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Être sataniste en 2020, ce n’est pas ce que vous croyez
Le culte du Grand Adversaire est-il à l’origine du malheur des équidés de France ? Depuis le début de l’année, chevaux, poneys ou ânes sont régulièrement mutilés ou mis à mort. Leurs cadavres portent de sordides stigmates : énucléation, oreille coupée, parties génitales lacérées… Face à l’extraordinaire de l’affaire et en l’absence de suspects, les autorités n’excluent aucune piste. Y compris celle du rituel satanique.
Je visualise. Des individus encapuchonnés se réunissent en rase campagne… Murmurant des versets cabalistiques, ils s’approchent à pas feutrés. Un bras criminel se précipite sur la gorge de l’animal. Alors que le corps est encore chaud, les bourreaux s’empressent de récupérer une paire d’yeux afin de satisfaire l’appétit de leur seigneur – Méphistophélès.
Cette image d’Épinal macabre colle à l’idée caricaturale que je me fais du zélateur de Belzébuth : d’une cruauté sans bornes et enclin aux pratiques délictueuses. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Moi, ma révolte, mon satanisme
Adolescent, je me disais moi-même sataniste. Pourtant je n’étais pas sadique. Plutôt le genre timide et serviable. Un introverti pour qui l’entrée au collège a été synonyme d’enfance arrachée au forceps. Là-bas je découvrais la sévérité institutionnelle, m’effrayais des moqueries entre camarades. Et de retour chez moi j’apprenais avec stupeur, via les « infos », le sens de mots souvent entendus mais jamais compris : pédophilie, meurtre, massacre.
La vie était laide. Pénétré de cette vérité nouvelle, je voyais faner un peu plus chaque jour les beautés qui m’enchantaient autrefois. Le bois voisin n’est plus le terreau de mes songes, peuplé d’elfes et de nymphes, mais une aire de prostitution où il m’est interdit de m’aventurer seul.
Trahi, je fais voeu d’haïr. Et trouve réconfort dans le punk des années 2000. Ses cris rageurs, sa mélancolie, son indocilité.
Anarchisme de bas-étage et éloge du Démon : la grande confusion
Débute un titanesque amalgame entre l’idéologie contestataire véhiculée par le skate punk d’outre-Atlantique (Sum41, Blink182…) et le satanisme. En cause, des paroles inspirées de la liturgie chrétienne, et plusieurs clips mettant en scène une Amérique puritaine offusquée.
Brusque transition. J’enfile des couleurs noires, noue autour de mon cou un pendentif à tête de mort, skate dans un silence fulminant. Je ne réponds plus à mes parents, et appose des « 666 » sur mes devoirs, en espérant jeter une malédiction quelconque sur mes professeurs. Exalté, je rêve d’une révolution.
Je m’aperçois rétrospectivement qu’adhérer au « satanisme » sans aucun bagage théologique servait surtout à canaliser mon malaise. Lui donner une forme, un nom. À 13 ans ma « crise » était finie. J’abandonnais toute référence au Conspirateur.
Le facteur psychologique
« La construction identitaire a été votre porte d’entrée », pointe Olivier Bobineau, sociologue des religions. « C’est un cheminement classique vers le satanisme. Celui de la rébellion adolescente, renversant les figures tutélaires de l’autorité : père, professeur… ».
En 2007, année de publication de l’ouvrage Satanisme, quel danger pour la société ? qu’Olivier Bobineau a dirigé, l’expert dénombrait 10 000 satanistes dans le monde, et une centaine en France. « Autant dire que l’angoisse suscitée par l’obédience n’est pas justifiée par le volume des troupes… », glisse-t-il.
Sur quels critères identifier un sataniste ? « L’adhésion à l’Église de Satan (institution de référence fondée en 1966, Ndlr), ou à une église dissidente telles que le Temple de Set ». Quel est le profil du suppôt démoniaque ? « Les adeptes ont entre 18 et 35 ans, sont BAC+3 en moyenne et proviennent de familles chrétiennes, puisqu’ils se construisent en miroir de leur milieu d’origine ».
Culte exquis de soi plutôt que culture de l’infâme
Olivier Bobineau ne mentionne pas la cruauté envers les animaux comme trait commun entre satanistes. Le massacre des équidés dans l’Hexagone pourrait-il être de leur fait ? Le sociologue repousse l’idée d’un revers de main. « Il existe des réunions satanistes irrégulières où certains adeptes se mettent nus, renversent les codes de la messe chrétienne… Mais rien qui ressemble à de la violence illicite ».
« Le satanisme est avant tout un mode de vie libertaire, raffiné et élitiste où l’Ego est déifié. L’objectif étant l’émancipation personnelle, toute pratique répréhensible aux yeux de la loi serait contradictoire », poursuit l’expert, avant de citer le bulletin d’adhésion à l’Église de Satan : « Je reconnais que {…} m’engager dans une activité illégale peut conduire à la fin de mon adhésion ».
Commettre un délit, ce serait risquer de perdre une liberté individuelle adorée « et ainsi s’exposer à l’excommunication », insiste l’expert. Lequel ajoute en guise de conclusion que, aux antipodes de l’imaginaire commun, le satanisme relève plus d’un culte de soi flirtant avec le snobisme que de la préparation sanguinaire du retour de l’Antéchrist.
Aussi, à la question « doit-on redouter un sectateur sataniste ? », Olivier Bobineau répond sans ambages par la négative. Rassurant. Ou pas…