Chapelle. Et pousse le vice jusqu’à m’acheter un paquet de clopes. Foutu pour foutu… Sans une once de respect pour mon corps convalescent j’enchaîne les sèches, méditatif.
Avisés de mon expédition, certains potes compatissent par texto (« force Anto ») d’autres moquent (« ah mon cochon, toi qui aimes le bain brûlant… »). Les plus spirituels devinent la foudre d’une justice supérieure (« karma, fallait pas se foutre de la gueule du videur »). Oui, Édouard Baer, hier je me suis bien marré. Le gâteau d’anniversaire, les shots, la teuf techno. Demain n’existait pas, et maintenant, s’agit de régler la douloureuse. J’ai compris.
Entré dans le hall de l’Hotel Kube où se déroule le stage, première surprise : nous sommes une quinzaine. C’est beaucoup, pour une expérience aussi maso. Et coûteuse – 99 euros le stage d’initiation Icemind de 4 heures, quand même. Léger malaise dans l’assistance. Genre « mais qu’est-ce-qu’on fout ici ? ».
Pas le temps de gamberger, notre moniteur Jean-François Tual (JF) déboule tout feu tout flamme, smile Colgate aux lèvres. « Alors, on y va ? ». La pression descend d’un cran. C’est que je fais intuitivement confiance à ce quarantenaire taillé style Discobole de Myron, et auteur de Le froid m’a sauvé. L’Apollon nous entraîne dans une salle cosy – briques rouges, fausse végétation – où chacun se présente pour… briser la glace (pardon).
Seconde surprise. Alors que je m’attendais à un profil homogène d’addicts à l’extrême, il y a de tout. Deux sœurs du troisième âge venues « parce que le concept est bizarre », un trentenaire qui s’est vu offrir le stage sans trop savoir « dans quoi il mettait les pieds ». Et même un ado venu tenter l’expérience une deuxième fois. UNE DEUXIÈME FOIS.
Wim Hof, thérapeute par le froid
Passé ce tour de parole, JF détaille les ressorts philosophico-pratiques de la « méthode Wim ». Parce que, non, il ne s’agit pas juste de se les peler. Celui que l’on surnomme « The Iceman », et que notre moniteur a rencontré dans le cadre d’un séjour spartiate en Pologne, a développé une véritable « thérapie par le froid » en s’exposant à des bains glacés, des virées montagneuses en slip…
Objet de reportages et même de recherches scientifiques, le Néerlandais est mondialement célèbre pour être resté 6 minutes en apnée sous la glace polaire et avoir entrepris l’ascension de l’Everest en short. « Ce mec est un surhomme », commente un voisin zélote, suscitant l’inquiétude d’une autre membre de l’assemblée : « Attendez, on est pas dans un truc bizarre genre secte là ? Non parce que ma famille comprend pas trop et m’a demandé si tout ça était sain… ».
« Pour tenter l’expérience, faut sans doute être un peu barré », s’amuse JF. Et d’expliquer que le froid extrême « ressuscite des réflexes physiologiques ancestraux ». En gros, s’y confronter active des réflexes de survie millénaires et oubliés, aidant à combattre les inflations musculaires. Ou le stress, par exemple.
Eh oui, faites croire à votre corps que vous allez passer l’arme à gauche, et il détournera votre attention de cette vieille douleur au mollet. « Le but est de transposer dans des situations à charges émotionnelles cette mécanique ». En se jouant des limites physiologiques, on apprend à mieux gérer les vicissitudes du quotidien. Tout est question de contrôle.
Des pompes en apnée, sur Snoop Dog ft David Guetta
Ce discours m’apparaît éminemment inspirant mais, dans l’immédiat, je croise surtout les doigts pour ne pas m’évanouir. Trop d’excès, pas assez mangé. Je siffle des thés à l’orange dans le fol espoir que cette boisson détox’ m’aide à tenir le coup. Car ça s’annonce rude. Très rude. JF nous invite religieusement à faire cercle autour de la cuve glacée qui nous attend tel Cerbère devant Enfers. Puis à plonger nos mains dedans. À droite ça geint, à gauche ça lâche des « y’a pas moyen ». Le fait est que ça brûle. Vachement.
« Ça va pas être velours », prévient notre formateur. Fort heureusement pas question de plonger de suite. Débute une préparation qui constitue à proprement parler la « méthode Wim Hof », entre méditation et inflexion respiratoire. Allongés sur des tapis de sol, nous prenons des inspirations de plus en plus amples qui conduisent à l’hyperventilation. Conséquence immédiate pour ma pomme : vertiges au carré. Je deviens si pâle que JF me conseille de réduire le rythme. La honte. Je me ressers un thé et boulotte une barre de céréales. C’est ça, ou la mort.
Non seulement le prochain exercice ressemble dangereusement au premier, mais il se conclut par une série de pompes en apnée. Décidément, non, ça n’est pas « velours ». Entouré d’inconnus, j’enchaîne les push up au rythme de « I want to make you sweat » (oui, oui, le titre de Snoop Dog et David Guetta) en crachant mes poumons tandis que JF hurle « ALLEZ, ENCORE, ON Y VA ». On se serait cru dans une comédie US, avec ma piteuse personne dans le rôle du débauché en pénitence essayant bon gré mal gré – et outre le ridicule – de regagner une vague forme de tonique.
