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Explosion du ghosting pendant la pandémie : on s’est pris des vents pour vous

« Ghost in the cell ».

Par
Mori Beleko
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Fut un temps, pour pécho, on mettait une annonce dans Le Chasseur Français. Maintenant, quand on a épuisé le filon des potes de potes (et quand on vit à la campagne, le filon est vite épuisé), on a deux possibilités : les applis de rencontres, ou taper dans les cousin.e.s (une solution longtemps plébiscitée en Bretagne, sans doute à cause du caractère récent des applis).

Lorsqu’on n’a qu’un intérêt modéré pour la drague en cousinade et qu’on est assidu.e sur les applis, tôt ou tard on expérimente le ghosting, qui est l’équivalent virtuel de la personne qui vous dit : « Je descends au tabac acheter des cigarettes » et qui ne revient jamais. Confronté.e à cette pratique pour la première fois, je fus d’abord d’une incrédulité naïve : peut-être que cette personne se trouvait simplement dans l’incapacité physique de répondre. Devrais-je prévenir sa maman et le GIGN du danger mortel dans lequel elle se trouvait sans doute ?

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Plusieurs ghostings plus loin, j’ai dû me rendre à l’évidence : soit l’activité des cartels mafieux dont le fonds de commerce est le kidnapping connaissait une explosion sans précédent autour de moi, soit les gens ne me répondaient plus *parce qu’ils n’avaient plus envie de me répondre*.

En bonne adepte de la mouvance new age – woke – progressiste, je ne comprenais rien au concept car je croyais pratiquer la communication bienveillante et l’acceptation de l’autre, même si dans la pratique, je juge avec mesquinerie les gens qui écrivent “salut sa vas” sans point d’interrogation.

Afin d’obtenir des éléments de réponse, j’ai donc effectué une petit enquête sociologique menée sans aucune méthodologie sur un échantillon non représentatif de la population, car prélevé sur mon entourage – à savoir n’importe qui acceptant de me parler, parfois moyennant une bière (n’ayant aucune probité journalistique, je ne suis pas au-dessus de la corruption de sources).

Voici en substance le résultat de ces échanges, que nous allons diviser par étapes de ghosting.

Le harcèlement et le ghosting

Tout d’abord, un mot sur ce qui semble une évidence : le ghosting de harceleur.se n’est pas du ghosting. Une fois qu’on a expliqué notre désintérêt, si la personne insiste, c’est un problème qu’elle doit régler avec elle-même.

« On ne peut bloquer que cinq personnes par jour, après c’est payant. Il arrive donc fréquemment que, même si tu as dit que tu n’étais pas intéressé, la personne en face insiste en t’envoyant des photos de sa bite »

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Citons ce bel exemple relevé par Jazz : « Grindr te met en contact avec tout le monde sans que tu aies la possibilité de choisir les personnes qui te plaisent. Et on ne peut bloquer que cinq personnes par jour, après c’est payant. Il arrive donc fréquemment que, même si tu as dit que tu n’étais pas intéressé, la personne en face insiste en t’envoyant des photos de sa bite ».

« Et comme tu n’as pas envie de gaspiller un blocage gratuit, renchérit Lafontaine, là à part ignorer, y’a rien à faire. » J’ai voulu leur demander ce qui justifierait un blocage si le pipou intempestif n’est pas suffisant, mais on s’éloignait du sujet et j’avais un peu peur de perdre foi en l’humanité en entendant la réponse.

  • Le ghosting dès les starting-blocks

(le ghosting victorieux instantané par KO)

Vous vous êtes matché.e.s, badaboum bim, le moment est venu de parler. J’engage en général par un sobre « Salut ! Comment vas-tu ? » ou un plus lyrique « Comment se passe ce début de printemps pour toi ? »

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Et ben déjà là y’en a qui répondent jamais. Dans ce cas, l’étiquette de la drague en ligne exige qu’on laisse tomber si on ne veut pas passer pour un.e relou.e. Cependant, si vraiment on est foudroyé.e par la beauté ou la personnalité qui transpire à travers les photos, on peut tenter au prix de son amour-propre un timide : « Écoute, tu me plais vraiment, je me permets de te relancer pour te proposer une rencontre ». (Sur les trois fois où j’ai tenté, éperdu.e de désir, y’a eu un dématchage, un ghosting et une relation).

