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Femen : seins armés pour militer

« Elles ont permis à des milliers d'Ukrainien.ne.s de comprendre qu'une autre vie était possible pour les femmes ».

Par
Bettina Zourli
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On reproche souvent aux Femen leur mode d’action, à savoir celui d’être seins nus lors de leurs manifestations, largement médiatisées.

Il y a encore quelques années, j’étais contre les Femen. A cette époque, je n’étais d’ailleurs pas spécialement intéressée par les luttes féministes, du haut de mes privilèges. Certes, j’ai toujours été sensible aux injustices et aux inégalités entre les genres. Pourtant, je trouvais ces militantes ukrainiennes et du monde entier radicales. Pour moi, elles « desservaient la cause ». Cause que je ne soutenais même pas vraiment.

Et puis il y a quatre ans, j’ai décidé que je ne pouvais plus être passive. Je suis devenue féministe et mon métier est aujourd’hui intimement relié à la lutte contre le sexisme et les formes de discriminations en général. Je ne montre pas mes seins, mais je soutiens les militant.e.s qui emploient tous les outils à notre disposition pour que l’espace public soit inondé de nos idées, nos slogans et nos luttes.

Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit.

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A quoi ça sert de montrer ses seins au juste ?

Le corps des femmes est un objet. Cela fait des siècles que nous avons été dépossédées de nos enveloppes corporelles, pour n’exister que dans un objectif productiviste (celui d’enfanter) ou pour satisfaire le regard masculin. On parle en effet de male gaze (terme créé par Laura Mulvey pour parler du regard de la caméra au cinéma) pour décrire le point de vue adopté par la caméra au cinéma, point de vue qui se dit neutre, mais qui adopte en réalité le regard d’un homme hétérosexuel, blanc.

A l’écran et dans la rue, dans la vie, le corps féminin est sexualisé en permanence, objectifié.

Depuis des millénaires (plus précisément depuis l’Antiquité), les corps des femmes ont été décrétés comme inférieurs à ceux des hommes, sur la base d’une observation prétendue biologiquement, et cette infériorité décrétée comme justifiant une discrimination envers les femmes.

Ainsi, les femmes sont devenues la propriété des hommes : de leur père, puis de leur mari, puis de leurs enfants une fois veuves.

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« Les hommes, on les écoute, les femmes, on les regarde », s’écrit la militante féministe Anna Toumazoff sur le visage :

Dès que nous sortons de notre rôle de belle plante, c’est simple, nous sommes moquées, insultées, menacées. La politique, les réseaux sociaux, en sont d’excellents exemples (à ce titre, je vous conseille le documentaire belge #SalePute sur le harcèlement en ligne). D’ailleurs, une étude britannique montrait même en 2014 que les hommes n’écoutent pas leur compagne plus de 6 minutes !

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Alors, renverser le stigmate et utiliser son corps, celui-là même que les hommes passent leur temps à commenter et reluquer abondamment, est une stratégie qui est complémentaire des luttes féministes et qui doit être soutenue.

Comme l’explique Inna Shevchenko dans le livre No Bra écrit par Gala Avanzi, les Femen ont permis à des milliers d’Ukrainien.ne.s de comprendre qu’une autre vie était possible pour les femmes, dans un pays postsoviétique où le féminisme n’avait pas sa place. Pas d’ associations, pas de réseau militant, Femen apparaît alors en 2008 comme salvateur pour des millions de personnes sexisées.

Il fallait frapper fort, dans un pays où la liberté d’expression n’a pas sa place.

Une question de privilèges

Quand on critique les FEMEN, ou les actions de lutte sociale qui ne correspondent pas à nos imaginaires d’Europe de l’Est, alors que notre pays nous permet de manifester, alors que le féminisme a sa place dans les discussions (même s’il est souvent décrédibilisé), quand on considère que l’action des Femen est extrême (alors que leurs activités sont non violentes, elles prennent juste de la place visuelle), on fait preuve d’une remarquable hypocrisie.

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Comme j’ai pu le lire dans l’ouvrage Comment la non-violence protège l’État de Peter Gelderloos, critiquer les mouvements extrêmes et prôner un militantisme bien rangé ainsi que des tactiques unilatérales et calmes, c’est une posture de personne privilégiée. En effet, dénoncer le militantisme violent, par exemple, c’est, selon l’auteur, ignorer la violence omniprésente du fonctionnement normal de la civilisation industrielle.

La non-violence est aussi patriarcale. Elle implique qu’une femme doit attendre patiemment que les mœurs changent, ou qu’elle doit se faire violer plutôt que d’attaquer son agresseur. Le pacifisme est totalement déconnecté de la réalité du quotidien des personnes opprimées.

Ainsi, les Femen ne mâchent pas leurs mots, mènent des actions visuellement mémorables, frappent en retour lorsqu’elles se font arrêter par un système judiciaire répressif. Et si leurs actions sont autant médiatisées, c’est en partie grâce à leur mode d’action. Il n’est pas rare de lire sur les réseaux, sous les vidéos de leurs manifestations, que « c’est dommage parce qu’on n’entend pas le message, elles discréditent leur combat en déplaçant le sujet ».

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Personnellement, j’analyse la chose autrement : si on pense que ces militantes brouillent leur message, ce n’est pas de leur faute, mais bien de la nôtre. C’est nous qui décidons de ne pas les écouter et de nous concentrer uniquement sur la forme.

On peut découvrir un groupe militant, un collectif, par la forme originale de leurs actions (prenez l’exemple de L214) et entendre leur discours en même temps. Il y a fort à parier que ce qui ne plaît pas, en réalité, c’est la capacité à utiliser son corps non plus comme un objet de désir pour le regard masculin, mais bien politisé, pour véhiculer des idées visant à détruire le patriarcat.