« On va crever, dis ? »
Le pire, c’est que j’y prends plaisir. Mon corps est dans un tel état de panique qu’il balance une tonne d’analgésiques. Je me sens à la fois ultra-dynamique, et diaboliquement apaisé. Les membres piquent, la tête tourne. Et ciao la gueule de bois, Wim Hof soit Loué. Mais voici que l’heure fatidique approche. Fini de faire mumuse, tout le monde enfile son maillot. Une jeune fille me confie qu’à la vue du bain de glace, elle a « peur de crever ». Je n’ai pas le cœur de lui dire qu’au fond, moi aussi. Le moment de faire le grand saut ? « Encore un dernier petit échauffement », me répond JF.
Dans un élan surréaliste, notre moniteur balance « Who let the dogs out » à fond. Et initie un haka. Résultat des hyperventilations répétées ou du stress face à la perspective du bain gelé, ça vire en lâché prise total. Plus personne n’en a rien à foutre – moi compris. Je me surprends à pousser un rugissement préhistorique, en enchaînant des mouvements circulaires qui ressemblent à tout sauf à un haka. Mais qui ont le mérite de faire marrer les collègues.
Arrêt de la danse (transe ?). « Vos corps sont prêts à encaisser le choc » assure JF, à qui j’aurais littéralement pu confier ma vie à cet instant précis. On se place en file indienne, et mon mentor n’a même pas le temps de demander qui veut ouvrir le bal que je m’élance vers la baignoire de l’horreur. Mais l’immersion doit se faire en binôme. Un partenaire de souffrance se joint à moi. Seul conseil de JF: « foncez d’un coup d’un seul, la technique par pallier envoie des signaux d’alerte successifs à votre cerveau qui vous donneront juste envie de déguerpir ». Gloups.
« Mais heu… D’un coup d’un coup ? », que je dis. « Regarde », lance mon compadre, visiblement plus à l’aise que moi. Ni une ni deux, il se jette dans la cuve. Je l’imite, sous les applaudissements et hourras d’encouragement de la salle. Troisième surprise (la meilleure) : c’est pas si terrible. Étonnement, le corps s’adapte immédiatement au choc thermique. Enfin, presque.
Au bout de plusieurs dizaines de secondes les extrémités de mes pieds et mains brûlent. Beaucoup. Beaucoup trop. Si bien que j’alpague mon senseï, occupé à nous photographier, hilare : « combien de temps ça va durer ? ». « Autant de temps que je veux », répond JF, que je ne soupçonnais pas sadique. Mais personne n’est parfait.
L’attente est longue. Je m’efforce de conserver un rythme respiratoire profond, m’imagine sur une plage méditerranéenne aux températures caniculaires. Tente même timidement une autohypnose d’urgence. Mais le plus efficace reste encore de s’ancrer dans l’instant présent, en « pleine conscience » selon l’expression des amateurs de méditation. Histoire de distinguer la nuance entre l’état corporel de choc (diffus) et de douleur (qui ne concerne que les extrémités, à cause de leur foule de terminaisons nerveuses).
Au « go » de JF je m’extirpe de la glace, le corps rouge écrevisse. Comme l’impression d’être un samouraï du grand Nord. « Non merci les gars », même pas besoin de serviette pour me réchauffer. On me sert un thé (encore) et c’est à mon tour d’enhardir avec force cris le défilé des volontaires. Quelques-uns chantent pour distraire l’attention, d’autres se frappent le torse. Chacun s’immerge pendant plusieurs minutes. Du point de vue extérieur, ça ressemble sûrement à un carrousel de tarés. Mais à vivre, quel pied.
Bientôt à poil dans les Pyrénées ?
Devenus frères et sœurs de glaciation, on débriefe à chaud (pardon, encore). Tous s’accordent à dire qu’ils se sont rarement senti aussi vivifiés. Beaucoup n’en reviennent pas que ça ai été « aussi simple », et se promettent de suivre à la lettre la « méthode Wim Hof » au quotidien. Mais quid des expériences de l’extrême ?
« La prochaine étape c’est destination Pyrénées », plaisante JF qui, propose, outre ces séances d’initiation, des excursions en montagne « à moitié à poil devant des skieurs emmitouflés éberlués ». Rires timides, et quelques regards illuminés. Pas de doute, certains poursuivront l’aventure. Je me dis qu’il y a quand même de sacrés dingos. Et que c’est une bien belle chose. « Bienheureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière », glisserait Michel Audiar…
Pour ma part, malgré tous les bienfaits éprouvés durant ce stage (tonus, satisfaction, galvanisation…) j’avoue avoir abandonné d’emblée l’idée de ne me doucher qu’à l’eau froide pour renouer avec les délices des bains fumants – pardon. Je me dis qu’un certain pan de l’humanité a lutté durant des siècles pour que nous puissions jouir du confort et que, ma foi, il serait presque criminel de se refuser de si innocents plaisirs.
N’empêche. Je mentirai si je disais que les tutos partagés par JF sur le groupe WhatsApp du stage, aussi bien que les vidéos des nouveaux exploits de mes camarades, ne me donnaient pas envie de me lancer dans une robinsonade polaire. Ne serait-ce que pour le fun. Si mon stage m’a bien appris quelque chose, c’est que l’expérience du froid n’est pas nécessairement tortionnaire. Elle peut aussi être sacrément drôle. Jouissive, même. Et rien que pour ça, j’ai envie de dire : why not. À suivre…