La question se pose alors : pourquoi les gens ne répondent pas alors qu’ils ont à priori aimé notre profil ?

Mon ami.e Edelweiss (tous les noms ont été changés de façon arbitraire) apporte un élément de réponse : « Je suis en couple mais j’aurais besoin de me faire draguer un peu pour mon estime de moi. Alors des fois je guigne un peu ». Donc il y a des personnes qui sont sur les applis juste pour sentir qu’elles plaisent, mais sans réel désir de rencontres. Ce point de vue est également relayé par cet article de Zones Subversives, selon lequel « les jeunes évoquent la dimension divertissante de la séduction, qui ne débouche pas vers des relations sexuelles ni même une rencontre physique. Les utilisatrices peuvent voir dans la séduction en ligne une manière de tester leur attractivité, sans pourtant engager une suite. Les hommes testent davantage leur capacité de séduction à travers une rencontre réelle. » Ce qui semble indiquer que les personnes identifiées femmes ghostent avant la rencontre davantage que celles identifiées hommes. J’observe plutôt l’inverse dans mon expérience perso mais bon, je suis peut-être juste vraiment poissard.e des hommes cis.

Comment justifier l’injustifiable : « J’étais bourré.e (variant : je me sentais seul.e et désespéré.e) quand j’ai liké tes photos mais maintenant que j’ai dessoûlé (ou recouvré mes repères habituels), je ne suis plus attiré.e »

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Deuxième élément d’explication, puisé dans mon expérience directe : on peut se rendre compte en consultant le profil de la personne qu’en fait, elle ne nous plaît pas tant.

C’est ainsi que certaines personnes DONT MOI ont pris conscience au cours de cette enquête qu’en fait, on ghostait tous.tes de ouf, au calme, sans l’admettre, et tout en s’insurgeant avec une parfaite mauvaise foi contre les personnes qui nous faisaient la même chose.

En effet, comment justifier l’injustifiable : « J’étais bourré.e (variant : je me sentais seul.e et désespéré.e) quand j’ai liké tes photos mais maintenant que j’ai dessoûlé (ou recouvré mes repères habituels), je ne suis plus attiré.e » ?

Une solution choisie par votre humble serviteur.e sans courage consiste à entretenir mollement la conversation en espérant qu’elle meure (on en reparle au point suivant) ; cependant il arrive qu’on ghoste, en désespoir de cause, la honte au front et la rage au coeur, parce qu’on est juste des humain.e.s qui se noient dans le verre d’eau de nos contradictions.

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  • Le ghosting pré rencontre

(Le ghosting vainqueur au premier round suite à un abandon par flemme)

Pour plein de raisons, la conversation est poussive : tu as un accès aigu de nostalgie pour ton ex, l’autre ne se déride pas malgré ta meilleure blague sur le col de l’utérus, l’un.e d’entre vous dit “pain au chocolat” alors que l’autre dit “chocolatine”… Bref, ça ne colle pas.

Cependant, il y a des stakhanovistes de la drague qui peuvent revenir à la charge plusieurs fois. Illes n’ont rien à te dire, mais pour des raisons qui leur appartiennent, illes continuent à t’envoyer régulièrement des « Cc cv » sans lendemain.

