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Entrevue : Iris Brey – Pourquoi déconstruire notre regard est essentiel dès l’adolescence

Son livre « Sous nos yeux, petit manifeste pour une révolution du regard », illustré par Mirion Malle, vient de sortir.

Par
Marine Langlois
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Vous avez déjà entendu parler du female gaze ou « regard féminin » ? Cette notion a été conceptualisée par Iris Brey – critique et autrice spécialiste des questions de représentations – dans son livre Le Regard Féminin en 2020 (éditions de l’Olivier). C’est une réponse au concept de male gaze (regard masculin), théorisé par Laura Mulvey en 1975. Si le male gaze signifie prendre du plaisir en regardant les femmes comme des objets, le female gaze veut que l’on ressente l’expérience du personnage féminin.

Les images que nous regardons ne sont pas neutres. Ce constat est le point de départ de Sous nos yeux, petit manifeste pour une révolution du regard (éditions La Ville Brûle), le nouveau livre d’Iris Brey illustré par Mirion Malle. Destiné aux adolescents, le livre revient sur des concepts clés et décrypte comment les femmes sont représentées sur nos écrans. L’orgasme féminin, le viol dans Game of Thrones, la pionnière Alice Guy… Rien n’échappe au regard d’Iris Brey et le résultat est un ouvrage pop et pédagogue, indispensable pour la jeune génération.

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Comment est né ce projet ? Est-ce la suite logique de votre travail avec Le Regard Féminin, votre précédent ouvrage ?

L’éditrice de La Ville Brûle m’a contactée et m’a proposé ce projet. Je pense que c’est une suite de mon parcours dans le sens où l’idée de la transmission a toujours été importante pour moi, à tel point que je suis prof. M’adresser à ma génération ou une génération plus jeune me stimule. J’ai trouvé que c’était une chose nouvelle d’un point de vue personnel car je n’ai pas vraiment d’adolescents dans mon entourage. C’était le moment de me plonger dans les séries qui s’adressent à eux et de me dire que je pouvais peut-être avoir un impact sur l’imaginaire de ceux et celles qui auraient le livre entre les mains.

Vous expliquez dans le livre avoir compris très tardivement que la manière dont on filme les corps – féminins ou masculins – a un impact sur nos vies. Suite à cette réalisation, vous avez mis du temps à déconstruire votre regard ?

J’ai mis du temps car je n’ai eu accès au texte de Laura Mulvey (Plaisir visuel et cinéma narratif, 1975) qu’à la fac, donc à plus de 20 ans. Si j’avais grandi avec ce concept, je n’aurais pas eu le même rapport à certains films. Je pense qu’on est capable à l’adolescence, de reconnaître des codes de mise en scène. La nouvelle génération est très attentive aux questions de sexisme, de misogynie et d’inclusion. Elle a soif d’un autre vocabulaire et d’autres œuvres à regarder.

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C’est donc mieux que l’on se rende compte des procédés utilisés pour filmer les corps le plus jeune possible.

On se rend compte quand on est jeune mais on a parfois du mal à identifier ce qui nous dérange. On ne fait pas assez confiance à nos réactions corporelles et ce livre se veut comme un accompagnement des choses que l’on ressent très fort. Il veut mettre des mots sur des impressions que l’on peut déjà avoir à l’adolescence.

Est-ce qu’il y a une image que vous avez vue jeune, à laquelle vous repensez maintenant et qui vous choque ?

Je ne sais pas si c’est une image qui me choque mais celle de Brigitte Bardot dans Le Mépris. Je prends encore beaucoup de plaisir à voir ce film que je trouve génial. Mais ce qui est désirable chez la femme dans ce film, c’est à dire la passivité et la lascivité de son corps, a eu un impact sur mon imaginaire, comment poser pour un œil extérieur.

Vous détaillez justement dans le livre, les procédés utilisés pour filmer les corps des femmes comme le ralenti ou le gros plan. Est-ce que vous les voyez de moins en moins ou sont-ils toujours prédominants ?

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Ils sont encore prédominants que cela soit dans la publicité, dans les séries mainstream ou même au cinéma. Le male gaze est toujours omniprésent. Mais savoir repérer ces procédés nous permet de les désamorcer.

Vous abordez beaucoup de sujet dans ce manifeste : du consentement à la pornographie, au manque de femmes et de minorités derrière la caméra. On parle de plus en plus de ces thématiques depuis #MeToo, les César édition 2020 ou même votre livre Le Regard Féminin. Y a-t-il vraiment une prise de conscience ?

Il y a une prise de conscience mais une certaine méfiance envers ces thématiques que cela soit la place des femmes ou celle des minorités. Tous ces sujets restent absolument essentiels mais ce sont des questions qui sont déjà dans l’imaginaire de la nouvelle génération. Il y a un grand travail de déconstruction à faire pour la génération au-dessus de la mienne mais celle d’en dessous n’aura pas le même rapport à ces idées. Il faut rester vigilant sur ces questions : réfléchir au genre, à la race, à la classe au sens social du terme pour réfléchir aux discriminations, aux minorités et aux rapports de domination d’une manière générale.

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Vous parlez dans ce livre du female gaze et de l’importance de montrer des expériences féminines. Quelles sont les œuvres qui vous ont marqué dernièrement ?

La série I May Destroy You de Michaela Coel m’a marquée dans la manière dont le corps féminin est mis en scène tout le temps. Mais une série comme Mrs America avec Cate Blanchett, avec des dialogues autour de l’activisme et du féminisme est très importante. Ce ne sont pas des choses que j’avais beaucoup entendues avant. J’ai eu l’impression que c’était très novateur. On parle de luttes féministes des années 70 et il y a quelque chose d’important dans la transmission autour de ces thématiques. Donc au niveau de la manière dont le corps féminin est filmé, je dirais I May Destroy You et Mrs America pour les thématiques liées aux questions de domination.