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Guns Akimbo : violence, réseaux sociaux et terreur existentielle
Bon, je sais à quoi vous pensez.
Clouer des guns sur les mains de Daniel Radcliffe et le faire courir partout dans New York comme une poule sans tête, c’est pas un film. Du moins, c’est pas un film intéressant. Disons que j’avais également quelques doutes après avoir visionné la bande-annonce de son nouveau projet Guns Akimbo, qui ressemblait étrangement à l’idée que je me faisais d’un bon film dans ma période prépubère. Et bien, j’avais tort.
Guns Akimbo est un excellent film d’action avec un propos d’une lucidité et d’une pertinence qu’on ne retrouve simplement pas dans le cinéma bang bang pow pow conventionnel. Peu importe s’il fait chaud ou s’il pleut (ou les deux), il s’agit d’une excellente occasion de s’embarrer à l’intérieur et profiter de la climatisation pendant 95 minutes.
Twitch pour les psychopathes
Le jeune homme à l’hygiène questionnable qu’interprète Daniel Radcliffe se nomme Miles Harris. Il est programmeur de jeux vidéo pour les téléphones à temps plein et troll sur internet dans ses temps libres. Après s’être fait jarter par sa copine, Miles trouve un nouveau sens à sa vie en faisant enrager des étrangers à propos de tout et de rien.
Jusqu’au jour où il décide de troller les diffusions live de Skizm.
Skizm, c’est une espèce de Twitch pour les psychopathes. Un service de diffusion où deux personnes s’affrontent dans un match à mort, qui fonctionne avec les mêmes règles que les jeux vidéo multijoueurs. Habituellement, les participants sont soigneusement sélectionnés à cause de leur profil froid et violent, mais Miles a fait chier la mauvaise personne sur internet… donc on lui cloue des guns sur les mains et on le lance dans Skizm au grand plaisir d’une foule sanguinaire… composée de gens comme vous et moi, vraiment.
Concept simple, propos Next level
Ce qui rend Guns Akimbo plus intéressant et surtout plus pertinent qu’un autre film qui présente la fusillade comme un sport professionnel, c’est sa capacité à expliquer quelque chose de très compliqué: beaucoup de problèmes modernes sont interreliés.
Je vous explique.
Miles cherche un sens à sa vie qu’il ne retrouve ni dans son travail ni dans ses relations amoureuses et sociales. Cette perte de sens le mène à rechercher des sensations fortes sur internet en confrontant des étrangers en toute impunité derrière son clavier. En créant un alter ego impoli et narcissique, il fait partie intégrante d’un système qui divertit les gens qui, comme lui, ne trouvent pas de sens à leur vie.
Vous voyez le cercle vicieux qui se trace ici?
La leçon? Consommer de façon plus éthique, c’est aussi valide dans le milieu du divertissement.
Guns Akimbo illustre ce point à merveille lorsque Miles interagit avec des membres du public qui suivent ses aventures sur portable. Personne ne lui accorde ne serait-ce qu’un brin d’humanité. Pour les spectateurs de Skizm, si Miles est participant du jeu c’est qu’il est lui-même un psychopathe sanguinaire avec seulement quelques jours à vivre. Donc, ils le traitent comme un animal de foire chaque fois qu’il essaie d’expliquer sa situation: ni lui ni sa rivale Nix n’ont envie d’être là.
C’est sûr qu’avoir des guns cloués aux mains, c’est pas super pour la crédibilité. Ça ne rend cependant pas l’argument de Guns Akimbo moins percutant: si l’imposant et labyrinthique dispositif de divertissement qui structure nos vies existe, c’est parce qu’on cherche tous obsessivement à se distraire. À s’évader de l’austérité et du manque à travers des scénarios colorés et plus grands que nature. Le public de Guns Akimbo vit les émotions associées au deathmatch sans en vivre les conséquences.
C’est pas avec des films lourds et moralisateurs qu’on atteint un public auquel on souhaite faire changer d’avis.
La leçon? Consommer de façon plus éthique, c’est aussi valide dans le milieu du divertissement. Ne pas encenser du contenu qui colporte des valeurs de merde, surtout si c’est aux dépens de l’intégrité physique et émotionnelle de personnes réelles, ce serait un changement de paradigme qui affecterait tout le monde. Vous me direz que c’est un tantinet hypocrite de faire passer ce message via un film bang bang pow pow à saveur de chewing gum.
Peut-être, mais c’est pas avec des films lourds et moralisateurs qu’on atteint le public dont on souhaite faire changer d’avis.
C’est comme lorsqu’on partage un article qui critique Facebook et que tata Danièle écrit dans les commentaires: «C’est pas un peu hypocrite de critiquer Facebook… sur Facebook? 😉😂 xxxx». Non tata, on ne sensibilise pas les utilisateurs de Facebook aux dangers de la plateforme en parlant aux gens sur Twitter ou dans la rue. C’est un peu l’idée derrière Guns Akimbo. L’esthétique criarde et racoleuse, c’est un cheval de Troie pour parler d’une problématique beaucoup plus sérieuse et complexe.
Bref, c’est excellent et vous devriez le regarder.