Malgré l’interdiction de la préfecture, près de 20 000 personnes se sont réunies ce 2 juin 2020 pour Adama Traoré, décédé en 2016, suite à l’interpellation de trois gendarmes. Si, pour le gouvernement français, la mort d’Adama Traoré n’est “pas comparable” avec celle de George Floyd, les manifestants n’étaient pas du même avis. Ils se sont donc réunis hier soir pour protester contre les violences policières, en France, et partout ailleurs dans le monde. Reportage.
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L’appel à la manifestation a été lancé sur les réseaux sociaux et a pris une tournure assez inédite. Les plus expérimentés proposaient à ceux qui avaient peur d’y aller de se retrouver avant pour former un groupe, et permettre aux novices de participer. L’envie de manifester ne devait en aucun cas se soustraire à la peur des rassemblements violents. Un élan de solidarité pour porter un combat universel.
À 19 heures, la place de Clichy était bondée. La manifestation étant interdite, j’ai pensé que les forces de l’ordre ne mettraient que cinq minutes pour nous disperser, et nous forcer à rentrer chez nous. J’ai eu tort.
Elles n’ont absolument rien fait. Les flics étaient prêts, armés jusqu’aux dents, sur le qui-vive, mais n’ont pas bougé d’un pouce pendant au moins deux heures et demie. La manifestation s’est déroulée dans le plus grand des calmes.
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Les participants semblaient énervés, mais protestaient pacifiquement, scandant des slogans tels que « justice pour Adama », « Adama, on ne t’oublie pas », ou encore « Pas de justice, pas de paix ». Le combat de la famille d’Adama Traoré est devenu le combat de toute une population.
En déambulant dans la foule, il y avait une odeur particulière de cohésion française: ils étaient ensemble, blancs et noirs, envers et contre tous, pour le meilleur et pour le pire. Jamais, auparavant, je n’avais assisté à une manifestation aussi solidaire.
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« Je suis là pour Adama, autant que pour Floyd, je ne fais pas de différence »
Adama Traoré, George Floyd, France, États-Unis: pour beaucoup, c’est le même combat. « Leur point commun c’est qu’ils sont noirs et qu’ils sont morts. Ils ont tous les deux été victimes du racisme dans leur pays. Moi si je suis ici, alors que je suis blanche, c’est pour donner mon soutien et dénoncer les violences policières qui restent impunies. Je suis là pour Adama, autant que pour Floyd, je ne fais pas de différence ».
La manifestation a été parsemée de gestes forts, de temps calmes et de discours, qui vous prennent aux tripes. Comme celui d’Assa Traoré, la sœur d’Adama qui se bat depuis quatre ans pour que justice soit faite, et qui dénonçait encore ce 2 juin 2020 un « déni de justice ».
Perchée sur le toit d’un abribus, micro en main, elle a prononcé un discours fort, et appelé à ne jamais arrêter de se battre pour la justice et contre les violences policières. « 4 ans après, j’ai encore de l’espoir, je pense que justice peut encore être faite », a clamé la soeur d’Adama. Elle a également évoqué les manifestations en cours aux États-Unis, qui selon elle, font écho à ce qu’il se passe en France.
« Il faut dire la vérité: il ne s’agit pas de violences policières mais de meurtres », m’a confié Eila, une manifestante de 24 ans. « En France, certains médias sont hypocrites, ils trouvent toujours des circonstances atténuantes à ces assassinats », ajoute Nathalie, 60 ans. « Alors moi je suis là parce que la justice ne tient pas sa promesse de traiter tout le monde de la même façon ».
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Les yeux rivés sur elle, les participants buvaient les paroles d’Assa Traoré, pleuraient et l’acclamaient à la fin de chaque phrase. C’est un moment fort dont on se souviendra longtemps: celui où des centaines de personnes se sont agenouillées, bras levé, sans dire un mot. Signe de protestation pacifique, les gestes ont-ils parfois plus d’impact que les mots ? Cette fois, oui.
Jusque-là, le comportement des CRS et de la gendarmerie mobile leur a fait honneur. Postés à quelques mètres d’Assa Traoré, ils n’ont pas bougé. Ils l’ont laissé faire son discours, aussi chargé soit-il. À coup de slogans comme « Tout le monde déteste la police », scandé par des milliers de personnes à seulement une dizaine de mètres des forces de l’ordre qui, pour le coup, n’ont pas bronché.
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Après un discours empli d’émotion, Assa Traoré a fini par proclamer: « La manifestation se finira comme elle doit se finir ». La suite était dès lors tristement prévisible: jets de pierres et gaz lacrymogènes. « Je n’attends pas grand chose d’aujourd’hui parce que je sais qu’il va y avoir des affrontements comme à chaque fois, et ça c’est pas bon pour ce qu’on revendique », me lance Kodjo, 24 ans, résigné.
Il a raison. En m’éclipsant après avoir vu quelques premiers débordements, je garde en tête la raison d’être de ce rassemblement : les émeutes et les manifestations aux États-Unis sont un cri d’alarme pour la France. Gageons qu’il sera entendu.
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