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La plupart du temps, la conversation meurt naturellement, et ce n’est donc pas vraiment un ghosting mais plus un désintérêt mutuel. Cependant, il y a des stakhanovistes de la drague qui peuvent revenir à la charge plusieurs fois. Illes n’ont rien à te dire, mais pour des raisons qui leur appartiennent et ont sûrement beaucoup à voir avec la crise de la solitude mentionnée dans le paragraphe précédent, illes continuent à t’envoyer régulièrement des « Cc cv » sans lendemain. Évidemment, on peut se comporter en adulte et répondre poliment : « Bonjour, j’ai l’impression que notre conversation ne décolle pas, je vais m’arrêter là mais je te souhaite bonne chance dans ta recherche ». Mais la tentation de ghoster est quand même forte.

Comme le dit Keira, « si je sens lors des échanges que la personne et moi n’avons rien en commun, je cesse juste de répondre. Je pense que c’est moins blessant que si je lui explique que je la trouve inintéressante. » Sneedronningen (oui, ça se prononce comme ça s’écrit) est du même avis : « Ça c’est vraiment un bébé ghosting, c’est pas grave ».

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Elle ajoute cependant avoir été offensée lorsqu’une personne qui lui avait demandé davantage de photos ne lui a plus jamais donné de nouvelles. Je peux dire que, personnellement, j’ai été déçu.e par des ghostings suite à de captivantes conversations beaucoup plus que par des lapins posés par des gens au sujet desquels je n’avais pas de grandes attentes.

  • Le ghosting de rv et le lapin ghosteur malfaisant

(le ghosting gagne au second round, avec potentielle mise en danger d’autrui)

Lorsque vous vous fixez un vague rendez-vous et que l’un d’entre vous ne répond jamais à l’autre pour clarifier le lieu ou l’heure, c’est un ghosting de rv.

Ne pas se pointer au rv sans explication devient un lapin ghosteur, qui entre dans ce qui est communément admis comme de la goujaterie par toutes les communautés, toutes orientations sexuelles confondues.

« Ça m’est arrivé deux fois que des contacts Grindr me donnent des adresses bidon. La première fois, j’ai perdu une heure dans les transports en commun pour finalement me faire ouvrir la porte par une vieille dame qui ne connaissait pas la personne que je cherchais. »

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Sur les applis lesbiennes ou hétéro, le lapin ghosteur a en général bloqué la conversation lorsque, passablement énervé.e d’avoir perdu ton temps, tu cherches à le.la joindre pour lui demander des comptes. Dans le monde merveilleux de Grindr, la personne ne gaspille même pas un blocage et ignore simplement tes messages.

Il y a ensuite les lapins ghosteur.euse.s malfaisant.e.s qui prétendent t’inviter chez eux mais te donnent une mauvaise adresse. Jazz raconte : « Ça m’est arrivé deux fois que des contacts Grindr me donnent des adresses bidon. La première fois, j’ai perdu une heure dans les transports en commun pour finalement me faire ouvrir la porte par une vieille dame qui ne connaissait pas la personne que je cherchais. La seconde fois, le bâtiment avait l’air franchement dangereux, je ne suis pas entré. »

On l’a vu, l’humain est un loup pour l’humain, et on est soi-même un peu plus lapin qu’on veut bien l’admettre. 100% de l’échantillon sondé a pratiqué le ghosting au moins à la sauvette, et 100% a rapporté avoir souffert du ghosting.

Dès lors, comment s’en accommoder ?

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Une proposition de solution testée et approuvée par bibi est de cesser de l’appliquer et de prendre le temps de formuler son malaise ou son désintérêt avant de laisser tomber. Enfin, sauf dans les cas d’agression ou de harcèlement, où on est évidemment absous.te de la moindre responsabilité sociale, outre celle éventuelle de signaler la personne pour éviter à d’autres de subir.

Nicéphore témoigne : « Depuis notre conversation, je ne ghoste PLUS PERSONNE. Eh ben ça me prend un temps fou d’expliquer aux gens que je ne suis pas intéressée. » Comme Nicéphore et comme Spiderman, nous avons le pouvoir de rendre le monde un peu meilleur, à la hauteur de nos humbles responsabilités : dire merci mais non merci, tu es bien, mais pas pour moi. Paix et amour.