Logo

Être une petite main du porno au temps du coronavirus

Un statut plus précaire que jamais.

Par
Matthieu Rostac
Publicité

Derrière les effets d’annonce et les promos de Pornhub se cachent acteurs, actrices et techniciens du porno qui subissent de plein fouet la crise du COVID-19. Avec une industrie mondiale à l’arrêt depuis deux mois, leur statut précaire est plus que jamais fragilisé.

À la mi-mars, dans la foulée de l’annonce du gouvernement français de placer le pays en confinement, d’autres étaient tombés comme à Gravelotte, réjouissant une partie du petit peuple coincé bien malgré lui entre quatre murs : les maisons de production et diffuseurs porno que sont Pornhub, Dorcel ou encore Jacquie & Michel rivalisaient d’offres gratuites et d’opportunisme pour les semaines à venir. Si les gens doivent rester chez eux, autant qu’ils le fassent devant des parties de jambes en l’air filmées et que cela fasse exploser le trafic. Merci qui ? Merci les mastodontes de l’industrie du X, donc. Mais, comme souvent lorsque les news insolites se mêlent au business, se cache une réalité bien plus dure pour les petits acteurs du marché, ici au sein propre comme au figuré. « À mes yeux, ils font une bonne action uniquement pour eux-mêmes », avait lâché l’actrice X américaine Dakota Skye à Rolling Stone en fustigeant la gratuité de Pornhub pendant un mois.

Publicité

Si les vidéos continuent de tourner, donnant l’illusion d’une industrie toujours active, le porno, métier de « contact » par excellence, a vu ses activités stoppées net depuis près de deux mois, laissant à quai de nombreux acteurs, actrices, techniciens et techniciennes du milieu. « C’est un peu toujours le même problème : on parle de porno mais jamais des gens qui le font. Un problème qui ne s’applique pas seulement au porn puisqu’on parle très souvent de dividendes, de chiffres et rarement des gens qui créent la richesse », entame Carmina, rédactrice en chef du site de culture porn français Le Tag Parfait. C’est un peu comme l’industrie du textile : consommé mondialement, qui génère beaucoup d’argent, avec des inégalités incroyables entre les divers métiers de l’industrie, des gens exploités avec des conditions de travail déplorables et des stars de la haute couture. »

Aucune aide aux auto-entrepreneurs du porn français

Au Japon, en Nouvelle-Zélande ainsi qu’au sein de la ville néerlandaise de Groningue, les autorités publiques ont décidé de débloquer des fonds pour venir en aide aux travailleurs du sexe, dont les acteurs et actrices porno font partie. Des pas si happy few qui rappellent que tous les autres, sans exception, ne bénéficient d’aucune reconnaissance ni aide, y compris en France. « Ici, il n’y a pas d’industrie du porno en tant que tel, rappelle Carmina, aux États-Unis c’est très organisé, avec plein de maisons de production, des agences d’acteurs et d’actrices, des tournages réguliers. Chez nous, il y a peu de boites qui produisent et celles-ci ne sont pas domiciliées en France. Il n’y a pas d’union, de collaboration, de tissu économique véritable autour de la production de porno et donc pas de syndicat, d’organisations qui gèrent tout ». La faute, aussi, à une législation française qui assimile la structuration du porno, notamment la création d’agences et de boîtes de casting, à du proxénétisme.

Publicité

De plus, le mode de production « à la française » ne favorise pas l’épargne pour les acteurs et techniciens du milieu. D’une part, les salaires sont extrêmement bas, voire inexistants. « Quand on est acteur ou actrice porno, on ne bosse pas tous les jours de toutes les semaines de tous les mois. Si tu fais vingt scènes par an, c’est déjà beaucoup », précise Carmina. Une actrice « moyenne » pourrait gagner entre 300 et 500€ par scène, un acteur bien moins, certains tournant parfois gratuitement. D’autre part, la majorité des acteurs et techniciens du X français facturent en auto-entrepreneur. Pas salariés donc pas de chômage partiel, pas intermittents donc pas éligibles aux aides annoncées par le gouvernement français le 6 mai dernier, indépendants donc si pas de travail, pas de revenus. Une « ubérisation » du porno qui précarise ses petites mains, l’empêchant de subsister en période de vache maigre, dont ce contexte de coronavirus est le fatal exemple.

