Logo

Hugh Grant aux Oscars : héros des temps modernes ou énorme enfoiré ?

Telle est la question.

Par
Oriane Olivier
Publicité

Chaque année, la cérémonie des Oscars a le droit à son lot de micro événements et d’incidents qui sont ensuite diffusés en boucle et ad nauseam dans tous les médias. L’an dernier, nous avons donc pu assister à la gifle de Will Smith qui était monté sur scène pour s’en prendre physiquement à Chris Rock après une série de blagues de mauvais goût sur l’alopécie de sa compagne. Et en 2023, faute de véritable drama à se mettre sous la dent, l’Internet mondial s’est enflammé autour d’une interview de Hugh Grant. L’acteur britannique, qui était là pour remettre le prix du meilleur décor, n’a pourtant pas fait de sortie polémique. Il s’est simplement contenté de répondre aux questions d’Ashley Graham, qui avait été missionnée par la chaîne ABC pour récolter les impressions des stars sur le tapis rouge, avant le lever de rideau. Mais les réponses du comédien de Coup de Foudre à Notting Hill étaient laconiques, sans esbrouffe. Voire quelque peu sarcastiques. Et elles ont suscité pas mal de réactions.

La discussion a même été qualifiée – avec beaucoup d’emphase – de “pire entrevue de toute l’histoire des Oscars”. Alors que question malaise aux Oscars, on peut difficilement faire plus embarrassant que ce monument de gêne qu’est l’interview du duo mère-fille composé de Mélanie Griffith et Dakota Johnson, avec une journaliste insistant lourdement pour comprendre pourquoi Griffith n’a pas souhaité voir le très explicite 50 Shades of Grey, film dans lequel Dakota Johnson entretient une relation abusive avec un milliardaire adepte des martinets et du bondage. Mais ce bref échange avec l’acteur anglais lui a visiblement damé le pion, et mis en lumière une certaine polarisation du monde anglo-saxon qu’on croyait pourtant disparue depuis l’avènement de la globalisation : une franche opposition entre l’exubérance enjoué des yankees, et la placidité de leurs lointains cousins du Vieux Continent.

Publicité

En effet, d’un côté nous avons des Américains indignés par son manque d’enthousiasme et d’effort, considéré comme un crime de lèse majesté au pays des talks-shows ultra démonstratifs. Des émissions où l’on vient aussi bien pour faire la promo de son dernier long-métrage, que pour balancer des anecdotes croustillantes sur les coulisses du tournage et parler sans retenue de son divorce. De l’autre, des Britanniques amusés par le flegme de leur icône nationale, et la désinvolture de ses réponses.

Publicité

Ainsi, lorsque Ashley Graham commence par lui demander ce qui lui plaît le plus dans cette cérémonie, il répond : “Eh bien, c’est fascinant. L’ensemble de l’humanité est ici, on se croirait dans Vanity Fair”. Hugh Grant fait ici référence au livre La Foire aux vanités, un roman de satire sociale de l’écrivain William Makepeace Thackeray. L’intervieweuse pense quant à elle – et c’est légitime – qu’il évoque l’after-party de la cérémonie, qui est traditionnellement organisée par le célèbre magazine américain. Grosse ambiance.

Le dialogue de sourds se poursuit et la jeune femme cherche ensuite à savoir s’il a des favori.es dans la liste des nommé.es. Là encore, elle fait chou blanc et le comédien se contente d’un timide : “Non, pas vraiment”. Mais elle ne se laisse pas impressionner et tente alors d’abattre son joker en l’interrogeant sur sa tenue de soirée. Rien n’y fait. Lorsqu’elle lui demande ce qu’il porte, il répond : “Juste mon costume”, sur le ton de l’évidence. Puis “Il vient de chez mon tailleur”, quand elle tente d’avoir des précisions sur la marque du smoking. Enfin, le coup de grâce est donné tandis qu’Ashley Graham – d’une persévérance qui force l’admiration – s’enquiert de son expérience de tournage dans le dernier carton Netflix des fêtes de Noël, Glass Onion. Hugh Grant y fait en effet un cameo remarqué de quelques secondes, dans le rôle du supposé compagnon de l’inspecteur Benoit Blanc (Daniel Craig). Il se contente de lui dire qu’il n’y fait qu’une brève apparition, avant qu’Ashley Graham ne finisse par abdiquer et rendre l’antenne.

Publicité

Alors, arrogant et grossier Hugh Grant ? Ou bien pire ? Mâle alpha mettant en difficulté et humiliant pour le plaisir une pauvre animatrice qui ne fait que son travail ? Pas forcément. Car en répondant avec autant de nonchalance aux questions, la star britannique n’a peut-être pas d’arrière-pensée, pas de sombre dessein visant à ridiculiser cette jeune femme. Il se montre peut-être tout simplement sincère, dans un univers fait de faux semblants. Il ne feint pas. Ne triche pas. Il répond avec franchise aux questions – il faut le dire – ras-des pâquerettes de l’émissaire de la chaîne ABC (à sa décharge, elle a certainement pour consigne de ne pas faire des entretiens fleuves de trois heures mais d’aborder des sujets légers), et ne cherche pas à la faire tourner en bourrique. Il ne joue tout bonnement pas le jeu. Mais peut-on appeler ça de l’impolitesse ? Fait-il vraiment preuve d’irrespect ? Car hormis son langage corporel en fin d’interview qui laisse peu de doute sur son agacement et dont il aurait pu se passer (on peut l’apercevoir lever les yeux au ciel en sortant du cadre), il est courtois et se prête tout de même à l’exercice.

Publicité

Là où la froideur de Kristen Stewart lors de ses apparitions médiatiques avait déjà été abondamment critiquée et commentée sur le web, ciblée par des injonctions sexistes qui attendent des femmes qu’elles sourient sur commande, les reproches faits à Hugh Grant semblent venir d’ailleurs. Et s’ils se nichaient dans les fondements même de l’économie de marché et de la toute-puissance des images ? Dans cette vision mortifère d’un monde où l’image publique est un produit de vente comme un autre. Où l’on peut attendre des comédien.nes d’être des panneaux publicitaires sur pattes, en même temps que des acteurs et actrices de talent. Ou chaque aspérité doit être lissée, chaque défaut doit être gommé, pour ne laisser que l’inoffensive et consensuelle surface. Un monde où il faut sans cesse être en représentation, dans le cadre du travail, comme de la vie privée. A l’extérieur (sur les tapis rouges), comme à l’intérieur (à travers des réseaux sociaux qui suivent célébrités et anonymes jusque dans leur intimité). Un monde où ne pas en faire des caisses, c’est ne pas en faire assez. Bref : un monde de camelots qui exige de vous que vous soyez sans cesse la meilleure version de vous-même, et que vous soyez productif, affable et surtout vendeur. En toutes circonstances.

Publicité

Alors à l’ère du quiet quitting (nouvelle tendance qui consiste à ne faire que le minimum requis par son contrat de travail et remplir ses missions sans zèle) et des nouvelles aspirations des jeunes générations face au monde de l’entreprise, on pourrait projeter autre chose sur cette interview ratée qu’un odieux manque de savoir-vivre. Et pourquoi pas y voir une bravade. Une invitation à la transgression. Un majeur levé contre des exigences mercantiles de perfection et de rentabilité inatteignable. Et même si l’on sait que Hugh Grant est une célébrité millionnaire qui avait probablement juste envie d’expédier cet entretien pour aller boire une coupe de champagne avant le début de la cérémonie, il n’est pas interdit de rêver…