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Arabella (Michaela Coel) est une écrivaine anglaise à succès. Elle est jeune, brillante et charismatique, l’avenir lui appartient. Durant le premier épisode, elle a l’air d’être à sa place, à l’aise dans sa vie. L’âme légère, elle doit terminer une version de son nouveau roman avant l’heure fatidique de 6 heures du matin. Elle procrastine un peu et sort pour se changer les idées. Quelqu’un met de la drogue dans son verre.
Elle se réveille le matin et trou noir.
Une série qui bouleverse
I May Destroy You est une série qui dérange : elle ne rend pas le spectateur à l’aise et ne cherche pas à le faire. Elle ne cherche pas non plus à expliquer ou à justifier quoi que ce soit. Regarder I May Destroy You, c’est avoir l’impression d’embarquer dans un train en marche. À travers cette fiction, l’actrice, scénariste et réalisatrice Michaela Coel met une réalité en images qui frappent fort parce qu’incroyablement transparente.
C’est une histoire qu’on a entendue des centaines de fois. C’est ce contre quoi chaque femme a été mise en garde au moins 1000 fois dans sa vie.
L’histoire d’Arabella nous bouleverse parce qu’elle dépasse doublement la fiction. D’une part, la scénariste admet s’être librement inspirée d’un viol qu’elle a subi il y a plusieurs années et de l’autre parce qu’elle représente un scénario qui touche l’universel. C’est une histoire qu’on a entendue des centaines de fois. C’est ce contre quoi chaque femme a été mise en garde au moins 1000 fois dans sa vie.
La question qui m’est apparue après le visionnement du premier épisode est la suivante : pourquoi, quelque part dans la récente histoire du monde, on a commencé à trouver ça banal de surveiller nos verres dans les bars pour se protéger des prédateurs sexuels qui rôdent? Comment avons-nous pu accepter ce type de prédation au point de trouver ça normal d’entrer dans un bar et d’avoir à surveiller nos verres? Comment est-ce devenu une possibilité de fin de soirée qu’on a « accepté » collectivement ?
Les multiples visages de la culture du viol
L’histoire d’Arabella ne s’arrête pas à une soirée qui tourne mal. Elle aborde le gaslighting [ou « détournement cognitif », qui désigne le fait de se faire manipuler au point de remettre en question sa propre santé mentale], le viol dans la communauté LGBTQ et la réception de ces histoires par le monde extérieur. Les épisodes oscillent entre drame, choc et comédie. On y trouve un rythme qui se rapproche de la vraie vie. Au fil des péripéties, on sent que ses amis la soutiennent dans ce qu’elle vit, mais que personne ne saisit bien la force de l’impact sur la psychée d’une victime.
Elle change d’humeur plus vite que l’éclair. Elle passe de la torpeur au sourire, du déni à la l’hyper vulnérabilité. On est étourdi pour elle.
Par moments, on peut être confus. Parfois, on se demande comment elle se sent. Elle change d’humeur plus vite que l’éclair. Elle passe de la torpeur au sourire, du déni à la l’hyper vulnérabilité. On est étourdi pour elle. Malgré toute la transparence, le spectateur n’a que rarement accès à son intériorité. Mais ça me semble voulu. Nous ne sommes pas des spectateurs omniscients, mais plutôt des témoins. La trame narrative se veut neutre jusqu’à un certain point, il nous faut tirer nos propres conclusions et faire preuve d’une certaine capacité d’analyse pour bien comprendre ce qu’on nous montre.
Des échos qui n’en finissent plus
La série est à voir, surtout en ce moment alors que plusieurs questionnent (encore) la réaction des victimes d’agressions sexuelles. Elle est aussi un bon exemple de diversité culturelle où la question raciale est présente en trame de fond sans être surproblématisée [du moins dans les six premiers épisodes].
C’est comme si ça fait tellement longtemps qu’on entend ces histoires, qu’après chaque vague, ou chaque série qui choque, on oublie qu’elles continuent d’exister.
Après plusieurs heures de réflexion, j’ai fini par mettre en mots mon mal-être face à ce que je venais de voir : c’est comme si ça fait tellement longtemps qu’on entend ces histoires, qu’après chaque vague, ou chaque série qui choque, on oublie qu’elles continuent d’exister. Tous genres et orientations sexuelles confondus, ces incidents/agressions/inconduites/viols sont d’un commun atroce et la série illustre avec brio la banalité qui s’est créée autour.
P.S. Si vous venez tout juste découvrir Michaela Coel, je vous suggère au passage de regarder la série Black Earth Rising dans laquelle elle campe le rôle principal aux côtés du célèbre John Goodman.
I May Destroy You, 12 épisodes de 30 minutes, disponibles sur OCS.