Pas un commerce de nécessité

Bien malheureusement, et malgré les mesures de retour à la vie normale prises pour les prochains mois, ce confinement du porno tend à durer. D’abord parce le coronavirus est difficile à contrôler. « Quand il y a un lockdown de l’industrie à cause du sida, il est plus « facile » de s’en sortir. Il y aura un shutdown, on vérifiera tous les contrats pour savoir qui a tourné avec qui, on fera passer des tests de dépistage à tout le monde et a priori, au bout de deux semaines ou un mois, la situation sera maîtrisée. Là, on n’a absolument aucune idée et surtout, le préservatif ne suffit plus à se protéger », analyse Carmina. En prévision d’un retour à la normale, les acteurs et actrices se font déjà tester contre le COVID-19 en plus des habituels tests requis pour tourner. Talent Testing Service, l’un des deux grands organismes de tests pour l’industrie US, annonçait également vouloir ajouter le coronavirus à la batterie de tests obligatoires effectués dans les mois futurs.

Publicité

Mais encore faut-il que le milieu du porno puisse relancer la machine. « Pour des raisons d’intérêt public, c’est une industrie dont on peut se passer, tout simplement », synthétise Carmina. Malgré les besoins de certains, le porno n’est pas un commerce de nécessité. La rédactrice en chef poursuit : « Dans le porno, on peut s’arrêter de produire pendant deux, trois, quatre, six mois et il restera toujours une quantité importante de films et de scènes pour que tout le monde soit satisfait. Pour l’instant, personne n’est techniquement en panne au niveau contenu. »

« De la cam, du OnlyFans, de la vente de produits annexes »

À dire vrai, loin d’être la panacée, de potentielles solutions existent déjà pour survivre en tant qu’acteur et actrice de porn au temps du coronavirus. Nombre d’entre eux l’ont d’ailleurs appliqué depuis belle lurette. « De la cam, du OnlyFans, de la vente de produits annexes. Peut-être que certaines actrices s’y sont vraiment mis avec le contexte, détaille Carmina, ça fait un bon moment que ces choses-là sont en train de se mettre en place mais là, c’est catalysé par le fait qu’on n’a pas le choix. » CamSoda, service de cam états-unien, a confirmé une augmentation de 37% des inscriptions de modèles à sa plate-forme durant le mois de mars dernier, chiffre doublé (69%) sur ManyVids, site qui permet aux performers de gérer et vendre leur contenu perso. Les actrices américaines Whitney Wright et Gianna Dior, colocataires, ont également signé un accord avec un gros studio (dont l’identité n’a pas été révélée) pour tourner du contenu homemade, seules ou ensemble, via leur iPhone. Il est néanmoins important de rappeler que Wright et Dior, au-delà d’être des actrices prisées, sont des Spiegler Girls, comprendre sous contrat avec Mark Spiegler, l’un des agents les plus influents du X américain.

Publicité

Or, rare sont ceux et celles qui peuvent s’enorgueillir d’un tel statut. De surcroît, les acteurs et actrices « indés » doivent aussi se constituer une communauté de fans assez large pour générer des revenus subsidiaires pour vivre correctement. Néanmoins, ces pratiques augurent-elles d’un porno futur plus équitable, plus durable, plus radieux pour ses petites mains ? Où les acteurs et actrices fabriqueraient leur contenu de A à Z, sans l’ingérence d’un maison de production ? Pas forcément, selon Carmina. « Pornhub c’est une boîte qui génère des millions mais qui se soucie peu des acteurs de l’industrie. Imaginons un système de droits d’auteur, par exemple : ils pourraient le faire mais ils n’ont pas envie. Si le porno devait être plus éthique et « durable », on aurait pu le faire avant le confinement.»